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Réforme territoriale : L’Alsace veut sortir de la région Grand Est et lorgne vers le modèle corse


Nicole Mari le Mercredi 17 Août 2022 à 21:12

Sortir du vaste ensemble Grand-Est, qui réunit l'Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne, pour un retour à une Région Alsace, c’est la volonté affirmée de la jeune Collectivité européenne d’Alsace (CEA), qui rassemble, depuis 2021, les deux conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. En février dernier, elle a organisé une Consultation citoyenne qui s’est prononcée à 92% en faveur du rétablissement d'une région Alsace à part entière. Son président (Divers Droite) Frédéric Bierry, explique, à Corse Net Infos, que ce retour est inévitable parce que l’entité Grand-Est n’a aucune légitimité, ni pertinence. Si la CEA a déjà récupéré le tourisme, les routes, la coopération transfrontalière et le bilinguisme, elle observe avec beaucoup d’attention le processus de discussion engagée sur l’autonomie de la Corse.



Frédéric Bierry, président (Divers Droite) de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), en juillet dernier au Parlement européen à Strasbourg. Photo CNI.
Frédéric Bierry, président (Divers Droite) de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), en juillet dernier au Parlement européen à Strasbourg. Photo CNI.
- Vous militez activement pour le retour de l’Alsace dans son territoire premier et sa sortie de la région du Grand Est. Pourquoi ?
- C’est déjà la volonté des Alsaciens. Nous avons consulté les Alsaciens sur l’Avenir de l’Alsace. Nous espérions atteindre le cap des 100 000 participants. La consultation a été un succès : 150 000 Alsaciens se sont exprimés clairement : 92 % ont voté pour le retour d’une région Alsace à part entière. C’est un nombre très important. L’Alsace compte 1,9 million d’habitants, mais qu’il y ait autant de gens qui votent sur un sujet institutionnel marque clairement cette volonté. C’est plus de voix que le président de la région Grand-Est a obtenues sur son nom.
 
- Que reprochez-vous à la Région Grand-Est ?
- Pour qu’une organisation institutionnelle fonctionne, il faut trois conditions. Premièrement, un sentiment d’appartenance. Aujourd’hui, en Alsace, il n’y a pas de sentiment d’appartenance à la région Grand Est. Les gens se sentent Alsaciens, pas Grand-Estiens. Deuxièmement, un levier de développement. L’Alsace est un périmètre cohérent, géographiquement, socialement, économiquement et culturellement. Aujourd’hui, la dynamique de l’Alsace s’inscrit plus dans le Rhin supérieur, c’est-à-dire dans l’espace Rhénan qui comprend le Bade-Wurtemberg, Bâle en Suisse, l’Alsace et une partie du Palatinat, parce que c’est bien évidemment beaucoup plus cohérent dans la vie quotidienne. Cela correspond à notre façon de vivre. C’est toujours plus facile de traverser le Rhin que de traverser les Vosges ! De leur côté, l’ancienne Champagne-Ardenne est naturellement tournée vers Paris, le Sillon Lorrain vers le Luxembourg. Les axes routiers en Alsace sont Nord-Sud. La cohérence de l’action administrative, politique et économique est Nord-Sud, et pas vers le territoire de Champagne-Ardenne ou de Lorraine. Troisièmement, une taille adéquate. La région Grand-Est fait en superficie deux fois la Belgique. Cela ne correspond pas à une entité qui a du sens pour le fonctionnement démocratique.
 
- C’est-à-dire ?
- Prenons l’exemple de la vie associative : les associations n’en peuvent plus d’être obligées de se déplacer sur la longueur du territoire. Comment voulez-vous qu’un élu alsacien se positionne sur un projet à Charleville-Mézières, à Troyes ou à Reims et parallèlement qu’un élu de Reims puisse se positionner sur un projet en Alsace, il ne connaît pas le territoire ! Ce sont des territoires qui n’ont rien à voir les uns avec les autres et que le Grand Est perd une énergie considérable à essayer de fédérer. Ce n’est pas cohérent pour les gens ! Il n'y a pas, entre nos régions, la même culture et la même approche des politiques publiques. Ces différences de pratiques culturelles font qu’aujourd’hui les Alsaciens rejettent clairement ce périmètre et ont cette volonté de revenir à la région Alsace.
 
- Ce retour, est-il compliqué à mettre en œuvre ?
- Non ! Ce serait assez simple ! Comme nous avons créé la Collectivité européenne d'Alsace, qui rassemble les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, il suffit d’un transfert des compétences de la Région Grand Est vers la Collectivité européenne d’Alsace. Tout est prêt ! Donc, institutionnellement il n’y a rien à faire évoluer. Il n’y a que des compétences à récupérer, comme on la fait, à un moment donné dans la loi NOTRe ou dans la loi Maptam qui a transféré des compétences aux métropoles. Cela s’est fait assez facilement. Dans le même esprit, on pourrait très bien transférer les compétences à la région Alsace. On serait, alors, un peu comme la Corse parce qu’on aurait des conseillers alsaciens qui géreraient, à la fois, les compétences départementales et les compétences régionales. Cela éviterait aussi la segmentation des politiques publiques. Cela réduira le millefeuille administratif puisqu’il y aura une strate de moins et permettra de conserver un lien direct avec l’habitant. Je pense que c’est comme cela que l’on pourra réconcilier nos concitoyens avec la démocratie, parce que c’est un véritable enjeu. Le scrutin cantonal permet quand même aux gens de choisir leur binôme, alors que dans un scrutin de liste, surtout sur des périmètres importants, les gens ne connaissent pas les élus. Et quand ils ont un problème, ils ne savent pas à qui s’adresser.
 
- Est-ce pour cela que vous êtes venu le mois dernier rencontrer le président corse, Gilles Simeoni, à Strasbourg ?
- Oui. Aujourd’hui, la Collectivité de Corse a réussi à rassembler les compétences des deux anciens départements. Il est important, pour nous, de voir comment cette entité fonctionne, se structure, et de pouvoir échanger sur les pratiques politiques d’action publique. Je considère que la façon dont la Corse s’est organisée peut aussi être l’avenir pour l’Alsace. C’est intéressant de partager avec le président corse, comme c’est intéressant de partager avec le président de Bretagne, et de tisser des liens. Nous avons des points communs avec le président Gilles Simeoni, à la fois sur l’attachement à l’Europe, la démocratie et la décentralisation. Nous avons aussi des caractéristiques qui nous rapprochent, le sentiment d’appartenance à un territoire est fort aussi chez nous. Et, bien évidemment, il y a l’enjeu du bilinguisme. Je suis, par exemple, très intéressé par la démarche de la télévision régionale corse et nous réfléchissons à la construction d’un outil semblable.
 
- Quelle est la situation de la langue alsacienne ?
- Nous venons de faire une étude sociolinguistique auprès de 4000 personnes et de mener les Assises du bilinguisme avec l’ensemble des acteurs du bilinguisme, y compris l’Education nationale, mais aussi tous les acteurs associatifs. Nous sommes face à un vrai enjeu de mise en place d’une immersion renforcée parce que, malheureusement, la pratique de la langue alsacienne baisse. Du coup, c’est, à la fois, un enjeu culturel, mais aussi un enjeu européen. L’Alsace étant un territoire frontalier, c’est un vrai atout de parler la langue du voisin. L’alsacien est proche de l’allemand, si vous parlez l’alsacien, vous comprenez l’allemand. Nous avons envie d'introduire la pratique de l'alsacien très tôt chez les jeunes générations qui pourront, ensuite, continuer sur la pratique de l’allemand. Nous allons, dans le scolaire, développé la pratique bilingue qui occupe, aujourd’hui, 18 % du temps d’un gamin. L'idée est de promouvoir, de toutes les manières possibles, la langue alsacienne, que ce soit sur les panneaux, dans les documents administratifs, dans la vie courante… et de pousser sa pratique. Nous sommes en train de créer les mercredis du bilinguisme, c’est-à-dire que nous allons accompagner les intercommunalités dans des actions qu’elles mèneront en ce sens : du théâtre, des cours, des jeux, des comptines en alsacien, tout ce qui fera que la pratique de la langue alsacienne sera réintroduite et renforcée, y compris dans le périscolaire, mais aussi dans le temps familial.
 
- Vous espérez l’appui de la majorité présidentielle. Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui ? Le refus du président du Grand Est ?
-  Oui. Pendant longtemps, on a essayé de faire croire que c’était juste les Alsaciens qui n’adhéraient pas à cette région du Grand Est. Un sondage, réalisé en juillet, démontre que même les Lorrains, les Champenois, les Ardenais ne sont pas plus favorables et pas plus adhérents à cette région du Grand Est. Ils n’ont pas le même fort sentiment d’appartenance à un territoire comme l’ont la Corse, la Bretagne ou l’Alsace, par contre, ils ne sont pas plus satisfaits de cette grande région qui ne correspond pas à ce qu’ils souhaitent pour leur action publique du quotidien. Bien évidemment, l’Exécutif auprès du président Rottner de la région Grand Est, s’arcboute pour empêcher le phénomène, mais il est inéluctable. La volonté des Alsaciens de sortir du Grand Est est claire, les autres territoires ne sont pas plus favorables, la Collectivité européenne d’Alsace fait, tous les jours, un peu plus ses preuves. Aujourd’hui, pour moi, les conditions sont réunies d’autant plus que tous les candidats aux législatives défendent cette idée de sortie. Elle est portée par tous ceux qui ont été élus, notamment par les onze députés macronistes. Il faut simplement réunir les conditions institutionnelles pour que cela puisse être mis en œuvre.
 
- En appelez-vous au gouvernement ?
- Oui, clairement ! J’ai des relations avec des proches collaborateurs du Président de la République. Il y a une vraie prise de conscience. Il faut maintenant qu’elle se traduise en effets.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Frédéric Bierry, président (Divers Droite) de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, et François Alfonsi, député européen, en juillet dernier au Parlement européen à Strasbourg. Photo CNI.
Frédéric Bierry, président (Divers Droite) de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, et François Alfonsi, député européen, en juillet dernier au Parlement européen à Strasbourg. Photo CNI.