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Rencontres de Calenzana : Le 24 aout, Julia Knecht rend hommage à Maria Callas


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Mercredi 23 Août 2023 à 09:54

Un hommage à la grande cantatrice Maria Callas : c’est ce que propose un spectacle conçu par la soprano colorature bastiaise Julia Knecht. Une première représentation s’est déroulée à Tallone, le 5 août. Jeudi 24 août, une deuxième aura lieu à Calenzana, dans le cadre des Rencontres. C’est l’occasion de faire un point sur le parcours brillant de cette chanteuse qui fait honneur à la Corse.



Julia Knecht
Julia Knecht
- Julia Knecht, qu’est-ce qui vous a donné l’envie de créer un spectacle dédié à Maria Callas ?
- Cette année, nous commémorons la naissance de Maria Callas. Comme elle a beaucoup chanté Traviata – c’est son rôle fétiche, dans lequel on peut voir tout le talent et la personnalité de cette artiste – j’ai voulu monter un spectacle autour de la mort, et de Traviata et de Maria Callas. Tout tourne autour de la musique de Giuseppe Verdi, de Maria Callas et de l’opéra Traviata. Je suis accompagnée par Olivier Cangelosi au piano. Olivier, c’est mon binôme. C’est avec lui, le plus souvent, que je fais des concerts piano-voix. Nous nous connaissons depuis plus de dix ans : nous étions tous les deux au Conservatoire supérieur de Paris. Nous faisons beaucoup de récitals avec des mélodies françaises ou italiennes, des Lieder… Et depuis 2018, nous sommes tous les ans invités au Festival de Calenzana, où, donc, nous produisons ce nouveau spectacle jeudi 24 août. 
 
- En fait, ce spectacle, c’est une vraie pièce de théâtre… Le texte est de vous ?
- Oui, je l’ai écrit en m’inspirant des nombreuses biographiques que j’ai pu lire sur elle… et que j’ai adaptées avec mes propres mots. J’ai voulu faire ce spectacle comme un journal intime. L’action se déroule la veille de sa disparition. Elle est seule dans sa chambre et raconte sa vie : notamment les passages les plus marquants qui correspondent un peu au personnage de Violetta, dans la Traviata. Un amour impossible, une vie un peu volage qui l’a menée à sa perte. Il y a un lien entre ces deux femmes. Et je chante des chants d’opéra très virtuoses, qui correspondaient à la voix de Maria Callas… et également à la mienne : soprano colorature dramatique. 
 
- Soprano colorature dramatique ? Pouvez-vous préciser ?
- Une soprano colorature a une agilité dans l’aigu et une facilité dans la vocalise. “Dramatique” renvoie à un timbre rond et des facilités dans les graves. 
 
- Tallone, c’était donc une première ? 
- A l’occasion d’une interview pour Le Petit Corse, le journaliste m’avait interrogée sur mes projets pour l’été. J’avais parlé d’un spectacle sur Maria Callas. Charles Lepidi, le maire de Tallone, m’a alors appelée pour savoir si j’acceptais de l’inaugurer dans sa nouvelle salle. Avec la possibilité d’être filmés…Il n’y a pas beaucoup de salles chez nous, en Corse, qui permettent d’accueillir des artistes classiques en dehors des festivals. Et celle-là est plutôt bien équipée : c’était notamment l’occasion d’avoir des lumières. Les lumières, c’est important : ça ajoute une ambiance supplémentaire… 
 
- Après Calenzana, prévoyez-vous d’autres représentations de cet hommage ?
- Nous le rejouerons à Biguglia le 24 avril prochain, au Spaziu Culturale. Comme la scène est grande, la scénographie sera plus fournie, avec des lumières plus adaptées… et des projections de la Callas pendant le spectacle. J’aurais aimé le jouer au théâtre de Bastia, mais avec les travaux… Nous souhaitons enfin l’exporter sur le continent : actuellement, nous attendons des propositions pour la saison qui arrive.

Julia Knecht
Julia Knecht
- Vous êtes jeune et pourtant vous avez déjà accumulé les prix… Quelques mots sur votre parcours ? Et sur les origines de votre vocation ?
- C’est grâce à mon papa si je chante ! Mon père a une très belle voix : puissante, avec un timbre rond. La transmission orale, chez nous, c’est important ! On est dans le mimétisme… Mon père qui était marin et s’est retrouvé jeune retraité, peut maintenant vivre du chant. Il a un groupe corse – des chansons populaires corses, de la variété également – avec lequel il tourne beaucoup. En ce qui me concerne, j’ai commencé mes études de chant au Conservatoire de Bastia. En 2008, j’ai reçu le premier prix de chant du Conservatoire de Marseille. Comme j’avais commencé très jeune, à 15 ans, j’avais 19 ans. Ce qui m’a permis de finir très tôt mes études : je suis allée au Conservatoire supérieur de musique de Paris où j’ai également reçu le premier prix. C’était en 2013. Puis j’ai fait des tournées un peu partout : beaucoup en France, en particulier à l’Opéra de Marseille. Mais aussi à l’étranger : en Allemagne – notamment à Bayreuth –, en Italie – l’Opéra Carlo Felice de Gênes… – , en Suisse, aux États-Unis – en Louisiane précisément… J’ai chanté dans beaucoup de festivals nationaux et internationaux – comme celui de Radio-France, à Montpellier. Avec des chefs d’orchestre de renom –  Jean-Christophe Spinosi, Fabio Luisi… – et également des metteurs en scène extraordinaires, que j’adore !  J’ai notamment adoré travailler avec Vincent Vittoz : il m’a beaucoup appris durant mes études. Il m’a menée vers le théâtre, vers tout ce qui touche à la comédie…
 
- Comment reliez-vous théâtre et chant ?
- Quand on va à l’opéra, on ne va pas seulement écouter un chanteur : on va voir une comédie. C’est ce que Vincent Vittoz m’a appris. Il me disait : « Tu chantes bien. Mais qu’est-ce que tu racontes ? Es-tu sincère ? Vis-tu vraiment ce que tu chantes ? » C’est cela aussi qu’a apporté Maria Callas : avant d’être chanteuse, elle était comédienne. C’est aussi pour cela que je voulais faire un spectacle sur elle !  Pour moi, l’opéra, c’est la musique de la langue. D’où l’importance du texte : il y a d’abord les mots qui font que la musique est si puissante. Ce qui doit passer au-dessus de l’orchestre, c’est un message, l’émotion… L’opéra, c’est d’abord le théâtre !
 
- Lorsque vous chantez de par le monde, y a-t-il quelque chose qui fait que l’on comprend que vous êtes corse ?
- Absolument ! [Rires] Chez nous, les voix ont un timbre particulier. Il y a un côté un peu métallique de la voix. En Italie, on appelle ça le “spinto” : un côté très solaire, avec beaucoup de clarté, qui passe très facilement l’orchestre. C’est typique des voix du sud. César Vezzani [NdlR : le ténor bastiais] avait une voix très puissante : mais ce qui faisait sa puissance, c’était la clarté. Je pense que c’est dû au corse, à l’accent, y compris lorsque l’on parle. C’est ce qui ressort des critiques après mes concerts : la puissance, avec une bonne projection de la note. 
 
- A propos de puissance, l’an passé, vous avez interprété la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée de Mozart… en langue corse. Chanter en corse, ça vous a apporté quelque chose de particulier ? 
- Cet opéra a été écrit en allemand : et c’est là que ça sonne le mieux. Mais chanter cet air en corse amène de la douceur. L’allemand est une langue gutturale qui projette les consonnes. Cela rend bien la colère de la Reine de la Nuit. Le corse a apporté une certaine fragilité au personnage : on voyait plus la mère que la Reine. C’est intéressant parce que maintenant, dans le personnage, j’ai gardé les deux : le côté autoritaire de la Reine et la sensibilité de la mère. Dans ce marathon de quatre minutes, vocalement, ça apporte autre chose dans ces notes d’extrême-aigu… 
 
- Quels projets avez-vous pour la saison qui s’annonce ?
- En janvier 2024, je vais chanter deux opérettes à l’Odéon de Marseille : La Grande-Duchesse de Gérolstein d’Offenbach, et Pépito : une parodie d’opéra, d’Offenbach également. L’opérette, c’est la meilleure école pour la comédie. C’est très complet : on chante, on danse, on parle… C’est très difficile. Mais tout artiste lyrique devrait y passer bien avant l’opéra !  Je reprends également la Reine de la Nuit à l’Opéra royal de Versailles, sous la direction d’Hervé Niquet – mais en français, cette fois. J’ai aussi de nombreux concerts prévus, notamment avec Jean-Christophe Keck, spécialiste de la musique d’Offenbach. Et puis j’ai des projets plus personnels. Sylvie Baggioni, Présidente de l’association Arte Luri – dont l’objet est d’initier les gens à l’opéra, à la musique classique et aux autres disciplines artistiques – , a composé un opéra que nous venons d’enregistrer : Le royaume d’Awen. C’est un des premiers opéras écrits en Corse. Il va faire l’objet d’un conte pour enfants. Or je suis également pédagogue et je fais beaucoup d’interventions dans les écoles. Dans le cadre de l’association, nous allons en faire un projet pédagogique : le conte sera lu à l’école, avec notre enregistrement. Nous allons jouer l’opéra en Corse, en 2024-2025, dans le cadre d’une tournée estivale.  Enfin, je souhaite cette année monter un chœur lyrique à Bastia – je suis aussi chef de chœur. 
 
- Un chœur lyrique ? Vous avez un objectif spécifique ?
- Mon objectif est de réussir à monter des productions d’opéras en Corse, de façon régulière. Et c’est compliqué. On peut jouer des opéras sans chœur, mais un chœur apporte une puissance supplémentaire : c’est magnifique ! Il apporte également un public : cela donne des possibilités financières ! La base d’une programmation régulière, c’est donc d’avoir un chœur lyrique, avec des amateurs préprofessionnels. Plus il y aura de gens qui s’y investiront régulièrement, plus il sera possible de monter un répertoire.  Et puis, comme de son côté, le Conservatoire de Bastia a la volonté de monter un orchestre… Peut-être pourrais-je travailler en lien avec eux ?