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Pays ajaccien : on vous explique pourquoi le barrage de Tolla limite les crues et ne les accentue pas


Naël Makhzoum le Jeudi 2 Février 2023 à 14:27

Contrairement à une croyance tenace en pays ajaccien, EDF n'actionne pas de vannes pour "délester" l'eau, provoquant ainsi des crues en basse-vallée. Au contraire, le barrage de Tolla joue un rôle primordial dans la retenue des débits d'eau et l'atténuation des pics. CNI vous explique pourquoi.



Le barrage de Tolla (Photos et vidéo Michel Luccioni)
Le barrage de Tolla (Photos et vidéo Michel Luccioni)
C'est souvent ce qui vient vite à l'esprit de ceux qui voient l'eau s'accumuler dans la région ajaccienne : "Ça y est, EDF a ouvert les vannes..." Dernièrement, lors de l'épisode de la mi-janvier. Mais il n'en est rien. C'est même le contraire. Le barrage de Tolla évite la plupart du temps à la basse-vallée de ressentir l'intensité des crues existantes. 

Reprenons. La vallée du Prunelli est l'une des quatre de Corse qui permettent la production de l'hydroélectricité EDF, soit 200 des 1000 mégawatts de puissance installée sur l'île (la capacité maximale). Celles-ci composent la "clé de sûreté électrique insulaire", grâce aux usines hydrauliques démarrables rapidement.

L'équipement hydraulique de la vallée du Prunelli se compose donc du barrage de Tolla, le principal (d'une capacité de 32,5 millions de m³) qui alimente l'usine de Tolla. Celle-ci déverse ses eaux jusqu'au barrage d'Ocona, plus petit, où elles passent par sa centrale puis vont jusqu'au bassin de la Vanna. C'est là où est prélevée l'eau potable d'Ajaccio et l'eau agricole pour toute la rive sud.

Ces deux derniers mois, plusieurs épisodes de crue ont eu lieu, mais généralement, le barrage de Tolla permet d'en atténuer le ressenti des habitants. "Le barrage écrête les crues la plupart du temps, mais ça ne se voit pas en aval, explique Benoît Gérardin, attaché de production hydraulique pour EDF. C'est le cas général, lorsqu'il est possible et que les volumes ne sont pas trop importants. Le problème, c'est qu'on s'y est sûrement habitués."

Une seule vanne, presque jamais utilisée

Pour bien comprendre le phénomène, il faut d'abord savoir de quoi se compose le barrage. En "temps normal", c'est-à-dire lorsque la production est à son maximum, le débit d'équipement est de 11 m³/s. La structure est complétée par un déversoir (évacuateur de crue) avec un débit évacuateur de 815 m³/s, qui passe à côté du barrage en galerie. Contrairement à la croyance populaire, l'évacuation ne vient donc pas "des vannes", mais est crachée sur le côté.

Cette capacité maximale de 815 m³/s (au-delà de laquelle l'ouvrage présente un risque de rupture) n'a en fait aucune chance d'être dépassée. Le débit de la crue millénale (la plus forte possible, qui arrive statistiquement tous les 1000 ans) étant estimé à 625 m³/s. Pour exemple plus concret : la plus grosse crue connue par la Corse, en décembre 2019, avait un débit entrant de 450 m³/s.

Il n'y a, par ailleurs, qu'une seule vanne sur le barrage de Tolla : la vanne de fond, dont le débit est de 80 m³/s. Mais celle-ci n'est utilisée que dans des cas exceptionnels, sa dernière utilisation remontant à 2014. "Il n'y a jamais eu 1 m³ de déversé supérieur à ce qui est entré dans le barrage, martèle Daniel Salini, coordinateur du groupe d'usines d'Ocana. Il n'y a jamais eu de surcrue engendrée par le barrage car notre objectif et notre obligation est de ne pas aggraver le phénomène naturel."

Un épisode récent illustre toutes ces explications. Lors des crues du 15 décembre dernier, il n'y a eu aucun déversement en provenance du barrage de Tolla. Pas tant d'eau n'est rentrée en amont mais beaucoup plus sur le bassin versant aval. Les apports intermédiaires ont été nombreux : des torrents, combinés à une pluie beaucoup plus forte en basse-vallée, qui ont accentué le phénomène en pays ajaccien.

Le barrage retarde et atténue le pic

On peut alors se poser la question : pourquoi déverser ? "Principalement en raison de la forte incertitude des prévisions de débit de rivière, répond Benoît Gérardin. Par exemple, le 13 janvier, on nous a annoncé 9 chances sur 10 d'être en-dessous de 50 m³/s sur la journée du 17 janvier. Le 16, donc la veille, c'est passé à 100 m³/s. Résultat : le 17 janvier, on a observé un débit de pointe de 200 m³/s." 

Bien que ces prévisions soient très fiables sur moment où la crue va arriver, elles le sont beaucoup moins sur la quantité d'eau à venir. Une complexité à fiabiliser ces prévisions - qui ne sont pas météorologiques - en raison de plusieurs facteurs comme la perméabilité des sols, par exemple : l'eau va-t-elle s'imprégner ou dévaler ?

"En anticipation des alertes, on abaisse donc la retenue, poursuit l'attaché de production hydraulique. On turbine au maximum pour baisser la cote du barrage, c'est-à-dire le volume d'eau stocké. Sans le savoir, les gens ont pris l'habitude de l'effort tampon du barrage."

Les phénomènes sont de plus en plus surprenants : les épisodes de pluies se font plus rares, mais plus violents. Ce qui explique ces niveaux de crue frustrants pour la population. Mais sans barrage, le déversement serait parfois bien pire. Pour reprendre le cas du 17 janvier, le débit maximum déversé était de 165 m³/s, quand le débit entrant a atteint les 205 m³/s. Là encore, le barrage a joué son rôle de retardement et d'atténuation du pic.

"Le barrage n'aggrave jamais le phénomène naturel, résume Benoît Gérardin. Au mieux il le limite, comme le 17 janvier, et au pire, il est transparent." CQFD.