Corse Net Infos - Pure player corse

Maison de l’Architecture de la Corse : "Si les gens comprennent mieux le lieu où ils vivent, peut-être sera-t-il moins dégradé ?"


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Lundi 1 Mai 2023 à 17:23

Faire en sorte que chacun prenne conscience de son cadre de vie et devienne co-acteur de son aménagement, c’est un peu la mission que s’est fixé la Maison de l’Architecture de la Corse. Michèle Barbé en est la présidente depuis sept ans. Cette architecte, qui a exercé son métier au sein de son propre cabinet durant 35 ans et qui aujourd’hui s’intéresse plus particulièrement à la médiation d’architecture, nous présente cette structure.



Michèle Barbé - © Antoine Seguin
Michèle Barbé - © Antoine Seguin
- Une « Maison de l’Architecture », c’est quoi ?
- La Maison de l’Architecture de la Corse est une association loi 1901 comme il en existe dans toutes les régions françaises. Le terme n’est peut-être pas le plus approprié parce que les gens nous confondent souvent avec l’Ordre des Architectes. Notre objectif, c’est de sensibiliser les habitants à l’architecture. L’architecture, c’est un terme très large. Beaucoup de personnes pensent que ça ne s’adresse qu’à des spécialistes. Ils ne se sentent pas concernés, sauf pour ce qui est de la maison individuelle… Or en réalité, c’est la construction, la fabrique du territoire.  D’ailleurs, je suis également membre du CESEC, où je préside la Commission politique environnementale, aménagement, développement des territoires et urbanisme. L’espace dans lequel on vit, ça se construit… Si les gens comprennent mieux le lieu où ils vivent, peut-être sera-t-il moins dégradé ?

- Vos actions sont donc destinées à un public très large ?
- Tout à fait. D’ailleurs, notre association, qui compte une centaine de membres, est ouverte à tous. Et le Conseil d’administration n’est constitué que pour moitié d’architectes.
Les architectes sont là pour faire du débat, bien sûr. Leur formation leur permet d’être experts pour faire du projet, notamment pour “spatialiser” le cadre de vie. Mais nous avons aussi une écrivaine, des enseignants, une psychanalyste… Des gens de tous horizons…

- Toutes les Maisons de l’Architecture fonctionnent-elles sur le même modèle ?
- Non. Chacune a sa politique spécifique, car chacune a son identité, en relation avec son territoire. Et c’est la même chose pour les membres de l’association…
Par ailleurs, nous appartenons à un réseau qui rassemble trente-trois Maisons d’Architecture.

- Comment envisagez-vous votre rôle ?
- Notre rôle, c’est de faire de la pédagogie, de la sensibilisation, à travers des projets. Aujourd’hui, avec le Conseil d’administration, nous essayons d’être toujours plus présents sur le territoire : créer du débat, un dialogue, questionner les habitants pour qu’ils comprennent mieux le lieu dans lequel ils habitent, les questionner… Car tout est devenu plus complexe : on parle de la transition énergétique ; de la loi climat ; de la loi sur l’eau… Les gens sont perdus… En partenariat avec la Collectivité, les communes, les communautés de communes, les services de l’État, nous essayons à notre échelle, d’être auprès des habitants des villages pour expliquer tout cela en direct …

- Au sein de tous ces acteurs, avez-vous une spécificité ?
- Nous voulons être au plus près du terrain. Et surtout rester dans le questionnement. Parce que nous n’avons pas les réponses : les réponses, nous les construisons ensemble… Avec les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, il nous faut construire autrement le lieu que nous habitons. Ça passe par les documents d’urbanisme : le PADDUC, le PLU… Avant, les gens ne se projetaient pas dans les dix ou quinze ans. Maintenant, ils y sont plus sensibles. Si avec certains outils, nous pouvons les questionner en amont sur ce qu’ils veulent faire de leur cadre de vie, cela pourrait contribuer à faire changer les choses. Quand on pense, par exemple, isolation d’un bâtiment, peut-être faut-il se poser aussi la question de planter des arbres qui feront de l’ombre l’été ? et dont les racines retiendront l’eau… Car on manque d’eau : faut-il que toute l’eau reparte à la mer ? Ou faut-il la retenir sur le terrain ? Il faut penser aussi biodiversité… les abeilles… En fait, il faut peut-être réfléchir sur toute la parcelle, sur le quartier… C’est transversal.

- L’architecture, ce n’est donc pas seulement le bâtiment, la construction ?
- Non. Le métier d’architecte a évolué. D’ailleurs, il faut dire que nous avons de très bons architectes en Corse, une jeune génération de très bonne qualité. Il faut faire appel à eux !

- Quelles sont les actions que vous menez ? 
- Nous organisons notamment des résidences d’architecture. Il y a un axe sur lequel nous travaillons beaucoup parce que nous avons pensé que cela pourrait intéresser les gens : c’est le tourisme. Il a des répercutions en matière de saisonnalité ; avec des coûts – les réseaux, les déchets… – des impacts collatéraux négatifs… Mais positifs également : car c’est aussi la relation à l’autre, à la culture… Il permet de développer des échanges, des rencontres : il faut trouver un équilibre. Il y a six ans, nous avons réalisé la première résidence à Bunifaziu, une ville historique confrontée au tourisme. La ville s’intéressait à cette réflexion – c’était nécessaire, et d’ailleurs elle a financé en partie l’opération. 
Au sein de la résidence, il y avait un architecte mais également une personne du monde de la culture : en l’occurrence, un photographe. Nous leur avons donné des contacts sur place, pour qu’ils puissent questionner les personnes : comment ils vivaient cette saisonnalité, le tourisme… Et pas seulement ceux qui en vivent. Également ceux qui vivent au milieu de ça, qui sont donc concernés par les désagréments mais aussi par les échanges, la création d’événements culturels… 

- Une résidence d’architecture se déroule comment ? 
- Nous répondons à des appels à candidature : nous sommes libres de proposer un sujet en relation avec le territoire, sous réserve de démontrer que c’est une problématique du territoire et ce que ça va pouvoir lui apporter. Nous avons été retenus quatre fois, pour des résidences qui ont été financées par la Caisse des dépôts, le réseau des Maisons d’Architecture, le Conseil national de l’Ordre et également les municipalités : à Bunifaziu, mais également en Balagne (Lama et Olmi-Cappella) sur le thème Le tourisme culturel, une réponse aux villages en cours de désertification, en Alta Rocca sur le thème Trans’humans en 2030, enfin en Fium’OrbuCastellu, sur Repenser le tourisme. Le travail s’appuie sur des séjours de trois fois deux semaines en immersion, de mai à octobre. Les résidents questionnent les habitants, puis ils construisent leur projet en donnant du sens à cette parole. Enfin, ils font une restitution publique. Les gens ne viennent pas en foule, mais on a généralement de cinquante à quatre-vingts personnes ; et c’est déjà bien. Les modalités de ces résidences sont toujours différentes parce qu’elles dépendent de la personnalité, des profils des participants, mais également des lieux. A Bunifaziu, une exposition a été organisée. Et une présentation dans les écoles. Il reste toujours des traces de ces interventions : des photos, de petites vidéos, des catalogues… tout ce qui peut permettre de diffuser les résultats. Au cours de ces actions de médiation, je me suis rendu compte des richesses qui existent en Corse, des cultures différentes. Au-delà de la nature, il y a les villages aux architectures différentes. Et la manière dont ça s’est construit, l’histoire… Il y a une diversité de territoires en lien avec la géographie et l’histoire. 

- D’autres actions ? 
- En 2019, nous avons créé le premier Palmarès d’architecture de Corse. Nous avons lancé un appel à projet auprès des architectes pour des projets qui avaient été réalisés en Corse – donc des professionnels extérieurs à l’île pouvaient participer. Nous avons recueilli 120 projets, examinés dans le cadre d’une commission technique locale transversale qui comprenait aussi des interlocuteurs du monde de la culture comme un producteur vidéo ou un photographe… puis d’un jury national, avec pour objectif de faire connaître aussi ces projets en dehors de l’île. Nous avons réalisé une exposition itinérante des lauréats et un catalogue de l’ensemble des projets, toujours avec l’idée de montrer la diversité des architectes qui construisent en Corse et la qualité des projets d’architecture. On nous a demandé de lancer un nouveau palmarès pour 2023. Vous parliez d’une dimension trans-générationnelle. 

- Avez-vous des actions qui font intervenir de jeunes professionnels ? 
- Suite à une sollicitation de la DRAC, un de nos partenaires, nous avons effectivement participé à des workshops dans des écoles d’architecture, sachant qu’il n’y a pas d’école en Corse. Cinquante étudiants de l’école de Marseille sont venus à Aiacciu pour réfléchir sur la citadelle : un travail en immersion, nourri par des échanges, des conférences d’acteurs culturels pour comprendre l’histoire, l’architecture du lieu, une liste de livres à lire… Avec une exposition sur leur ressenti, en première étape, puis un projet à élaborer. Des maquettes ont par la suite été présentées à la population. C’est intéressant parce que ce sont des visions d’avenir, à travers les yeux de jeunes professionnels qui en sont à leur projet de fin d’études. 

- Quelques conférences sur l’histoire et la culture, est-ce suffisant pour être en capacité de faire des propositions pertinentes sur une région qu’on ne connait pas ? 
- En fait, c’était trente ou quarante esquisses de projet. Comme une mosaïque de possibles. Le fait qu’ils ne soient pas du territoire permet un regard neuf, alimenté par une culture qu’on leur apporte. Cela permet de nourrir l’imaginaire. Le workshop s’étale sur six mois, c’est très court. Le projet lui-même, ce sera les gens locaux, en rentrant dans la vision de la ville, en tenant compte des moyens, des phasages… Forcément différent. Et puis, il existe en Corse deux groupements d’architectes qui ont reçu des prix nationaux : ils travaillent aussi sur le continent. L’architecture doit être un échange, à partir du regard qu’on porte sur le lieu et son histoire ; sur sa place dans la ville, avec les habitants. Nous travaillons aussi avec l’école de Nantes, dans le cadre d’appels à manifestation d’intérêt. En 2022, en partenariat avec la DRAC, la Collectivité et les communes, nous avons ainsi répondu dans le cadre du programme Petites villes de demain, sur Ile-Rousse, Bunifaziu, Portivechju : ici encore, les élèves sont revenus en Corse expliquer leurs projets avec des maquettes, créer du débat, nourrir l’imaginaire. Cette année, toujours avec Nantes, en partenariat avec le nouveau CAUE 1 , c’est un projet Avenir Montagnes : sur le thème Quel tourisme pour la montagne demain ? La Communauté de Communes de Castagniccia-Casinca a été retenue dans ce plan. Il y aura un retour en octobre. 

- Qu’est-ce qui vous paraît essentiel dans l’action que vous menez ? 
- A la fois la nécessité que les habitants se sentent concernés, compte tenu de la complexité du monde de demain. Et la possibilité qui nous est offerte, avec les nouvelles façons de faire, de “donner quelques billes” aux élus sur le sujet.
"3b" : Atelier Hors les Murs Petites Villes de Demain 2022 / présentation par les étudiants de leur projet aux élus
"3b" : Atelier Hors les Murs Petites Villes de Demain 2022 / présentation par les étudiants de leur projet aux élus