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PADDUC : La cartographie des espaces stratégiques agricoles définitivement validée


Nicole Mari le Vendredi 31 Mai 2024 à 19:26

Le Conseil d’état a confirmé, le 30 mai, la décision de la Cour administrative d’appel de Marseille de rétablir la deuxième carte des Espaces stratégiques agricoles (ESA), instituée par le PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse), adopté en 2015 par l’Assemblée de Corse. La première carte, qui sanctuarise plus de 100 000 hectares de terres agricoles, avait été annulée pour vice de procédure en 2018, avant d’être modifiée. La seconde version, votée en 2020, avait également été annulée, suite à un recours d’une vingtaine de communes, promoteurs et particuliers auprès du Tribunal administratif de Bastia, avant d’être rétablie en appel. A une nuance près : « une erreur manifeste d’appréciation » a été retenue pour trois dossiers. Saisi, le Conseil d’Etat a rejeté le réexamen du jugement d’appel et validé définitivement la carte des ESA. Explications pour Corse Net Infos de Julien Paolini, conseiller territorial et président de l’AUE (Agence de l’urbanisme et de l’énergie) en charge du PADDUC.



Photo archives CNI.
Photo archives CNI.
- Le Conseil d’Etat vient de rejeter les six pourvois en cassation de la cartographie des ESA. De quoi s’agit-il exactement ?
- Ce sont des pourvois qui font suite à une décision de la Cour administrative d’appel de Marseille. Cette décision rétablissait la cartographie des Espaces stratégiques agricoles (ESA) qui avait été annulée précédemment par le tribunal administratif de Bastia. Le point principal de la décision de la Cour d’appel, c’est bien le rétablissement de la cartographie des ESA. La Cour dit par ailleurs que sur quelques parcelles, en l’occurrence sur les trois communes de Calvi, Bonifacio et Pietrosella, le PADDUC avait fait des erreurs dans sa cartographie. Donc, la Cour d’appel confirme que nous ne nous sommes pas trompés quand nous avons cartographié 100 000 hectares de terres agricoles. En revanche, sur trois petites zones, quelques dizaines d’hectares sont des erreurs et n’intègrent pas la cartographie. Suite à cela, certains requérants, qui n’étaient pas d’accord avec cette décision, ont saisi le Conseil d’Etat.
 
- La Collectivité de Corse aussi…
- Oui ! De la même manière, la Collectivité de Corse aussi a saisi le Conseil d’État en disant qu’elle n’avait pas fait d’erreurs. Même si cela ne concerne que quelques dizaines d’hectares, nous voulions construire une jurisprudence autour de cette cartographie des ESA. Nous étions d’accord avec la décision de la Cour administrative de Marseille qui rétablissait la carte, en revanche nous n’étions pas d’accord sur les erreurs d’appréciation dans les zones des trois communes concernées. Dans une phase préliminaire, le Conseil d’État examine s’il accepte ou pas de juger des affaires, en gros il décide si la décision rendue précédemment par l’instance juridique a besoin ou pas d’être examinée de façon plus détaillée. Le Conseil d’État a estimé que non, que la Cour administrative d’appel avait bien travaillé, que ce n’était pas la peine de réexaminer sa décision qui est fondée en droit et qui donc s’applique pleinement sans recours possible. À partir de là, le Conseil d’État n’a pas poursuivi l’expertise plus en amont puisqu’il a jugé infondé et non nécessaire de faire un travail plus conséquent sur cette décision, validant ainsi de manière complète et définitive la décision de rétablissement de la cartographie.
 
- La Collectivité de Corse a aussi été déboutée sur Bonifaccio, Calvi et Pietrosella ?
- Tout à fait ! Ce sont trois zones qui avaient été classées dans le PADDUC comme Espaces stratégiques agricoles, et sur lesquelles la Cour administrative de Marseille, en même temps qu’elle a rétabli la carte des 100 000 hectares, a décrété qu’il ne s’agissait pas d’espaces stratégiques agricoles. En gros, ces trois zones-là représentent quelques dizaines d’hectares sur 100 000 hectares. On voit bien que le pourcentage d'erreur fait par la Collectivité de Corse est infime. Nous avons donc rétabli la carte et protégé 100 000 hectares. Sur ce point-là, nous sommes heureux de voir que nous disposons aujourd’hui d’une cartographie qui est incontestable. C’est la Cour administrative d’appel de Marseille, qui le dit, et quelque part le Conseil d’État aussi puisqu’il ne va pas plus loin dans ce dossier et valide les décisions prises précédemment. Pour le reste, nous respectons les décisions qui s’appliquent.
 
- Cela signifie-t-il que plus aucun recours n’est possible sur la carte des ESA ?
- Aujourd’hui, on est allé au bout de tous les recours juridiques possibles en droit administratif. La cartographie a été, dans un premier temps, annulée par le tribunal de Bastia. Puis rétablie en 2020. Nouvelle annulation par le tribunal de Bastia en 2022. Nous avons saisi la Cour administrative d’appel de Marseille qui a remis une décision qui a été validée par le Conseil d’État. Aujourd’hui, nous avons en face de nous une décision qui est, je crois, de bon sens.
 
- D’autres recours sont-ils possibles concernant le PADDUC ?
- Non, pas à ma connaissance. En tout cas, il n’y a pas de recours en droit administratif à ce stade. Nous sommes dans une situation qui nous est plutôt favorable avec la cartographie validée. Il est important de rappeler que les critères n'ont jamais été annulés. Ce qui signifie que les ESA ont été protégés pendant toute la période. Nous disposons désormais d’une cartographie qui est pleinement applicable sur l’ensemble du territoire insulaire.
 
- Le PADDUC continue d’être la cible de violentes critiques. Est-il réellement efficace en matière de lutte contre la spéculation foncière ?
- C’est compliqué à dire ! Au moment du rétablissement de la cartographie des espaces stratégiques agricoles, on a vu que des espaces agricoles avaient été consommés. En 2015, la cartographie sanctifie 105 000 hectares d’ESA. Lorsque nous avons rétabli la carte en 2020, la superficie est descendue à 102 000 hectares. Près de 3000 hectares avaient été consommés pour différentes raisons qui relevaient des voieries, des constructions intervenues entre les différentes périodes, etc. Pour autant, le PADDUC a eu des effets bénéfiques car, même si la cartographie a été annulée à deux reprises, comme je l’ai dit, les critères n’ont jamais été annulés. Donc, l’inconstructibilité des ESA n’a pas été suspendue entre 2015 et aujourd’hui. Pour autant, probablement des espaces ont été consommés malgré cette inconstructibilité. On constate finalement que les dispositions réglementaires du PADDUC sont insuffisantes pour protéger pleinement nos espaces stratégies agricoles. Recours successifs, annulations successives, neuf ans de procédures avant de rétablir de manière définitive la carte. On voit bien qu’il y a une forme de fragilité juridique des dispositions du PADDUC qui doit être renforcé dans le cas notamment du processus d’autonomie. Il faut se poser la question : quelle aurait été la situation en termes d’urbanisation des espaces agricoles s’il n’y avait pas le PADDUC ? À mon avis, elle aurait été catastrophique, bien pire que celle d’aujourd’hui.
 
- Une nouvelle révision du PADDUC est obligatoire tous les six ans. Quand est prévue la prochaine ?
- Tous les six ans en effet, il est prévu une analyse du PADDUC. Cette analyse est en cours et sera présentée prochainement à l’assemblée de Corse. Elle devrait nous conduire à proposer à l’assemblée de Corse, soit une révision, soit une modification du PADDUC. Parmi les pistes possibles, la modification ou la révision devrait intégrer par exemple la question du réchauffement climatique qui s’est accentué depuis une dizaine d’années, également la question de l’autonomie, de l’évolution institutionnelle possible et du transfert du pouvoir législatif et réglementaire, notamment en matière d’aménagement du territoire.
 
- Pour vous, l’autonomie reste-t-elle le seul moyen de protéger les ESA contre la spéculation foncière et immobilière ?
- Je crois que le renforcement des prérogatives de la collectivité de Corse et des capacités réglementaires du PADDUC en matière d’aménagement du territoire et en matière d’urbanisme est essentiel, si on veut un développement plus harmonieux et plus durable de notre territoire.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Julien Paolini, conseiller territorial et président de l’AUE (Agence de l’urbanisme et de l’énergie) en charge du PADDUC (Plan d’aménagement et de de développement durable de la Corse).
Julien Paolini, conseiller territorial et président de l’AUE (Agence de l’urbanisme et de l’énergie) en charge du PADDUC (Plan d’aménagement et de de développement durable de la Corse).

Les six pourvois rejetés

Les six pourvois en cassation formulés auprès du Conseil d’Etat ont tous été rejetés. Trois provenaient de la Collectivité de Corse (CdC) sur les communes de Bunifaziu, Pietrosella et Calvi. Les trois autres concernent les communes de Pietrosella, d’Albitreccia et de particuliers sur le territoire de Castellare-di-Casinca.

Les recours de la CdC
Concernant la commune de Bunifaziu, la CdC avait saisi le Conseil d’Etat pour contester l’arrêt du 3 juillet 2023 de la Cour administrative d'appel de Marseille qui avait partiellement annulé la délibération du 5 novembre 2020 de l’assemblée de Corse qui classait en ESA le secteur de Musella au sud de la RD 60. Concernant la commune de Calvi, la CdC contestait la validation, le 3 juillet 2023, par la Cour administrative d'appel de Marseille de l’annulation, le 29 avril 2022, par le tribunal administratif de Bastia du classement en ESA de trois parcelles. La société civile immobilière (SCI) Amanduletto, la société Villas Mandarine, Christian et Françoise Tapias avait demandé cette annulation pour « pour excès de pouvoir ». Concernant la commune de Pietrosella, la CdC avait saisi le Conseil d’Etat pour contester la validation, le 3 juillet 2023, par la Cour administrative d'appel de Marseille de l’annulation, le 29 avril 2022, par le tribunal administratif de Bastia de la délibération du 5 novembre 2020 « en tant seulement qu’elle classe en espaces stratégiques agricoles les zones situées dans le secteur de La Stagnola et à l’est de la RD 55 dans le secteur de Sampiero ». Dans ces trois dossiers, la CdC a soutenu que la Cour d’appel de Marseille avait « commis une erreur de droit en contrôlant l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans le tracé de la carte des espaces stratégiques agricoles du PADDUC à l’échelle des parcelles cadastrales et non des secteurs communaux, en méconnaissance à la fois de l’objet stratégique de ce plan, du rapport de compatibilité qui régit les documents d’urbanisme locaux, et des compétences des communes pour délimiter plus finement ces espaces stratégiques » et « une erreur de droit en n’appliquant pas les critères de détermination des espaces stratégiques agricoles prévus par les orientations règlementaires du PADDUC, et en y substituant ses propres critères ». Le Conseil d’Etat a estimé qu’aucun de ces moyens n’était de nature à permettre l’admission des pourvois.
 
Les autres recours
En même temps que la CdC, la commune de Pietrosella avait saisi le Conseil d’Etat pour contester le même arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille. Elle soutenait que cet arrêt est entaché « d’irrégularité », d’une « dénaturation des pièces du dossier en ce que la cour a jugé que la modification des critères d’identification des espaces stratégiques agricoles postérieurement à l’enquête publique n’avait pas porté atteinte à l’économie générale du projet de modification du PADDUC, ni privé les personnes intéressées des garanties attachées à l’enquête publique, de dénaturation des pièces du dossier en ce que la cour a jugé régulier le recours à la procédure de modification du PADDUC », d’une « erreur de droit, d’une méprise sur ses écritures et d’une insuffisance de motivation en ce que la Cour a écarté le moyen tiré de ce que la méthodologie suivie par la collectivité de Corse pour délimiter les espaces stratégiques agricoles était insatisfaisante, alors même qu’il n’a pas été tenu compte du document d’objectif agricole et sylvicole transmis par la commune dans le cadre de l’enquête publique et proposant d’autres délimitations », et « d’une erreur de droit, d’une dénaturation des pièces du dossier et d’une insuffisance de motivation en ce que la cour a écarté les erreurs manifestes d’appréciation invoquées quant au classement en espaces stratégiques agricoles des secteurs d’Isollela, de Sampiero et de Ruppione ». Aucun de ces arguments n’a été jugé recevable par le Conseil d’Etat.
 
La commune d’Albitreccia avait saisi le Conseil d’Etat pour contester l’arrêt du 3 juillet 2023 de la Cour administrative d'appel de Marseille qui avait infirmé le jugement du tribunal de Bastia concernant l’annulation de la délibération du 5 novembre 2020 de l’assemblée de Corse qui classait certaines parties du territoire communal en espaces stratégiques agricoles. La commune d’Albitreccia soutenait que la Cour d’appel avait « commis une erreur de droit en considérant, pour écarter le moyen tiré de ce que les changements résultant de la modification n° 1 du PADDUC portaient atteinte à son économie générale, que la nouvelle carte des espaces stratégiques agricoles ne réduisait leur surface que de 3 % par rapport à la précédente carte, alors que cette dernière avait été annulée, de sorte que la nouvelle carte procédait en réalité à l’identification ab initio de ces espaces, représentant une part importante du territoire corse », « insuffisamment motivé son arrêt en ne répondant pas au moyen soulevé devant elle, tiré de ce que les critères fixés par les orientations réglementaires du PADDUC pour délimiter les espaces stratégiques agricoles, ainsi que les données utilisées à cette fin, ne permettaient pas d’identifier les espaces à fort potentiel dont la protection était recherchée par ce plan » et en considérant « comme inopérante la contestation de l’utilisation de la notion de « tache urbaine » dans l’élaboration de la carte des espaces stratégiques agricoles ». Aucun de ces moyens n’a été jugé recevable par le Conseil d’Etat.
 
Le dernier recours est le fait de particuliers concernant une parcelle cadastrée sur le territoire de la commune de Castellare di Casinca. Ils demandaient l’annulation de l’arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille qui avait infirmé le jugement de première instance qui avait donné raison aux plaignants. Ceux-ci ont plaidé une « insuffisance de motivation en ce que la cour s’est abstenue de répondre au grief portant sur le manque d’intelligibilité du dossier soumis à enquête publique, notamment quant à la portée du PADDUC et de la carte des espaces stratégiques agricoles et quant à l’articulation des critères de délimitation de ces espaces stratégiques », une « dénaturation des pièces du dossier en ce que la cour a jugé que la modification des critères d’identification des espaces stratégiques agricoles postérieurement à l’enquête publique n’avait pas porté atteinte à l’économie générale du projet de modification du PADDUC, ni privé les personnes intéressées des garanties attachées à l’enquête publique », et d’une « insuffisance de motivation et d’une dénaturation des pièces du dossier en ce que la cour a écarté l’erreur manifeste d’appréciation invoquée quant au classement en espace stratégique agricole de la parcelle cadastrée leur appartenant ». La demande de pourvoi en cassation a été rejetée.