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Loi Valletoux : les inquiétudes du collectif médecins libéraux de Haute-Corse


Philippe Jammes le Samedi 15 Juillet 2023 à 11:38

Suite au pré-projet gouvernemental de loi Valletoux, un collectif de 83 médecins libéraux de Haute-Corse vient de se créer, ML2B, prolongation corse du mouvement national « Médecins pour demain » qui dénonce ce projet de loi. Rencontre avec le docteur Cyrille Brunel, porte-parole de ML2B.



Loi Valletoux : les inquiétudes du collectif médecins libéraux de Haute-Corse
Fin juin l’Assemblée Nationale a adopté la proposition de loi Valletoux. Elle doit être maintenant soumise aux votes des sénateurs. Cette loi vise à favoriser l'engagement territorial des professionnels de santé et donc l'accès aux soins, renforcer la permanence des soins, créer la fonction d'infirmier référent, encourager à exercer dans les déserts médicaux...


Pour bon nombre de médecins la loi est source de beaucoup de craintes, d’inquiétude voire de révolte à l’image du syndicat dur UFML, Union Française pour une Médecine Libre, et surtout pour l’association « Médecins pour demain ». Pour cette dernière qui regroupe 18 000 médecins en France, il s’agit là d’une "loi creuse et démagogique, ajoutant de l’administratif et de la coercition là où les médecins en demandent moins."
Au cœur de la loi notamment les CPTS, Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, qui regroupent les professionnels d’un même territoire qui souhaitent s’organiser, à leur initiative, autour d’un projet de santé pour répondre à des problématiques communes. Pour « Médecins pour demain » l’incitation à l’adhésion aux CPTS "ressemble étrangement au CET refusé par les syndicats lors des dernières négociations conventionnelles."


En Corse, le collectif ML2B qui vient de se créer entend bien lutter lui aussi contre cette proposition de loi et a adressé en ce sens un courrier à l’ARS de Corse et à la CPAM.
Les explications du docteur Cyrille Brunel, généraliste à Furiani, qui mène le combat.

"Il faut remettre le médecin au centre de la gestion des soins"

- Votre première action ?
- Aujourd’hui nous souhaitons rencontrer l’ARS et la CPAM pour leur exposer nos craintes et nos attentes dans la perspective notamment de futures négociations conventionnelles qui orienteront la médecine de demain. Des réunions entre médecins corses ont permis de dégager des attentes communes aux médecins libéraux. Ce projet de loi Valletoux a fait déborder le vase. Cela fait 40 ans que notre système de soins est en incurie.


Quelles sont ces attentes ?
- Il y en a 4. L’exercice de la médecine est basé sur la relation singulière patient/médecin. Il est donc légitime que les médecins soient des acteurs incontournables des discussions et décisions concernant l’évolution de l’exercice médical. Il faut remettre le médecin au centre de la gestion des soins. On veut être acteurs et décideurs. Deuxièmement : garantir au médecin libéral sa liberté d’exercer et les moyens dans son exercice. Troisième point, créer un choc d’attractivité de la médecine libérale, nécessitant une revalorisation financière, mais également une meilleure reconnaissance de la part des institutions. On souhaite une augmentation financière forte des consultations pour qu’on puisse embaucher des gens en secrétariat par exemple. Parmi les critères du gouvernement pour être augmenté, on nous demande de travailler 50 semaines sur 52 ! On ne veut plus d’aides conditionnées à leurs abaques. Enfin quatrièmement, la prise en compte de la dégradation des conditions d’exercice liées, d’une part à la pénurie de l’offre de soins, libérale et hospitalière entraînant l’épuisement, un sentiment de culpabilité face à l’impossibilité de répondre aux besoins des malades et en conséquence l’agressivité des patients que nous subissons, ainsi que nos secrétariats, de plus en plus au quotidien. D’autre part les conditions d’exercice en mode dégradé sont aussi lié à la coercition grandissante et à la surcharge administrative croissante.


- Vous dénoncez à ce sujet certaines demandes transmises par l’ARS et la CPAM…
- Les exemples sont nombreux ! Comme la demande de volontariat pour épauler les urgences du Centre Hospitalier de Bastia cet été avec des réquisitions envisagées en cas de renfort insuffisant. Et ce alors que parallèlement on nous demande de mettre en place un système complexe d’accès à des soins non programmés dans nos cabinets, nos urgences à nous en quelque sorte ! C’est déshabiller Pierre pour habiller Paul. Autre exemple, la demande de majoration de la patientèle pour que tous les patients en ALD, Affection longue durée, aient un médecin traitant. 3e exemple, la mise sous objectif de certains médecins pour la prescription d’arrêt maladie sur des arguments statistiques. Dernier exemple, la multiplication des réunions d’information sans discussion possible.

- Quelles sont aujourd’hui, en moyenne, les charges de travail d’un médecin libéral ?
- L’exercice libéral est un choix courageux. Un médecin libéral travaille entre 50 et 60 heures par semaine, assurant 96% des urgences médicales, les soins non programmés, et 90% des consultations. Les 10% restant se faisant à l’hôpital. Et en assurant cela, on vient en aide à l’hôpital. Comment, en 2023, peut-on demander une telle surcharge de travail à une profession qui déplore 2,6 fois plus de suicide que la population générale ? C’est inquiétant et en même temps choquant, car cela n’émeut personne. Moralement c’est très dur, car on laisse des gens sur la route, car on n’a plus les moyens, plus assez de temps. L’état nous accorde 10 minutes par patient !


- Que souhaitez-vous à ce jour ?
- Pouvoir continuer à prendre en charge correctement nos patients et garantir l’accès aux soins. Ce qui sera impossible si la pénurie de professionnels de santé libéraux s’aggrave encore, sous l’impulsion de la coercition. Il ne faut pas se leurrer, les jeunes médecins vont fuir la médecine libérale et les futurs retraités, ou les retraités en cumul emploi-retraite qui nous aident beaucoup vont rapidement quitter le navire. Sans compter aussi la fragilisation de la santé des médecins actuellement en service…


- Et pour vous cela passe par de la concertation.
- En effet, il conviendrait que les décisions verticales qui s’abattent sur notre profession, et dont on en a marre, se transforment en de véritables décisions coconstruites, pratiques, pragmatiques. On en a marre aussi que des gens nous expliquent comment travailler. Pour nous, le socle c’est un soignant en face d’un patient. Aujourd’hui on en arrive à une logique technico-comptable qui nous dicte combien travailler pour bien travailler ! Et ça, ça nous rend fous. Nous n’avons pas le temps à consacrer à des réunions ou constitutions de dossiers pour rentrer dans des maquettes préétablies. Nous n’avons pas de temps à gaspiller pour nous justifier. Il est temps de nous faire confiance et de stopper la coercition. C’est pour toutes ces raisons, pour discuter de l’avenir de la médecine libérale et d’un nouveau mode de coopération que notre collectif invite l’ARS et la CPAM à une réunion le 20 septembre à Bastia. Il est important d’agir vite avant que la médecine de ville ne s’écroule comme c’est le cas de l’hôpital public. On souhaite aussi rencontrer nos élus locaux. Pour vous dire : on est en bout de course et on est vraiment inquiets pour nos patients.