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Sortie du livre de Fabienne Federini : "Baiocco - Autopsie d’un coup de fusil sous les Bonaparte"


Philippe Jammes le Dimanche 7 Janvier 2024 à 17:05

Ce livre, paru aux Editions Albiana, raconte une énigme politique au cœur d’un village corse. Une enquête sociologique, par laquelle l’auteure Fabienne Federini tente de comprendre pourquoi son aïeul Lucien, paysan corse du 19ème siècle, sans histoire, veuf et père de trois enfants, a tiré sur un adversaire politique électoralement défait.



A travers le geste criminel commis par le paysan corse Lucien Federini (1803-1865) en 1848, dans le cadre des élections municipales remportées par son clan, contre un adversaire politique, l'auteure interroge le statut de la violence comme spécificité culturelle corse. Pourquoi Baiocco a-t-il tiré sur un paesanu, certes du parti adverse, alors que les élections étaient gagnées ? Quelle est cette "folie" ? Est-ce par atavisme, par égarement, par aveuglement ? D'où est venue cette bouffée de violence aux conséquences dramatiques ?
Docteure en sociologie, l’auteure Fabienne Federini s’intéresse aux questions de mobilisation et de violence politiques, y compris en régime démocratique. Elle a ainsi déjà publié : « Penser l’oubli après 1945. Voies du silence, voix de l’absence » (2015), « Écrire ou combattre. Des intellectuels prennent les armes (1942-1944) » en 2006,  « L’Abolition de l’esclavage de 1848. Une lecture de Victor Schoelcher » en 1998,  « La France d’Outre-Mer. Critique d’une volonté française » en 1996.
Avec ce dernier livre, véritable enquête sociologique, Fabienne Federini tente de comprendre pourquoi Lucien Federini (1803-1865), paysan corse sans histoire, veuf et père de trois enfants, a tiré le 27 mai 1849 sur un adversaire politique électoralement défait. C’est un geste banal dans une île marquée par la violence. Pour autant, faut-il en rester là ? Pas si sûr, à moins de croire au caractère « naturellement » agressif des insulaires. Afin de rendre raison de cet acte, l’auteure entreprend de reconstituer l’univers social et politique de Lucien. À partir de là, elle peut mieux saisir la place qui est la sienne et donc le point de vue qui l’a conduit à attenter à la vie d’autrui. En somme, il s’agit de savoir comment Lucien est devenu Baiocco.
Au-delà de cette histoire singulière qui ressemble à tant d’autres, et pas seulement en Corse, c’est la question de la violence qui se trouve interrogée. Selon Fabienne Federini, elle ne saurait renvoyer ni à une abstraction extratemporelle, ni à une réalité homogène, et encore moins à une quelconque « spécificité culturelle ». Seul le recours à l’histoire, dans une démarche qui se soucie du point de vue des insulaires, est susceptible d’en rendre compte.
Par ailleurs, cette recherche sociologique en cache une autre plus personnelle, puisque le paysan en question est son aïeul. À travers la révélation de cette histoire familiale jusqu’ici ignorée, Fabienne Federini prend soudain conscience de l’onde de choc provoquée par cette tentative d’assassinat sur une partie de la descendance. Comment expliquer sinon l’exil sans retour du dernier fils de Lucien et, depuis quatre générations, son absence de l’île ? L’auteure découvre ainsi qu’elle appartient à une lignée qui, marquée par la violence et habitée par la honte, a tout fait pour oublier Lucien. Dès lors, comment raconter l’histoire de ce dernier sans chercher à le réhabiliter ? Pari difficile, mais pas impossible.
« Jusqu’à ce que je me décide à écrire à son sujet, j’avais hérité d’un nom de famille, qui m’enfermait dans une prétendue identité culturelle, en lien avec une origine géographique, sans pour autant me donner accès à mon histoire familiale » explique-t-elle. « Autrement dit, je n’habitais pas mon nom. Or, comment le rendre mien, comment l’investir tant que l’interdit régnait ? Ainsi, longtemps, j’ai été à la recherche de mon patronyme perdu. Grâce à Lucien, j’ai sorti le cadavre de l’ombre et repris le fil de mon histoire familiale là où il avait été rompu. Je me suis alors aperçu combien les recherches généalogiques ressemblent étrangement aux fouilles archéologiques. »
 


Quatrième de couverture
Tour commence par l’absence de Lucien Federini (1803-1865) au mariage de son fils aîné. La raison ? Une tentative d’assassinat. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est moins le geste criminel, assez banal dans une île alors marquée par la violence, que la personnalité de la victime. Il s’agit du gendre de l’ancien maire, membre du parti adverse. Or, le coup de fusil de Lucien ne relève pas du règlement de compte partisan. Les élections municipales de juillet 1848 viennent juste de porter au pouvoir son clan politique. Mieux, le nouvel édile est allié à l’une des parentèles les plus puissantes de Corse : les Sebastiani.
Dans un tel contexte, pourquoi tirer sur un adversaire électoralement défait ? Cet acte n’a aucun sens, il paraît même absurde. Et pourtant, ce n’est pas un « coup de folie ». Ce que donne à voir le geste de ce paysan sans histoire, veuf et père de trois enfants, c’est en fait un miroir où se réfracte tout un univers social et politique, lequel ne se réduit pas à sa seule communauté villageoise (Borgo), mais embrasse plus largement la civilisation agropastorale de l’époque, notamment dans ses relations avec l’État. À travers l’autopsie du coup de fusil de Lucien, c’est le statut de la violence en Corse en tant que « spécificité culturelle » qui se trouve interrogé.