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#Police (ou #purisme ethnolinguistique)


le Vendredi 2 Août 2013 à 01:06

Jean Chiorboli poursuit sa pertinente série de chroniques pour Corse Net Infos. Au sommaire du jour : #Police (ou #purisme ethnolinguistique)



#Police  (ou #purisme ethnolinguistique)
Quels sont les équivalents corses du mot français "police"?
Quatre formes sont attestées: pulizza, pulizìa, pulizia, pulizzia. Exemples
  1. Ma chì face a pulizza
    http://www.apiazzetta.com/forum/Ma-chi-face-a-pulizza_m155623.html
  1. "A pulizia fora!" Des CRS jettent des bouteilles en verres sur les manifestants 
    (!https://www.facebook.com/LeRougeLeNoirCorsica/posts/496334757107052 )
  1. Tribunale di pulizìa 
    (Muntese,1985 =²795)
  1. un omu senz'arme ... di fronte à a viulenza di a pulizzia (U ministru, u prifettu, u cummissariu...) 
    http://appuntamentu-corsu.forums-actifs.net/t134p3-sustegnu-a-thierry-gonzales
La forme pulizza est la plus employée, probablement depuis toujours et de manière ininterrompue, notamment chez De La Foata (né en 1817); c'est aussi la seule forme admise dans le lexique du Muntese (1960):
  1. La pulizza e la dugana 
    (De La Foata, ²059)
  1. POLICE: pulizza 
    (Lexique Muntese)
Quant à pulizìa, il s'agit d'un italianisme récent d'origine (pseudo)savante, mentionné dans le Dizziunariu du Muntese (1985) avec indication d'un accent tonique qui correspond à l'italien polizia:
  1. Pulizìa n.f. police: rigulamenti di pulizìa, règles de police; servizj di pulizìa, services de police; pulizìa secreta, police secrète.
On notera cependant dans le corps de l'ouvrage une fluctuation entre la forme prédominante dans l'usage (pulizza), la forme calquée sur l'italien (pulizìa), et même, dans le "lexique français-corse" (tome 4) qui reprend de manière simplifiée le lexique de 1960, la variante "hybride" pulìzzia. L'accent tonique sur la deuxième syllabe et le double <zz> s'éloignent du modèle italien, qui reste cependant présent dans la finale en <ia>.

Le corse entre français et italien
C'est sans doute la pression du français qui explique la forme majoritaire pulizza . C'est pourtant la seule forme répertoriée par des auteurs qui ne peuvent être suspectés d'italophobie, comme P.Marchetti qui l'estampille comme "frsm." (francesismo) sans donner d'autre équivalent corse. Un autre auteur bien connu pour son "tropisme" italien note que le "gallicisme" pulìzza est la seule forme viable en corse, d'autant que pulizìa signifie par ailleurs "propreté":
  1. "La tentative de faire revivre le mot pulizìa –qui d'ailleurs se prêterait à un curieux double-sens- ne semble pas avoir réussi". 
    (A.F.Filippini, Vocabolario)
L'auteur, bien que connu davantage pour son talent de poète que de linguiste, témoigne ici d'une conception de la langue étonnamment équilibrée et "moderne".
Précisons cependant que le terme "revivre" est ici inadapté car pulizia n'a probablement jamais "vécu" en corse avec le sens (moderne) de "police". En effet, le latin tardif politia a donné en italien comme en français polizia et police (autrefois policie accentué sur le suffixe) avec comme sens premier "organisation politique, gouvernement". L'acception technique (ensemble des mesures, ou des forces du maintien de l'ordre) est apparue bien plus tard et a connu une diffusion universelle avec la Révolution Française.
Avec le sens de "agent de police" l'italien a forgé poliziotto, néologisme tardif (19e s.) et familier ("usato dalla plebe", Zolli, Nuovo etimologico). La formation du mot, insolite déjà en italien (le suffixe est d'ordinaire diminutif), a été "repêchée" récemment par certains auteurs corses (mais pulizzeri reste majoritaire):
  1. Tutti inseme i puliziotti di " U Succorsu " ebbenu di i guai à ammaestrallu 
    (G.G.Franchi, Isulitudine)
Pour pulizza en corse comme pour polizia en italien on peut donc parler de "gallicismes", ou de calques du français. La différence tient à l'époque de réception, et au fait que l'italien a procédé à une extension (ou une spécialisation) de sens à partir d'une forme existante. Quant au corse, quel que soit le sens, le terme en question n'est pas usité avant l'époque moderne, c'est-à-dire celle de l'administration française qui a introduit dans la langue locale d'innombrables termes désormais inévitables.

Délits de faciès
Filippini, dans son "vocabolario" posthume, ne pouvait que prendre acte de la situation sociolinguistique corse: certaines tentatives de "nettoyage" ou de "réhabilitation" sont vouées à l'échec. Il note, toujours à propos du gallicisme généralisé pulizza:
  1. On ne peut pas d'autre part effacer toute trace du régime français, et celle-là moins que les autres 
    (A.F.Filippini, Vocabolario)
S'agissant d'explulser des corps étrangers, il est sans doute plus facile de brandir des mots d'ordre comme " I Francesi Fora " que d'éradiquer des éléments de langue exogènes mais désormais "naturalisés". 
Cependant, en raison de l'insécurité linguistique caractéristique de la société corse, d'idéologies contestables, et surtout en raison du manque d'études linguistiques sérieuses, certains "bricolages" peuvent réussir à fausser l'image et la personnalité de la langue corse.
C'est par exemple le cas pour firmà, ("signer") qui est en passe de s'imposer au détriment du terme traditionnel sìgnà, qui n'est pas moins corse ou moins ancien (ni moins italien d'ailleurs). Cependant signà a le tort de "faire français", alors que son usage en corse est antérieur à l'époque française (on a signatura déjà en latin médiéval). 
Il n'est d'ailleurs pas impossible que le présumé gallicisme soit en réalité un emprunt à … l'italien ancien (segnare, segnatura)
J. CHIORBOLI 31 Juillet 2013