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Le glas a sonné à Carghjese : 21 mars 2024, deuxième anniversaire de la mort d'Yvan Colonna


La rédaction le Jeudi 21 Mars 2024 à 16:10

Le glas a sonné ce jeudi matin à Carghjese pour rappeler que, victime d'une sauvage agression le 2 mars 2022 au matin dans une salle de sport de la prison d’Arles, Yvan Colonna était mort le lundi 21 mars en fin de journée à l’hôpital de la Timone à Marseille où il avait été transféré quelques heures après avoir été découvert en arrêt cardiorespiratoire par les surveillants de la prison.



Haie d’honneur à Ajaccio pour la dépouille mortelle d’Yvan Colonna (Photo Michel Luccioni)
Haie d’honneur à Ajaccio pour la dépouille mortelle d’Yvan Colonna (Photo Michel Luccioni)
Le 2 mars au matin, quand Yvan Colonna entre dans la salle de sport de la maison centrale d’Arles où il est incarcéré depuis fin 2012, nul ne peut imaginer le scénario ahurissant qui va s’y dérouler dans une incroyable léthargie pénitentiaire. Alors qu’il est seul, sans surveillance, en train de faire de la musculation, le militant nationaliste est subitement agressé par un codétenu qui tente de l’étrangler à mains nues, puis de l’étouffer. Personne n’arrête l’agresseur, Franck Elong Abé, pendant les neuf minutes que dure son geste meurtrier. Cet islamiste radicalisé, condamné pour terrorisme, qui effectuait un service de nettoyage, donne comme mobile, le lendemain, aux enquêteurs, un « blasphème envers Dieu » qui ne convainc personne en Corse. Aucun incident n’ayant été signalé entre les deux hommes. On apprend quelques heures plus tard que la scène a été filmée. Pourtant, ce n'est qu’en milieu de matinée qu'Yvan Colonna est retrouvé inanimé, en arrêt cardiorespiratoire, par un surveillant, et transféré à l'hôpital d'Arles, puis en urgence à l’hôpital Nord de Marseille, dans un état de coma post-anoxique, conséquence d'une privation d'oxygène dans le cerveau. La nouvelle atteint l’île, en fin de matinée, en pleine célébration des 40 ans de l’Assemblée de Corse et du statut particulier, plongeant les responsables nationalistes dans une totale sidération, avant de se répandre comme une trainée de poudre. Le choc s’accentue vers 14 heures quand des médias nationaux, citant des sources policières et ministérielles, publient la mort du berger de Cargèse. L’information est démentie à 14h30 par une source médicale qui affirme qu’Yvan Colonna est en réanimation en état de mort cérébrale.
 

En fin d’après-midi, les partis autonomistes et indépendantistes, les syndicats étudiants et les organisations de soutien aux prisonniers politiques lancent des appels au rassemblement devant les préfectures d'Aiacciu et de Bastia et devant la sous-préfecture de Corti. Plusieurs centaines de militants s’y retrouvent dans un calme relatif pour rendre hommage à celui qui a toujours nié son implication dans l’assassinat du préfet Erignac pour lequel il avait été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sureté de 18 ans, et qui, au fil des années, est devenu un symbole de résistance pour la jeunesse corse. L’émotion et « une immense tristesse » dominent, selon le mot du président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni. Et aussi « un profond sentiment de colère et d’injustice » devant les conditions obscures de cette tentative d’assassinat. « On peut se demander comment dans une prison sécurisée avec des détenus particulièrement surveillés (DPS), on a pu assassiner un homme sans défense », réagit immédiatement l’ancien avocat d’Yvan Colonna. Avant de pointer du doigt « la responsabilité accablante de l’Etat. Si le droit au rapprochement avait été appliqué, ce qui s'est passé ce matin, ne se serait pas produit. L’Etat, par son mépris, son refus du dialogue, sa volonté délibérée de ne pas appliquer le droit, a créé délibérément les circonstances de ce drame et en est le responsable principal. Donc, une situation politique gravissime ». Un sentiment largement partagé dans l’île. Yvan Colonna, libérable depuis juillet 2021, réclamait en vain, comme Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, son transfert à la prison de Borgu, une demande systématiquement rejetée en raison de son statut de DPS que l’Etat refusait obstinément de lever. La famille Colonna, par la voix de Me Spinosi, fait part de « sa forte colère et de son incompréhension » et demande des comptes à l’Etat.


Le 3 mars, le gouvernement admet « un dysfonctionnement majeur » et annonce l’ouverture d’une enquête judiciaire et le déclenchement d’une enquête administrative. Le Parquet national antiterroriste se saisit de l’affaire en raison du profil de l’agresseur. Le Premier ministre promet que toute la lumière sera faite sur ce que l’on qualifie désormais, dans l’île comme sur le continent, de « faute grave » et de « scandale d’Etat ». La facilité avec laquelle l’auteur des faits a agi engendre la suspicion, l’idée d’une « tentative d'assassinat préméditée » fait rapidement son chemin dans l’île. Yvan Colonna est toujours dans le coma, mais personne n’est dupe. A la prison de Borgu, les détenus inquiets font la grève du plateau, demandant des nouvelles de son état de santé. Les rassemblements grossissent devant les préfectures, la tension monte au niveau de la jeunesse. L’université de Corti est bloquée. Sur la façade, deux banderoles en langue corse donnent le pouls de l’état d’esprit insulaire avec les deux slogans qui scanderont la révolte : « Statu francese assassinu » et « Gloria a te Yvan ». Alors qu’Amaury de Saint-Quentin, le nouveau préfet de Corse, débarque à Aiacciu, les syndicats étudiants, réunis en assemblée générale, appellent à une manifestation unitaire, le dimanche suivant à Corti, relayée par les partis nationalistes.
 

Le gouvernement jette de l’huile sur le feu en annonçant l’envoi de 150 gendarmes mobiles et CRS en renfort sur l’île. Le leader indépendantiste de Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, dénonce une « escalade. Non seulement malvenu, mais c'est malsain. C'est une réponse militaire à un problème politique ». Le 4 mars, le bateau de la Corsica ferries, qui transporte ces renforts, est bloqué au large du port d'Ajaccio par le syndicat STC Marins qui refuse de laisser débarquer les gendarmes, lesquels repartent à Toulon. Gilles Simeoni demande, avec l’accord de la famille, l’installation immédiate, comme la loi le permet, d’une Commission d’enquête indépendante composée de parlementaires français et d’élus de l’Assemblée de Corse afin que toute la lumière soit faite sur l’assassinat. « On ne peut pas laisser, ni étouffer, ni enterrer l’affaire ! On se battra pour que la justice soit rendue à Yvan, comme on se bat de façon générale pour la justice en Corse ! », martèle-t-il. Dans un communiqué, la famille Colonna dénonce une « tentative d’assassinat » et annonce qu’elle se porte partie civile. Le soir, la mobilisation gagne la Balagne et toutes les strates de la société et de la politique corses dans une demande unanime de justice et de vérité, sans, pour l’instant, déborder.


La colère contenue explose le 6 mars à Corti où la manifestation rassemble près de 15 000 personnes selon les organisateurs, 4500 selon la police. Les incidents éclatent, en tête de cortège, au rond-point devant la Préfecture où a été dressé un mur anti-émeutes derrière lequel les forces de l’ordre ripostent par des grenades de désencerclement. Malgré la violence des heurts, la foule, où se côtoient toutes les sensibilités politiques, ni ne bouge, ni ne condamne. La journée se solde par une quarantaine de blessés légers, dont les deux tiers de manifestants. Deux heures avant le début de la manifestation, le Parquet national anti-terroriste fait une conférence de presse pour annoncer la mise en examen de Franck Elong Abé pour « tentative d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste ». Eludant les questions sensibles et les zones d’ombres, il se borne à expliquer qu’il s’agit d’un acte terroriste d’un islamiste radical. « Lorsque on ne donne pas d’explications qui se tiennent … à l’émotion, à l’indignation succède la colère ! », déplore Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse. « Les jeunes Corses et leur peuple ressentent un sentiment profond d’injustice qui augure de jours sombres », réagit Jean-Baptiste Arena, élu de Core in Fronte. La suite lui donne raison. La colère va crescendo, les actions de soutien à Yvan Colonna se multiplient. Le 7 mars, jour de la rentrée scolaire, des lycées et collèges sont bloqués un peu partout dans l’île. Les appels à l’apaisement de Gilles Simeoni et de l’évêque de Corse, Mgr Bustillo, ne sont pas entendus. La tension va très vite s’embraser.


Le 21 mars, après une semaine d’accalmie, la famille d’Yvan Colonna annonce son décès. Le 23 mars à 22 heures, sa dépouille, rapatriée à Aiacciu, est accueillie par une haie d’honneur et une foule qui accompagne silencieusement le cercueil jusqu’au funérarium. Des veillées funèbres sont organisées partout dans l’île. Les obsèques sont célébrées devant plusieurs milliers de personnes le 25 mars dans son village natal de Cargèse. La tension retombe lentement. Le 3 avril, la troisième manifestation à Aiacciu continue de rassembler 14 000 personnes selon les organisateurs, 3500 selon la Préfecture et rallume une brève mais violente flambée de violence et de guérilla urbaine qui fait une trentaine de blessés. Elle clôt une séquence d’un mois qui a plongé la Corse dans le chaos et obligé Paris à prendre une réalité qu’il ignorait jusque-là méthodiquement.