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Orientations budgétaires : L’Assemblée de Corse acte la nécessité de changer de modèle


Nicole Mari le Jeudi 26 Janvier 2023 à 22:36

Le débat sur les orientations budgétaires (DOB) pour 2023, qui s’est tenu jeudi après-midi à l’Assemblée de Corse, a révélé la faible marge de manoeuvre dont dispose l'Exécutif territorial dans un contexte de crise mondiale et financière. Malgré la baisse chronique des recettes et la nécessité de maîtriser des dépenses, le volume des investissements devrait être maintenu. L’Exécutif annonce un changement de modèle et liste des pistes d’économie et de recettes nouvelles. L’opposition, qui s’est voulue pragmatique, a fait des propositions de travail.



L'hémicycle de la l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
L'hémicycle de la l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
« Il faut changer de modèle budgétaire ». Le président de l'Exécutif, Gilles Simeoni, ne cache pas ses inquiétudes en présentant le rapport sur les orientations budgétaires (DOB) pour l’exercice 2023. Ce document, qui fixe les grands axes et les grands équilibres de la trajectoire budgétaire annuelle et pluriannuelle de la Collectivité de Corse, est un exercice récurrent qui prend, cette année, précise-t-il « une dimension particulière » du fait du contexte extraordinaire de crise mondiale, mais aussi pour des raisons endogènes. « C’est un document qui est, à la fois, une continuité sur la trajectoire budgétaire vertueuse que nous avons impulsée et maintenue contre vents et marées depuis notre accession aux responsabilités en décembre 2015 et un document qui marque forcément, eu égard au contexte, une inflexion structurelle ». Prudent, tout en se voulant rassurant, sans occulter l’incertitude qui prévaut à court terme, il s’attache à brosser un tableau « plutôt sombre qu’il nous faut anticiper pour maintenir une trajectoire vertueuse et assumable pour la collectivité de Corse » et liste les éléments négatifs qui pèsent sur les finances territoriales.
 
Des éléments de crise
Premier élément négatif : des finances secouées structurellement par « toutes les difficultés et tempêtes » que la Collectivité de Corse a essuyées : crise budgétaire, fusion, Covid, condamnations… « Tous ces éléments ont impacté dans des proportions extraordinaires et totalement imprévisibles l’équation budgétaire ». Deuxième élément : le contexte particulier lié à la situation internationale « relativement nouvelle qui n’a pas encore produit tous ses effets avec des scénarii plus inquiétants les uns que les autres. Une inflation qui repart en moyenne à 6,5%, avec des secteurs beaucoup plus impactés. Les collectivités voient leurs appels d’offres pour les marchés publics majorés de 15 à 20 %. S’y ajoutent l’augmentation des dépenses de fonctionnement, la réduction des recettes, l’incertitude économique, l’aggravation des crises sectorielle et générale ». Troisième élément : la situation budgétaire « qui nous impose d’accélérer les modifications structurelles que nous avons déjà engagées. Nous arrivons au bout d’un modèle, que ce soit pour la collectivité de Corse ou pour l’ensemble des collectivités de France. Nous le démontrons par l’exemple cette année ».

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Des éléments forts
Dans ce contexte très contraint, Gilles Simeoni se félicite d’éléments forts, notamment d’avoir réussir à maintenir à flots le niveau d’investissements : « Pour la deuxième année consécutive, nous allons, comme l’an dernier, investir 340 millions d’euros. Comparés aux 290 millions d’euros cumulés des trois collectivités qui ont fusionné, nous avons, en trois exercices budgétaires, augmenté de 50 millions d’euros. C’est une progression considérable qui montre une collectivité qui assume pleinement son rôle de chef de file et de principal donneur d’ordres, avec toutes les retombées pour les entreprises, les salaires et les territoires ». Néanmoins, nuance-t-il, « cette année montre un gap important entre notre capacité à investir et notre capacité à financer ces investissements ». En cause, la faiblesse des recettes qui stagnent ou diminuent. S’y ajoutent les restrictions budgétaires de l’Etat et le non-versement des 20 derniers millions € promis pour payer la dette Corsica Ferries « Cela nous conduit à emprunter 20 millions € supplémentaires par rapport à nos projections budgétaires initiales. La structure de nos recettes nous place dans une situation plus difficile que celle des régions de droit commun qui disposent d’une structure dynamique, majoritairement couverte par la TVA qui représente 55 % de l’ensemble des recettes tandis qu’elle ne représente que 19,5 % de l’ensemble de nos recettes de fonctionnement ». La diminution des ressources ne permettant pas d’atteindre l’objectif cible - 350 millions d’investissements par an jusqu’à la fin de la mandature -, le président Simeoni détaille les possibilités pour pallier cette perte. Le recours risqué à l’emprunt, la laborieuse diminution des dépenses et la difficile création de recettes nouvelles.

Des points d’alerte
Le président Simeoni cible un autre point d’alerte important : l’augmentation des dépenses de fonctionnement, « qui sont, chaque année, un point de vigilance, alors que nous maitrisons les effectifs ». Il explique que les dépenses de fonctionnement ne sont pas réductibles à la masse salariale et pointe du doigt la flambée des dépenses sociales qui s’élèvent à plus de 200 millions d’euros. « C’est très au-dessus de ce que nous pouvons continuer à assumer ». Dans son collimateur aussi : le coût des agences, offices et organismes satellites de la CdC. « Nous sommes pris dans une logique d’inflation de ce type de dépenses, mais qui ne nous place pas aujourd’hui dans une trajectoire dangereuse. Nous sommes dans une trajectoire strictement conforme à ce que nous avions prévu. Tous les ratios que nous avions identifiés et les objectifs que nous avons fixés ont été atteints. Malgré des circonstances défavorables dans des proportions totalement imprévisibles, compensée par une trajectoire toujours vertueuse et par une forme de réussite grâce à des recettes inattendues, nous avons maintenu sur cinq ans la trajectoire budgétaire extrêmement rigoureuse que nous avions définie, tout en augmentant de façon significative notre niveau d’investissement, et donc les politiques publiques. Nous devons aller plus loin ».

Photo Michel Luccioni.
Photo Michel Luccioni.
Des pistes d’économie
Aller plus loin signifie, précise-t-il, diminuer les dépenses de fonctionnement « avec toutes les difficultés que cela implique, surtout qu’elles ont un taux de rigidité énorme », et renforcer les recettes. Il énumère des pistes d’économie : « La CdC intervient beaucoup et partout, sans qu’une part significative de ces aides ait un effet levier. Nous ne pouvons pas nous désengager, mais nous devons, dans la concertation, réfléchir à une réallocation plus stratégique des dépenses et des investissements ». Pas question, pour autant, par exemple, de réduire l’aide aux communes. « Ce serait condamner à la faillite et au désespoir les petites communes rurales et de l’intérieur qui sont, pour nous, des partenaires essentiels de la vision politique de la Corse de demain ». L’Exécutif touche aussi « les retombées difficiles de l’efficacité de nos dispositifs d’aide. Lorsque sur le dispositif « una casa per tutti », on passe en 3 ans de 8 à 18 millions € d’aides versées, cela veut dire que ça marche, que ça répond à un besoin, mais on n’a pas une planche à billet ». Autre piste : la rationalisation de l’allocation des moyens financiers, c’est-à-dire recentrer les dispositifs d’aide pour les optimiser. Ou encore donner la priorité aux opérations co-financées, rationnaliser les agences et offices et harmoniser des dispositifs « inassumables ».
 
Des pistes de recettes
En même temps, le président de l’Exécutif énumère des pistes de recherche de nouvelles ressources : négociations avec l’Etat sur l’identification des grands chantiers stratégiques, optimisation des crédits européens et surtout le statut d’autonomie avec le transfert de la recette fiscale. « Il ne faut pas en avoir peur, il ne faut pas rêver, mais c’est aussi créer de nouvelles taxes. Par exemple, taxer les opérations spéculatives aura un effet dissuasif sur celles qui ne se feront pas et génèrera des recettes par rapport à celles qui se font ». Il décline également des démarches innovantes, comme la création d’un outil de financement type banque de développement de la Corse, ou la mobilisation toujours espérée de l’épargne corse, « mais cela passe par la confiance », reconnait-il. Avant d’insister : « Nous allons, y compris avant le budget primitif 2023, approfondir nos discussions avec nos partenaires et l’ensemble des organismes que nous finançons parce que nous ne pouvons pas être dans une logique de recherche d’équilibre budgétaire et financer des organismes qui ne le sont pas. Le travail d’évaluation des politiques publiques est aussi une façon de vérifier que chaque euro investi par la CdC génère un retour sur investissement conforme à nos attentes. Il conditionnera nos investissements au respect des engagements que nous prenons ensemble ».

Des choix courageux`
Le DOB, qui ne débouche pas sur un vote, est l’occasion pour l’opposition de demander des explications et de faire des critiques, mais aussi des propositions. Et les élus ne s'en sont pas privés. Le groupe de droite U Soffiu Novu ironise, par la voix de Xavier Lacombe, sur une « autosatisfaction et le lamentu budgétaire » qui « sert à vous dédouaner de toute responsabilité dans la situation budgétaire ». Il estime l’objectif cible de 350 millions € « difficilement réalisable. Il faut faire des choix courageux ». Il tacle le niveau constant des effectifs : « Nous contestons le remplacement automatique des fonctionnaires partis à la retraite et regrettons que la fusion ne se soit pas traduite par une optimisation en termes de RH et de gestion du personnel. C’est intenable ». Egrenant des projets en attente, il déclare : « Nous attendons du concret. Mais avec quels moyens ? On ne pourra pas tout faire, maintenir l’investissement sans juguler le fonctionnement, c’est impossible. De votre propre aveu, 0,5 % de fonctionnement en plus, c’est 60 millions € d’investissement en moins ! Visons au moins la stabilisation ». Et prône « de transformer la plupart des EPIC en EPA, de fusionner des offices et de réintégrer l'OTC, l’OEC et l'AUE au sein de la CDC avec des directions qui exercent sensiblement les mêmes missions ». Le président du groupe, Jean-Martin Mondoloni, rappelle que cette structure financière inadaptée aux champs de compétences de la CdC n’a rien de nouveau. « Que des dépenses de fonctionnement soient incompressibles, que le maintien de l’investissement soit important, etc… on peut en discuter ». Et propose d’étudier trois gisements de nouvelles recettes : le fonctionnement, « il faut faire des choix », la mobilisation de l’épargne et l’autonomie fiscale « Si c’est utile à la Corse, pourquoi pas, on est prêt à y aller, si ce n’est pas intéressant dans une région pauvre comme la Corse, on n’y rentrera pas. C’est l’intérêt de la Corse qui doit primer ».

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Deux chocs majeurs
L’opposition nationaliste se veut, à ce stade pragmatique et constructive. Le président d’Avanzemu, Jean Christophe Angelini, demande de prendre en compte deux chocs : celui de la démographie et celui de la précarité. « La CdC est la région de France et l’une des rares régions d’Europe à vivre un choc démographique qui interroge et à l’endroit duquel on est obligé de réinvestir des politiques. L’île vieillit beaucoup. Elle sera l’une des régions les plus âgées d’Europe, elle fait peu d’enfants, mais sa population ne cesse jamais de croître à un rythme soutenu. On ne peut pas méconnaître cette réalité au moment où notre collectivité se propose d’ajuster les politiques publiques et d’inventer un train financier qui lui permette de les assumer ». Il en appelle à ouvrir le débat avec une question simple : « où allons-nous ? ». C’est, pour lui, le cœur du sujet ». Idem pour la précarité : « Ce qui m’inquiète, et vous n’êtes pas en cause, c’est que même en maintenant les dépenses sociales, on n’arrive pas à sortir les gens de la précarité. C’est, pour nous, après la PPE, une priorité ». S’il se montre circonspect sur l’efficacité immédiate des pistes de recettes. Il préconise de faire de la question fiscale et financière « la question première des négociations avec l’Etat. Si on ne le fait pas, on va avoir des difficultés majeures. De notre point de vue, l’acte 1 de l’autonomie de la Corse sera l’autonomie fiscale ».

Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Des efforts difficiles
La majorité territoriale monte aussitôt au créneau, par la voix de Louis Pozzo di Borgo, pour défendre « un document de transition » et le bilan de cinq ans de mandature : « Nous avons, année après année, toujours présenté des documents budgétaires de bonne facture. Nous avons une gestion exemplaire. Nous avons fait des choix partagés qui pèsent lourd aujourd’hui dans nos finances : une politique sociale très favorable pour les agents. Nous ne sommes pas dans une gestion difficile, mais dans des projections difficiles ». S’il agrée la nécessité de « changer l’approche au fonctionnement et à l’investissement », il fait valoir avec raison que ce qui est dit dans l’hémicycle, « quand on revient dans nos territoires, ce message-là est bien difficile à faire passer ». Et s’il reconnait que « la dette peut inquiéter, mais partout en France, c’est la dette qui finance les budgets », il tacle une « France, championne de l’endettement » qui impose aux collectivités « de rester dans le pacte de Cahors ». Il estime que les économies seront difficiles à faire : « une forte part de l’argent va dans les transports et les DSP, pas d’économie possible ! Le logement, on ne peut plus s’en passer ! Comment stopper la dépense sociale ?  L’équité territoriale ? Ce qui fera ici un simple battement d’aile de papillon fera une catastrophe à l’échelon inférieur ».
 
Des projets concrétisés
A la suite, Hyacinthe Vanni enfonce le clou en s’appuyant sur ses délégations au SIS 2B et aux chemins de fer : « On n’entend que ça : il faut réduire le fonctionnement. Que quelqu’un vienne m’expliquer, même quand on n’embauche personne, comment réduire l’équation où on doit assumer les décisions de l’Etat, les surcoûts des fluides, les surcoûts carburant qui se chiffrent quand même à 500 000 €… certains font peut-être des miracles, moi je n’y arrive pas ! Quand on nous dit « réduisez le fonctionnement des SIS » ! Avec la démographie, le réchauffement climatique, une activité touristique sans précédent et nos missions qui se multiplient : ravitailler les communes, les agriculteurs, être sur le terrain de plus en présents durant l’été, …, cela relève du miracle ! ». Pas question néanmoins de se décourager, il aligne les actions et les montants dépensés par l’Exécutif nationaliste pour remettre ces deux infrastructures à niveau : « des projets attendus depuis plus de 20 ans se concrétisent. Tout ne se fait pas en un jour, mais les réalisations sont là ». Le président de l’Exécutif entend les critiques et les propositions. Complétant la liste des investissements réalisés depuis cinq ans pour rénover les outils, le président de l’Exécutif conclut tranquillement : « Ce débat donne le feu vert au travail que nous avons vocation à mener et à réussir ensemble ».
 
N.M.