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Le dernier documentaire du réalisateur corse François Charles sélectionné pour participer un festival de cinéma en Inde


Cécile Orsoni le Mardi 14 Mai 2024 à 11:58

OPD, documentaire d'immersion dans le milieu gay de Corse, vient d’être sélectionné à un festival de cinéma LGBT+ en Inde où il sera projeté à la fin du mois de mai. OPD sera également diffusé le 15 mai prochain, à la Fabrique de Théâtre à Bastia, à 19h30. Entretien avec François Charles, son réalisateur bastiais de 40 ans.



Photo Elise Timothy pour Arte et Mare. Facebook.
Photo Elise Timothy pour Arte et Mare. Facebook.
- Votre documentaire OPD est sélectionné au festival de Out & Loud Pune International Queer Film Festival en Inde. Quelle a été votre réaction ?
- L'Inde c'était vraiment inattendu et c'est extraordinaire ! C'est une immense nation de cinéma. C'est la première sélection internationale du film en dehors d'Europe après Omovies à Naples en décembre dernier. Le film sera projeté entre le 24 et le 26 mai prochain au Goethe-Institut Max Mueller Bhavan à Pune (petite ville de 3,75 millions d'habitants à 3h30 de Bombay) dans l'État du Maharashtra. Le festival Out & Loud est adossé à l'ONG MIST LGBTQ Foundation qui œuvre sur le terrain de la visibilité, de l'inclusion et de la lutte contre les violences et discriminations lgbtphobes. Et il compte parmi ses partenaires, entre autres, l'Alliance française de Pune et l'Institut français d'Inde. Je trouve cela extraordinaire qu'un petit film documentaire à micro budget sur le milieu gay corse puisse toucher à l'autre bout du globe. Je me dis que nous avon bien bossé avec l'équipe, toutes les personnes associées au projet, notamment les témoins du film et nos partenaires, et je suis extrêmement fier. S'ils m'invitent à venir en Inde, je m’y rendrai !

- De quoi parle votre documentaire et pourquoi ce titre ?
- OPD est un documentaire d'immersion de 36 minutes dans le milieu gay de Corse, dans l'île et sa diaspora. C'est un film sur la libération de la parole. Il parle aussi de l'amour et de la rage du cinéma. Le titre vient de l'époque où je fréquentais le bar gay l'Énigme à Bastia. À chaque fois qu'on rentrait dans l'établissement, pour nous macagner les videurs criaient "ò pédé" avec l'accent corse, ce qui me faisait beaucoup rire. OPD c'est en mémoire de cela. Le film s'appelait au départ "Ò PD !" c'est devenu OPD, écrit ainsi, comme un nom de fichier à enregistrer pour classer les rushs. Mais j'aurais dû appeler le film “OBD” avec l'accent, c'est d'ailleurs le titre de la musique originale réalisée pour le film par le duo Elpa – Vincent Albertini, Pasquà Pancrazi.

- Comment avez-vous travaillé sur ce documentaire ?
- À partir de mon réseau personnel, d'annonces et de recherches sur les applications de rencontres, etc. Je suis allé recueillir la parole de tous ceux qui ont accepté de témoigner de façon anonyme comme à visage découvert. Je salue leur courage car ce n’est jamais évident de parler d'un truc aussi personnel et intime face à un micro et une caméra.

- Comment est né ce projet ? 
- Le projet est né en 2016 d'une discussion avec des camarades du monde de la culture, du cinéma, sur ce qui manquait dans le panorama du cinéma contemporain sur la Corse. À l'époque, la question de l'homosexualité sur le territoire de la Corse n'avait pas été été vraiment traitée en tant que telle, ou du moins seulement esquissée (je pense par exemple au travail de Marie-Jeanne Tomasi). Mais au départ, j'avais beaucoup de réticence à l'idée de faire ce film, d'abord parce que je n’en avais pas envie. Je pense que j'avais dépassé mes traumas et je n’avais pas nécessairement envie de m'y replonger et plonger dans ceux des autres. Et ensuite, je trouvais que ce n'est pas parce que je suis corse et gay, qu'il fallait que j'en fasse un film... Je trouvais cela cliché ! J'avais aussi peur que cela m'enferme dans une case. Mais quand j'ai commencé à en parler autour de moi, à enquêter, au vu des réactions de peur, de refus de parler, je me suis dit qu'en fait il y avait un vrai sujet de film sur la question du silence, de l'invisibilité, de l'omertà.

-  Y a-t-il une homophobie particulièrement marquée en Corse ? 
- Je ne crois pas qu'il y ait une homophobie "particulière" au sens où la Corse serait anormale. Je pense qu'il est difficile de vivre son homosexualité en Corse pour des raisons différentes que sur le continent. Il n’est pas tant question de la dangerosité liée à un contexte de violence, même si cela existe, et OPD d'ailleurs le met clairement en lumière grâce au courage de ceux qui le dénoncent par leurs témoignages dans le film. Mais je pense aussi à l'isolement, à la solitude, à la précarité affective et sexuelle. En Corse, il y a une pression identitaire très forte liée à la culture, à l'insularité, au contexte politique aussi, avec un poids du regard de l'autre, un conformisme social dont il est difficile de s'extraire. Mais je me méfie toujours de ce type de questions qui prennent le risque d'enfermer la Corse dans une image de pays d'arriérés mentaux, ce que je refuse. La preuve, mon film existe, des institutions locales l'ont financé, beaucoup de personnes m'ont aidé à le fabriquer, il y a un ensemble de bonnes volontés. L'enjeu c'était de dire la vérité sans pour autant stigmatiser la Corse. On pointe aussi du doigt les dysfonctionnements de l'État en Corse par exemple. 

Vous qui êtes né et avez grandi à Bastia, comment avez-vous vécu votre homosexualité ?
- Personnellement, j'ai très mal vécu mon homosexualité plus jeune, notamment dans les années 90 avant Internet où je vivais dans une grande solitude et avec beaucoup de culpabilité. Sans parler des méchancetés, du harcèlement, des insultes que j'ai pu recevoir. C'est vraiment grâce au cinéma que j'ai pu capter que je n’étais pas une anomalie. Le cinéma m'a sauvé, c'est pour cela que je lui dédie ma vie. OPD marque aussi la fin d'un cycle personnel où je suis pleinement assumé et totalement réconcilié avec la Corse. Après je pense aux jeunes d'aujourd'hui qui vivent avec la violence des réseaux sociaux et je m'inquiète beaucoup pour eux. Je voudrais  leur dire que l'adolescence est un cap difficile à passer pour nous autres personnes dites LGBT+, mais qu'à l'âge adulte les choses se tassent.

- OPD va être projeté à Bastia ce mercredi 15 mai. C’est une fierté pour vous ?
- En effet, le film revient à Bastia, à la maison, et j'en suis ravi. Catherine Graziani et François Bergoin nous font l'amitié de le projeter à la Fabrique de Théâtre à 19h30. Pour tous ceux qui l'auraient loupé au Festival de Lama, à Arte Mare, à Corsicadoc - où le film a obtenu le prix du jury jeune du court-métrage en 2023-, c'est peut être l'une des dernières occasions de voir OPD sur grand écran. Et je serai là pour le présenter et échanger avec le public.

- Avez-vous reçu un soutien de la part des communautés artistiques LGBT+ lors de la sortie du documentaire ?
- Un peu, mais moins que ce que j'imaginais. C'est comme pour les soutiens institutionnels en dehors de Corse : avec OPD, j'avais vraiment l'impression de cocher toutes les cases qui justifieraient la mobilisation de fonds publics, je me suis trompé. Pour ce qui est des festivals LGBT+ en France, pour le moment, en dehors des Rencontres In&Out, le festival du film Queer de Nice, qui nous ont fait l'amitié d'une invitation, on ne peut pas dire qu'il y ait une solidarité massive avec ce projet.  Je suis obligé de le noter, pas tellement pour ma petite personne, mais plus pour ce que le film représente. C'est curieux qu'OPD intéresse en Italie, en Inde, mais pas à Paris par exemple... Si j'étais mesquin, je parlerais de racisme systémique anti-corse, de renforcement des mécanismes d'invisibilisation et de silenciation. Mais j'essaie de prendre de la hauteur et de la distance avec ce langage militant. Je ne suis pas sûr qu'on réalise bien sur le continent la difficulté de faire émerger OPD et la rareté du document qu'il représente. Peut-être que je souffre aussi d'un petit déficit de notoriété, on va pas se mentir... Mais en tout état de cause, dans le monde de la culture, du cinéma, des associations dédiées à la culture LGBT+ et en général, il y a aussi pas mal d'entre-soi, d'ego en jeu, de snobisme, de postures. Ce n’est pas toujours très responsable et sérieux, mais tant pis. Moi je garde mon cap.

- Quels sont vos projets à venir ?
- La prochaine étape c'est le passage à la fiction. Nous avons un projet de court-métrage avec ma co-autrice Léa Maurizi, sur la condition féminine, la précarité économique, le rapport à la notoriété et à l'image en Corse. Et pour le film suivant, que je suis déjà en train d'écrire, je voudrais passer au registre de la comédie. Je sais que pas mal de gens qui me suivent sur les réseaux sociaux savent je ne suis pas qu'un auteur “chiant” et cérébral. C'est important de développer sa palette.

- Trois réalisateurs corses sont sélectionnés au Festival de Cannes cette année. Que pensez-vous de l’essor du cinéma insulaire ?
- C'est toujours une fierté. La Corse est structurellement sous-représentée au cinéma. Cette moisson de sélections, qui n'est pas nouvelle d'ailleurs, dans un panorama mondial, à mon sens, doit réjouir tout le monde. Cela démontre qu'il y a un talent fou en Corse, non seulement du côté des cinéastes, mais aussi des équipes, des interprètes, des techniciens, etc. Ce n’est pas rien ! Et c'est doublement une fierté quand on a collaboré à la fabrication des films qui sont mis à l'honneur à Cannes ou aux César. Ces réalisateurs continuent d'ouvrir la voie. Personnellement, j'attends de pouvoir aller à Cannes avec mes propres films. Ce que je voudrais c'est parvenir à représenter la Corse, toujours dans une veine plutôt réaliste. Je ne suis pas très branché film d'art ou purement expérimental, je reste attaché à un cinéma ancré dans le réel, mais autrement qu'à travers le prisme du nationalisme, de la mafia, de la violence politico-mafieuse,... C'est important que des formes alternatives de récits puissent émerger, être défendues.