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Porticcio : Entretien avec Richard Malka, défenseur de "la liberté d’expression”


Sylvie Gibelin le Vendredi 12 Avril 2024 à 17:10

“Défendre la liberté d’expression” est le thème proposé par Richard Malka, célèbre avocat défenseur de la laïcité, spécialiste du droit de la presse et de la liberté d’expression et avocat de Charlie Hebdo, mais également essayiste, romancier et scénariste de bandes dessinées qui était ce vendredi à l’auditorium du centre culturel de Porticcio pour une soirée conférence-débat.



Richard Malka (Photo Jean François Paga)
Richard Malka (Photo Jean François Paga)
- Richard Malka, vous avez accepté d’animer une conférence en Corse, alors que vous vous faites rare dans ce genre de manifestation. Qu’est-ce qui vous a décidé ?
 
- C’est vrai que j’ai tellement de demandes que si je voulais, je pourrais faire des conférences chaque jour de l’année. Mais j’ai pris la décision de tout arrêter au 1er janvier dernier, c'était ma bonne résolution parce que je n’arrivais plus à suivre, même en acceptant une conférence sur dix. Si j’ai accepté de venir en Corse, c’est parce que c’est la Corse ! Très égoïstement, je ne rate jamais une occasion de venir en Corse, c‘est un principe ! Plus sérieusement, j’aime cette île, j’y écris bien et il se trouve que j’ai un livre à écrire, donc passer quelques jours en Corse après la conférence, ça ne se refuse pas (en riant).
 
- En même temps, la Corse et les Corses ont peut-être des spécificités auxquelles vous êtes particulièrement sensible ?
 
- Effectivement, en Corse il y a une vraie réaction à l’islamisme et à ce danger qu’est le prosélytisme de toutes religions, de l’islam comme des autres. En l’occurence on parle de l’islam, et cette réaction est plus forte en Corse qu’ailleurs. Sur le continent, on trouve des similitudes au pays basque, entre autres en réaction à ce que le Premier ministre a appelé récemment “l’entrisme islamiste”. Une résistance plus importante peut-être parce qu’il y a effectivement un attachement à des valeurs qui se manifeste d’une manière plus forte ici. Les gens ne laissent pas s’installer une situation et ils réagissent rapidement. Ils ont le sang chaud si on peut dire, mais parfois c’est utile ! Malheureusement c’est ce que nous ne faisons plus sur le continent.
Sur cette île, il y a une culture que l’on a moins de culpabilité à vouloir préserver. Parce que c’est ça l’arme de l’islamisme, c’est un discours victimaire qui entraîne de la culpabilisation, qui paralyse les anticorps qui devraient se mobiliser contre les discours religieux prosélytes. Ça marche moins bien en Corse et heureusement.
On devrait s’en inspirer…
 
- Vous avez découvert la Corse il y a quelques années, ressemblait-elle à ce que vous imaginiez ?
 
- C’est vrai, la première fois que j’ai découvert la Corse, j’avais déjà la quarantaine, et j’ai découvert un pays qui ne ressemblait pas du tout à la caricature que je pouvais en avoir en tête. J’ai terriblement aimé ce pays, j'ai trouvé ses habitants extrêmement polis, chaleureux, attentionnés, et que ce n’était pas le dessin que l’on m’en faisait lorsque l’on m’en parlait. Ce n’est pas pour dire qu’il n’y a pas de problèmes en Corse, loin de là, mais la loupe grossissante des médias qui ne font jamais dans la nuance peut être trompeuse. En fait, il faut découvrir la Corse par soi-même pour se rendre compte que c’est beaucoup plus complexe, beaucoup plus nuancé et que c’est un pays incroyablement attachant. En plus, pour moi qui viens d’un pays du sud, je retrouve la Méditerranée, il y a un tempérament chaleureux auquel je suis habitué. Et puis c’est un pays de protection, ça l’a toujours été, pour les juifs pendant la seconde guerre mondiale, et évidemment ça me parle…
Mais aussi pour Charlie Hebdo, Charb venait très souvent se ressourcer en Corse, donc j’ai un attachement particulier pour ce territoire.
 
- Comment un seul homme arrive-t-il à conjuguer toutes ces activités ? Vous êtes avocat, essayiste, romancier et scénariste de bandes dessinées. Vous n’arrêtez donc jamais ?
 
- Je ne sais pas ! L’envie de transmettre, l’envie de combattre pour mes convictions, pour mes amis qui ne sont plus là, tous les combats qui ont été les miens, ce que je crois être juste : en fait, on devrait tous faire plus ou moins ça. On est tous comptables du monde qu’on lèguera à nos enfants.
On m’a transmis ça, cette responsabilité là en tous cas.
 
- Justement, ce sont vos parents, arrivés en France avant votre naissance, qui vous ont transmis ces valeurs pour lesquelles vous vous battez tous les jours ?
 
- Oui, ce sont mes parents et c’est aussi mon histoire. La France a accueilli mes parents, elle m’a permis de faire des études, d’avoir des bourses, d’aller dans des bibliothèques gratuites, de devenir avocat, de m’élever, d’en être là où j’en suis aujourd’hui. C’est quand même rare les pays où l’on offre ces possibilités-là à un enfant d’immigré. Et c’est ce que je suis. J’ai donc une réelle reconnaissance envers la France.
 
- Vous-même avez parfaitement réussi à vous intégrer à ce pays, cette culture qui n’était pas la vôtre de par vos origines familiales. Pourquoi certains n’y arrivent-ils pas ?
 
- D’abord, je crois que c’est aussi la responsabilité des élites françaises, des intellectuels, des journalistes, des universitaires, qui à un moment ont considéré qu’on ne pouvait plus transmettre cet amour de la France sans être fasciste. Qu’il ne fallait plus transmettre une certaine fierté d’appartenir à ce peuple, non pas parce que c’est bien ou mal d’être français, mais parce qu'il porte certaines valeurs révolutionnaires, des droits de l’homme, des Lumières en fait. On a cessé de transmettre cette fierté.
Pour le coup, c’est ce qui change peut-être avec la Corse. Il y a toujours un sentiment de fierté d’être corse; alors c’est dangereux aussi, il ne faut pas en faire l’alpha et l’omega de sa pensée, néanmoins, ça donne l’envie de s’intégrer à quelque chose de plus grand, à autre chose qu’une religion.
Ensuite, ce problème d’intégration est multicausal, mais il y a une responsabilité au nom de “il faut tout tolérer, il ne faut pas être patriote, c’est dangereux le nationalisme”.
On a cessé de transmettre ce moteur d'intégration. D’où la récupération de ces valeurs par certains, et c’est comme ça qu’on leur ouvre un boulevard…C’est un cercle vicieux.
 
- On confond parfois islam et islamisme. Contre quoi vous battez-vous ?
 
- Je me bats contre une religion prosélyte, dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes. Il faut arriver à se battre sans complexe, il faut nommer les choses. Comme on l’a fait pour le christianisme. Ce sont les chrétiens qui se sont battus contre le fanatisme du christianisme, ce sont des chrétiens qui ont instauré la laïcité contre l’église. Forcément c’est plus légitime lorsque ça vient de la religion elle-même. Mais c’est extrêmement compliqué de se battre en interne parce qu’on est tout de suite mis au ban, traité d’hérétique.
Voyez les jeunes femmes harcelées parce qu’elles ne portent pas de voile, ou les pseudo crimes d’honneur parce qu'on a parlé de sexualité; ça devient très compliqué d'aller contre ça, on est mis de côté quand on n’est pas dans la ligne, dans le dogme.
Néanmoins il y a énormément de musulmans qui mènent ce combat là. On n’en parle pas assez, c’est très difficile pour eux, beaucoup plus que pour moi. Il y en a eu depuis très longtemps, mais malheureusement ça s’est en général mal fini pour ceux qui ont essayé de réformer l’islam. Il est certain qu’il y a une radicalisation de cette religion, qui rend la critique en interne extrêmement compliquée, voire dangereuse.
Ça fait trente ans qu’avec mes amis nous essayons d’alerter, et ce n’est pas faute d’avoir crié parfois dans le désert. Il y a un moment où on se dit qu’il est très tard , et plus on attend, plus c’est dur. Maintenant il va falloir un sacré courage pour s’y attaquer. Néanmoins, il faut dire que la France est un des pays qui résiste le plus.
 
 
- Regrettez-vous parfois vos choix, vos combats, qui vous ont amené à avoir une vie plutôt compliquée aujourd’hui ? Si vous pouviez revenir en arrière, que changeriez-vous ?
 
- Absolument rien. Je ne regrette rien de mes choix. J’ai toujours fait ce que je croyais devoir faire. La peur ne me fera pas reculer, je refuse cette idée-là. Je refuse que ma vie soit guidée par la peur, la recherche de confort, la capitulation.
 
- Quel est le sujet de votre prochain livre ?
 
- Je continue à parler de Dieu, vaste sujet inépuisable, mais de façon plus amusante.
 
- nQu'est ce qui fait que vous gardez toujours le sourire, quelles que soient les circonstances, et qu’est-ce qui vous motive le matin ?
 
 -Mes motivations sont de défendre mes clients, écrire, servir, être utile, et ce matin venir en Corse !
Quant à mon sourire, je crois que c’est ma nature, je ne sais pas faire autrement. Mais en fait c’est aussi une défense, une mise à distance de ce qui est difficile.
Par ailleurs, il ne faut jamais cesser de sourire, parce que si on arrête de prendre du plaisir à ce qu’on fait, on le fait mal.
Si j’ai appris quelque chose de mes 25 ans passés avec Charlie Hebdo c’est qu’il ne faut jamais arrêter de rire, il ne faut jamais se prendre au sérieux.
Le combat pour la laïcité c’est aussi lutter pour la liberté de rire de ce que l’on veut, de ne pas être écrasé par des dogmes.
 
- Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous plus tard, quelle trace avez-vous envie de laisser sur cette terre ?
- Il a participé au combat pour la liberté des hommes…