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Michel Stefani : « Le combat pour le progrès social et écologique est, pour nous, un enjeu politique central »


Nicole Mari le Jeudi 10 Juin 2021 à 20:28

« Vivre mieux en Corse », c’est, à la fois, le nom de la liste du parti communiste pour les élections territoriales des 20 et 27 juin, mais aussi le condensé de leur programme pour la Corse. Le combat contre les inégalités et l’injustice sociale est un marqueur de leur engagement, rappelle leur chef de file, Michel Stefani, qui fixe comme priorité absolue : la lutte contre la cherté de la vie. Il explique, à Corse Net Infos, qu’il faut démanteler les monopoles, stopper les détournements de réfaction de TVA, mieux contrôler les prix et dresser un bouclier social en faveur des plus modestes. Il propose également une politique ambitieuse de logements sociaux et un référendum sur les déchets.



Michel Stefani, Secrétaire régional du Parti communiste français en Corse, candidat aux élections territoriales avec la liste « Campà megliu in Corsica, Vivre mieux en Corse ».
Michel Stefani, Secrétaire régional du Parti communiste français en Corse, candidat aux élections territoriales avec la liste « Campà megliu in Corsica, Vivre mieux en Corse ».
- Votre liste s’appelle « Campà Megliu in Corsica ». Par quelles mesures concrètes comptez-vous améliorer le quotidien des gens ?
- Le combat contre les inégalités et l’injustice sociale est la principale caractéristique de l’action quotidienne des candidates et candidats qui composent cette liste. Ils sont engagés dans les entreprises, le monde associatif et les syndicats, dans le mouvement social et l’action populaire. Notre objectif est de porter ce combat pour le progrès social et écologique jusqu’à l’Assemblée de Corse et d’en faire un enjeu politique central. 
 
- Vous préconisez un bouclier social en faveur des plus modestes. De quoi s’agit-il exactement ?
- Selon nous la solidarité nationale doit servir en priorité à réduire la fracture sociale en faveur des plus modestes. En ce sens, nous posons la question de la juste répartition de la richesse produite dans notre région. En 20 ans, elle a progressé de 70% par habitant ! Cependant, une petite minorité s’est enrichie considérablement, et les inégalités ont continué à se creuser au détriment des précaires et des pauvres dont les conditions de vie se sont encore dégradées. Le bouclier social consisterait à ce que les aides attribuées aux entreprises soient assorties de contreparties pour, notamment, augmenter les salaires et stabiliser l’emploi. 
 
- Comment financer ces mesures sous la contrainte budgétaire qui pèse sur la Collectivité de Corse ?
- Il y a la contrainte budgétaire de l’austérité, mais nous l’avons vu avec la crise sanitaire, notre pays n’est pas sans ressource, et les critères, y compris imaginés par nos ministres dans le cadre de l’Europe libérale, ont tous volé en éclat. On dépasse les 100 milliards € d’engagements, rien que pour la France face à cette crise ! Cet argent public doit servir en priorité l’intérêt public. Ce choix, nous le défendons à l’échelle de la Corse car la solidarité nationale y est aujourd’hui captée - c’est le terme retenu par l’Autorité de la Concurrence - pour servir la rente, non l’intérêt public.
 
- Le problème N°1 des Corses est le pouvoir d’achat. Vous proposez un contrôle des prix et la fin des détournements de réfaction de TVA. Comment les mettre en œuvre puisque cela dépend du gouvernement qui est très loin de cette position ?
- Cela dépend du gouvernement, vous avez raison, mais encore faut-il que ce choix politique soit partagé par la majorité régionale à tout le moins ! Cela n’a pas été le cas. Nous l’avons vu au moment du vote du plan Salvezza & Rilanciu. Un consensus libéral a prévalu autour des 70 propositions patronales. Aucune ne prévoyait l’augmentation des salaires, le contrôle des prix ou la restitution des réfactions de TVA. Après quoi, il ne faut pas s’étonner si le gouvernement et Bruno Lemaire décident de maintenir le statuquo antisocial, refusent le contrôle des prix et la réaffectation des réfactions de TVA pour rendre du pouvoir d’achat aux ménages, aussi bien sur les biens de consommations courantes que sur les carburants. Nous avons été les seuls à protester après cette annonce du gouvernement. C’est significatif !

- Vous dites qu’il faut « mieux répartir les richesses » ? De quelle façon ? Augmenter les impôts ? En créer de nouveaux ?
- 194 millions € de TVA sont détournés en grande partie de leur objet pour augmenter les marges des distributeurs sur les produits consommables et les carburants. L’Autorité de la Concurrence, après l’Inspection générale des finances, a situé les responsabilités s’agissant de la cherté de la vie, même si, depuis 1989 et le grand conflit social, la situation était parfaitement connue. Ce qui a changé, c’est que désormais le pouvoir économique s’est concentré à travers le Consortium des patrons corses et le groupe Rubis. Tout cela fait système ! Et bien nous, nous disons qu’il faut s’attaquer à ce système pour obtenir son démantèlement.
 
- Vous affirmez que « la concentration des pouvoirs politique et économique pose un problème démocratique ».  Comment y remédier ?
- La centralisation du pouvoir politique, réalisée grâce à la suppression des Conseils généraux, a accompagné et renforcé, depuis 2018, la concentration du pouvoir économique, opérée avec la constitution du Consortium des patrons corses en 2016 afin de contrôler, en même temps que la distribution des marchandises, leur acheminement. La domination du groupe Rubis sur le secteur des carburants s’y ajoute, comme celle de Corsica Ferries sur le transport de passagers. La réglementation affiche l’intention d’empêcher les oligopoles et monopoles, mais nous savons que cela ne va pas de soi ! Il faut se battre pour obtenir leur démantèlement et mettre fin à leur domination antisociale.
 
- Tout comme le maintien du service public, que peut-on y faire au niveau local ? Tout cela dépend de Paris ?
- Non ! La Collectivité de Corse (CdC) dispose des compétences d’organisation de la desserte de service public et, pour ce faire, de 187 millions € de dotation de continuité territoriale. Pour autant, avec la promesse d’une organisation fondée sur l’improbable création d’une compagnie régionale, la majorité régionale se retrouve dans une impasse ! Il n’en faut pas plus à l’Autorité de la concurrence qui, pour réduire la dotation de continuité territoriale, préconise de mettre fin à la DSP (Délégation de service public). L’empilement des DSP, assorti de tests marché, n’aura pas débouché, contrairement à ce qui était affirmé, sur la fiabilité juridique escomptée. La majorité régionale, comme les précédentes, se retrouve confrontée à l’acharnement procédurier des actionnaires de Corsica Ferries et à une réglementation pondue au fur et à mesure de la libéralisation low cost recherchée. Nous proposons un renforcement de la DSP, la régulation du marché hors DSP avec des obligations tarifaires applicables en OSP (Obligation de service public) à tous les opérateurs afin d’empêcher le dumping commercial. Egalement, l’inscription des navires au pavillon premier registre français, e respect des obligations fiscales et sociales françaises, l’utilisation des excédents de la dotation de continuité territoriale pour faire baisser les tarifs.
 
- Vous voulez « sortir de la dépendance à la mono-activité du tourisme et relancer un projet industriel ». Lequel ? De quelle manière ?
- Quelle Corse voulons-nous en regardant les prochaines décennies ? Une Corse cantonnée dans la mono-activité touristique, ou une Corse qui se tourne résolument vers un développement productif pourvoyeur d’emplois stables et bien rémunérés ? La crise sanitaire a révélé l’état d’abandon du secteur industriel de la France, à tel point qu’aujourd’hui la ré-industrialisation devient essentielle pour retrouver une souveraineté dans des secteurs stratégiques. Des moyens sont alloués aux régions pour cela. La Corse se doit d’avoir une politique industrielle en s’appuyant sur ce qui se fait de mieux dans notre pays comme en Corse, qu’il s’agisse des nouvelles technologies, des grandes entreprises nationales comme EDF, ou de la recherche. Le succès scientifique de portée internationale obtenu par les chercheurs de la plateforme Stellamare, labellisée CNRS, qui ont réussi à reproduire des juvéniles de langouste rouge, montre ce qui peut être fait. Autant que Corse Composite Aéronautique, ou encore les entreprises de la transformation agroalimentaire.

Anissa Flore Amziane et Michel Stefani.
Anissa Flore Amziane et Michel Stefani.
- Vous prônez une politique ambitieuse du logement. Laquelle ?
- La Corse, en général, est un territoire dit « en tension ». Cette tension résulte du déficit de logements sociaux. Le taux de logements sociaux par rapport au nombre de résidences principales est de l’ordre de 10% en Corse pour une moyenne nationale de 17%. La production de logements sociaux demeure à un niveau insuffisant. Elle représente moins de 10% de la construction de nouveaux logements, soit un peu plus de 300 logements par an, alors que les besoins sont évalués à 500, voire 600, nouveaux logements sociaux par an. Nous proposons de lancer la construction de 600 logements sociaux par an sur dix ans.
 
- La tension est causée par la résidentialisation et la spéculation qui font flamber les prix et empêchent les Corses de se loger. Comptez-vous lutter contre cela ? 
- La mono-activité touristique est une économie de service fondée sur l’accueil touristique allant de l’ordinaire au haut de gamme, voire de luxe. C’est ce qui fait, par exemple, en Extrême-Sud, la forte densité de résidences destinées à cela. La pression spéculative en découle et nous voyons qu’avec elle, les dérives affairistes et mafieuses prospèrent. Un ménage sur 2 en Corse ne possède rien ! Avoir un toit, c’est avoir la possibilité de commencer un projet de vie. Ce doit être une priorité de l’action publique en Corse ! Dans les années 2000 avec Dominique Bucchini, nous nous étions battus pour obtenir la création d’un Office foncier afin de mieux maitriser cette action au service des collectivités locales. Outre la construction de logements sociaux, nous préconisons l’encadrement des loyers.
 
- Une bonne partie des candidats promettent la révision du PADDUC et son assouplissement. Quelle est votre position ?
- Le PADDUC sera révisé ! C’est prévu et normal ! C’est un outil d’aménagement du territoire. La complexité de la réglementation et parfois l’enchevêtrement contradictoire des Lois Littoral et Montagne nécessitent la plus grande concertation des différents acteurs en respectant la clause de compétence générale. Il faut aider les communes à se doter des documents d’urbanisme. Les élus locaux sont les mieux à même de définir, avec les populations concernées, l’aménagement du territoire où ils vivent. Nous rejetons l’idée d’une tutelle de la CDC qui pourrait s’exercer. Il faut renforcer la coopération et la concertation.
 
- Autre point noir : les déchets Quelle est votre stratégie pour sortir de l’impasse ? Un incinérateur ? L’augmentation du tri ?
- La maîtrise publique de la gestion des moyens doit permettre de garantir la cohérence et l’efficience d’une politique de traitement des ordures ménagères conforme aux normes sanitaires. La protection de l’environnement, la réduction des coûts qui pèsent sur les ménages et la décision démocratique sont les dimensions essentielles de la politique que nous préconisons. La majorité régionale n’a tiré aucune leçon des crises successives depuis 2015 ! Comme cela était prévisible, la généralisation du tri tarde à atteindre le niveau de référence à 60%. La politique d’enfouissement est maintenue, comme l’exportation couteuse des ordures, il est même possible qu’elles le soient en Sardaigne pour y être incinérées. Trop polluante chez nous, l’incinération ne le serait plus chez nos voisins ! Si augmentation de la fiscalité il y a eu, c’est bien en raison de cette politique ! Nous avons vu, par exemple, la majorité des élus de la CAB, les maires de Bastia, Santa Maria di Lota, San Martino di Lota, Ville de Pietrabugno et Furiani, Gille Simeoni compris, voter une hausse de 50% de cette taxe. Nous proposons la mise en œuvre de plusieurs techniques complémentaires pour franchir et réduire la période transitoire le plus possible afin d’atteindre un niveau de tri suffisant. Cela implique la valorisation thermique et la production d’énergie. En même temps, il s’agit de diminuer les impacts de pollution, notamment du transport, de faire baisser la fiscalité pesant sur les ménages, de renforcer notre autonomie énergétique. Enfin, selon nous, la sortie de la crise passe par la consultation des Corses. Un référendum doit être organisé rapidement afin que les Corses puissent se prononcer en connaissance de cause à partir de l’ensemble des éléments.
 
- Votre position sur la question de l’évolution institutionnelle a-t-elle changé ?
- Notre priorité, c’est le combat contre les inégalités ! Leur aggravation montre que les évolutions institutionnelles n’ont pas répondu à l’urgence sociale qui s’est accrue. Avec la collectivité unique, nous assistons, à la fois, à une concentration du pouvoir et à un asséchement de la démocratie. Cette élection le confirme : le débat ne se pose qu’en termes de pouvoir ! Nous savons qu’il était même question de mettre en cause la clause de compétence générale qui garantit la libre administration des collectivités locales.
 
- La liste RN fait campagne sur l’immigration, l’insécurité et l’islamisme tant au plan national que local. Est-ce pour vous un sujet en Corse ?
- Le combat contre ceux qui exploitent exige l’unité des exploités ! L’intérêt des travailleurs, donc du peuple, c’est bien cela : s’unir dans les luttes pour améliorer les conditions de vie de tous.
 
- Si vous êtes élu, quelle serait, pour vous, le dossier le plus urgent à traiter ?
- La cherté de la vie.
 
- Quel mot résumerait votre projet politique ?
- Vivre mieux en Corse !
 
Propos recueillis par N.M.