L’abstention. Le mot d’ordre avait couru pendant la crise politique générée par l’agression mortelle d’Yvan Colonna à la centrale d’Arles le 2 mars dernier, mais n’avait pas fait l’unanimité dans la famille nationaliste. Les partis indépendantistes, Core in Fronte et Corsica Libera ont, dès le 1er tour, affiché cette position et appelé les Corses à ne pas se rendre aux urnes. Core in Fronte a même distribué des affiches et des flyers « Sò Corsu, ùn votu micca... » afin « de ne pas participer à une hypocrisie démocratique qui ferait que l’on irait nourrir celui qui nous enlève le pain de la bouche ». Si les Indépendantistes ont, pour tradition, de ne pas participer à « une élection Bleu, Blanc, Rouge », l’objectif, dans le contexte actuel, est d’obtenir, dans une île qui traditionnellement vote plus que le continent, un tel niveau d’abstention qu’il envoie un message clair et ferme à l’Etat. « Au regard du contexte actuel, cette position gagne encore en cohérence », estime Corsica Libera pour qui il est « totalement contre-productif de cautionner l'apparence de l'existence d'une démocratie française sur la terre de Corse ». Un appel au boycott qui incluait, en toute logique, le 2nd tour, et qui vient d’être renouvelé par les deux formations.
Un boycott massif
Jugeant « insuffisant » le taux d’abstention élevé du 1er tour, Core in Fronte, a tout de suite, appelé à l’intensifier au second. « Pour le 2nd tour, les forces vives et patriotiques, qui se sont particulièrement regroupées avec la jeunesse corse ces dernières semaines, doivent prendre l'initiative d'une abstention plus massive encore, pour adresser un message politique commun au prochain gouvernement français : celui de la reconnaissance des droits nationaux du peuple corse et de la solution politique ». Même appel à renforcer le boycott, quelques jours plus tard, de Corsica Libera qui « invite de nouveau les Corses, qui se reconnaissent dans l’idée nationale, à ne pas se rendre aux urnes ». Et, en explique les raisons : « dimanche 24 avril, les Corses auront le choix entre Emmanuel Macron, dont le quinquennat fut le plus régressif vis-à-vis des droits du peuple corse depuis Giscard, marqué par le mépris du fait démocratique et l’assassinat d’Yvan Colonna, et Marine Le Pen, héritière du Front national, dont les thèses ne seront jamais pour nous une option, tant elles sont contraires à notre combat qui est porteur d’un nationalisme de libération ». Pas question, donc, pour les Indépendantistes de choisir entre la peste et le choléra !
Un silence prudent
Du côté des deux partis autonomistes, Femu a Corsica et le PNC, c’est un silence pesant qui a dominé pour le 1er tour. L’on attendait des prises de positions, notamment pour le candidat écologiste Yannick Jadot, proche du député François Alfonsi, mais aucune déclaration publique, ni consigne de vote, n’est venue conforter ou infirmer, même en interne, les hypothèses et les rumeurs. Nul ne savait même si les militants et leurs leaders se déplaceraient aux urnes, il a fallu attendre le jour même du 10 avril pour vérifier que les dirigeants, les députés et les principaux élus des deux partis ont bien voté, exprimant laconiquement l’importance de l’enjeu démocratique. « C’est une élection importante. Il appartient à chacun de se déterminer », avait sobrement commenté le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, après avoir déposé son bulletin dans l’urne à Bastia. Même prudence chez le maire de Portivechju, Jean-Christophe Angelini. Avec une même question que tout le monde s’est posé : « Mais pour qui ont-ils voté ? ». Sans réponse avérée à ce jour.
Ni l’un, ni l’autre !
La même question se posait pour le 2nd tour où chacun garde en mémoire l’appel de 2017 des Nationalistes modérés à constituer un front républicain pour faire barrage au Front national. Cinq ans après, la configuration est identique : Marine Le Pen est arrivée largement en tête dans l’île au 1er tour, laissant ses adversaires groggy, et le duel Macron-Le Pen, apparu inédit en 2017, a gagné en violence avec le spectre d’un score beaucoup plus serré. Mais, aujourd’hui, comme on pouvait le supposer dans ce contexte extrêmement tendu, pas question pour les Autonomistes de donner une consigne de vote républicain. Si la position envers l’Extrême-droite n’a guère évolué d’un iota, le bénéfice du doute ne peut plus être accordé au président sortant dont la mandature s’est distinguée par sa fermeture extrême en Corse, son mépris souverain et sa guerre de tranchées contre le pouvoir nationaliste aux commandes depuis 2015. Il était, donc, impossible, malgré la perspective de discussions sur l’autonomie, esquissée pour éteindre l’incendie allumé par l’assassinat d’Yvan Colonna et malgré le rapprochement de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi, au lendemain du 1er tour, après des années de veto, d’accorder le même blanc-seing à Emmanuel Macron.
En conscience
Le ton est dur chez Femu a Corsica qui a rompu le premier le silence, lundi, dans un communiqué en disant lui aussi clairement qu’entre deux maux, il n’en choisit aucun. Toujours pas une voix pour le RN : « Concernant Marine Le Pen, son programme, sa vision de la société, les orientations qu'elle propose pour la Corse sont aux antipodes de nos valeurs, de notre vision de la société, de nos choix politiques, et du combat historique mené par le peuple corse pour la reconnaissance de ses droits. Nous appelons les femmes et les hommes de ce pays, qui se reconnaissent dans le combat que nous menons depuis plus d'un demi-siècle, à ne voter, en aucun cas, en faveur de Marine Le Pen ». Mais, pas plus d’appel à voter le président sortant : « Le Président Macron et ses gouvernements successifs ont, pendant cinq ans, systématiquement méprisé les choix démocratiques du peuple corse et le suffrage universel, ainsi que les élus désignés par les Corses pour les représenter… En l'état du silence ambigu et inquiétant du candidat Macron sur les choix essentiels pour la Corse et le peuple corse – autonomie de plein droit et de plein exercice, reconnaissance du peuple corse et respect de la démocratie… -, il ne peut donc être question pour Femu a Corsica de donner une consigne de vote en sa faveur ». La majorité territoriale « invite, donc, chaque Corse à se déterminer en conscience ». Interrogé mercredi, lors de l’Assemblea di a Ghjuventu, Gilles Simeoni, qui maintient son refus personnel de s’exprimer, a lâché une réponse elliptique : « Il y a des consignes qui ont été données par certaines organisations. Il y en a d’autres qui ont dit, après avoir rappelé les principes : « chacun se détermine en conscience ». J’ai plutôt tendance, à ce stade à ne pas m’exprimer. Le fait de ne pas m’exprimer vous laisse comprendre ce que je pense, je crois que c’est clair ! ».
Au nom du combat
Tout aussi sommaire et désabusé, le PNC sera le dernier à s’exprimer, également par communiqué, pour tenir en substance le même discours. Rappelant, lui aussi, que les Nationalistes avaient, en 2017, face à cette même affiche de 2nd tour, Macron / Le Pen, pris leurs responsabilités « en appelant à voter contre cette même Extrême-droite », il affirme que « le mouvement national a, de tous temps et en tous lieux, combattu le racisme, l’antisémitisme et l’exclusion de l’autre ». Mais, dans le même temps, « au nom de ce combat pour la liberté et la dignité, la Corse ne peut opter pour des conceptions politiques qui condamneraient sans équivoque nos choix fondamentaux ». En conséquence, le PNC « assume » de ne donner « ni soutien, ni consigne » et appelle ses militants et soutiens « à se déterminer librement, en conscience et en responsabilité ». Une position résumée brièvement par son leader, Jean-Christophe Angelini : « Nos valeurs, notre projet de société nous conduisent à ne pas laisser aller une seule voix à Marine Le Pen. A l'inverse, compte tenu de ce qui s'est passé ces derniers temps, nous ne pouvons pas décemment appeler à voter pour le président sortant ».
Aucune consigne de vote donc, mais un appel en filigrane à l’abstention. Pour les Autonomistes aussi, le dilemme ne peut être tranché entre le risque de peste brune et la poursuite du choléra. Une chose est sûre, l’abstention, qui avait culminé à 37,29 % dans l’île au 1er tour et qui est l’un des plus forts taux de France métropolitaine, pourrait bien, dimanche prochain, battre tous les records.
N.M.
Un boycott massif
Jugeant « insuffisant » le taux d’abstention élevé du 1er tour, Core in Fronte, a tout de suite, appelé à l’intensifier au second. « Pour le 2nd tour, les forces vives et patriotiques, qui se sont particulièrement regroupées avec la jeunesse corse ces dernières semaines, doivent prendre l'initiative d'une abstention plus massive encore, pour adresser un message politique commun au prochain gouvernement français : celui de la reconnaissance des droits nationaux du peuple corse et de la solution politique ». Même appel à renforcer le boycott, quelques jours plus tard, de Corsica Libera qui « invite de nouveau les Corses, qui se reconnaissent dans l’idée nationale, à ne pas se rendre aux urnes ». Et, en explique les raisons : « dimanche 24 avril, les Corses auront le choix entre Emmanuel Macron, dont le quinquennat fut le plus régressif vis-à-vis des droits du peuple corse depuis Giscard, marqué par le mépris du fait démocratique et l’assassinat d’Yvan Colonna, et Marine Le Pen, héritière du Front national, dont les thèses ne seront jamais pour nous une option, tant elles sont contraires à notre combat qui est porteur d’un nationalisme de libération ». Pas question, donc, pour les Indépendantistes de choisir entre la peste et le choléra !
Un silence prudent
Du côté des deux partis autonomistes, Femu a Corsica et le PNC, c’est un silence pesant qui a dominé pour le 1er tour. L’on attendait des prises de positions, notamment pour le candidat écologiste Yannick Jadot, proche du député François Alfonsi, mais aucune déclaration publique, ni consigne de vote, n’est venue conforter ou infirmer, même en interne, les hypothèses et les rumeurs. Nul ne savait même si les militants et leurs leaders se déplaceraient aux urnes, il a fallu attendre le jour même du 10 avril pour vérifier que les dirigeants, les députés et les principaux élus des deux partis ont bien voté, exprimant laconiquement l’importance de l’enjeu démocratique. « C’est une élection importante. Il appartient à chacun de se déterminer », avait sobrement commenté le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, après avoir déposé son bulletin dans l’urne à Bastia. Même prudence chez le maire de Portivechju, Jean-Christophe Angelini. Avec une même question que tout le monde s’est posé : « Mais pour qui ont-ils voté ? ». Sans réponse avérée à ce jour.
Ni l’un, ni l’autre !
La même question se posait pour le 2nd tour où chacun garde en mémoire l’appel de 2017 des Nationalistes modérés à constituer un front républicain pour faire barrage au Front national. Cinq ans après, la configuration est identique : Marine Le Pen est arrivée largement en tête dans l’île au 1er tour, laissant ses adversaires groggy, et le duel Macron-Le Pen, apparu inédit en 2017, a gagné en violence avec le spectre d’un score beaucoup plus serré. Mais, aujourd’hui, comme on pouvait le supposer dans ce contexte extrêmement tendu, pas question pour les Autonomistes de donner une consigne de vote républicain. Si la position envers l’Extrême-droite n’a guère évolué d’un iota, le bénéfice du doute ne peut plus être accordé au président sortant dont la mandature s’est distinguée par sa fermeture extrême en Corse, son mépris souverain et sa guerre de tranchées contre le pouvoir nationaliste aux commandes depuis 2015. Il était, donc, impossible, malgré la perspective de discussions sur l’autonomie, esquissée pour éteindre l’incendie allumé par l’assassinat d’Yvan Colonna et malgré le rapprochement de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi, au lendemain du 1er tour, après des années de veto, d’accorder le même blanc-seing à Emmanuel Macron.
En conscience
Le ton est dur chez Femu a Corsica qui a rompu le premier le silence, lundi, dans un communiqué en disant lui aussi clairement qu’entre deux maux, il n’en choisit aucun. Toujours pas une voix pour le RN : « Concernant Marine Le Pen, son programme, sa vision de la société, les orientations qu'elle propose pour la Corse sont aux antipodes de nos valeurs, de notre vision de la société, de nos choix politiques, et du combat historique mené par le peuple corse pour la reconnaissance de ses droits. Nous appelons les femmes et les hommes de ce pays, qui se reconnaissent dans le combat que nous menons depuis plus d'un demi-siècle, à ne voter, en aucun cas, en faveur de Marine Le Pen ». Mais, pas plus d’appel à voter le président sortant : « Le Président Macron et ses gouvernements successifs ont, pendant cinq ans, systématiquement méprisé les choix démocratiques du peuple corse et le suffrage universel, ainsi que les élus désignés par les Corses pour les représenter… En l'état du silence ambigu et inquiétant du candidat Macron sur les choix essentiels pour la Corse et le peuple corse – autonomie de plein droit et de plein exercice, reconnaissance du peuple corse et respect de la démocratie… -, il ne peut donc être question pour Femu a Corsica de donner une consigne de vote en sa faveur ». La majorité territoriale « invite, donc, chaque Corse à se déterminer en conscience ». Interrogé mercredi, lors de l’Assemblea di a Ghjuventu, Gilles Simeoni, qui maintient son refus personnel de s’exprimer, a lâché une réponse elliptique : « Il y a des consignes qui ont été données par certaines organisations. Il y en a d’autres qui ont dit, après avoir rappelé les principes : « chacun se détermine en conscience ». J’ai plutôt tendance, à ce stade à ne pas m’exprimer. Le fait de ne pas m’exprimer vous laisse comprendre ce que je pense, je crois que c’est clair ! ».
Au nom du combat
Tout aussi sommaire et désabusé, le PNC sera le dernier à s’exprimer, également par communiqué, pour tenir en substance le même discours. Rappelant, lui aussi, que les Nationalistes avaient, en 2017, face à cette même affiche de 2nd tour, Macron / Le Pen, pris leurs responsabilités « en appelant à voter contre cette même Extrême-droite », il affirme que « le mouvement national a, de tous temps et en tous lieux, combattu le racisme, l’antisémitisme et l’exclusion de l’autre ». Mais, dans le même temps, « au nom de ce combat pour la liberté et la dignité, la Corse ne peut opter pour des conceptions politiques qui condamneraient sans équivoque nos choix fondamentaux ». En conséquence, le PNC « assume » de ne donner « ni soutien, ni consigne » et appelle ses militants et soutiens « à se déterminer librement, en conscience et en responsabilité ». Une position résumée brièvement par son leader, Jean-Christophe Angelini : « Nos valeurs, notre projet de société nous conduisent à ne pas laisser aller une seule voix à Marine Le Pen. A l'inverse, compte tenu de ce qui s'est passé ces derniers temps, nous ne pouvons pas décemment appeler à voter pour le président sortant ».
Aucune consigne de vote donc, mais un appel en filigrane à l’abstention. Pour les Autonomistes aussi, le dilemme ne peut être tranché entre le risque de peste brune et la poursuite du choléra. Une chose est sûre, l’abstention, qui avait culminé à 37,29 % dans l’île au 1er tour et qui est l’un des plus forts taux de France métropolitaine, pourrait bien, dimanche prochain, battre tous les records.
N.M.