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Langues menacées : Plébiscite pour François Alfonsi à Strasbourg


Nicole Mari le Mercredi 11 Septembre 2013 à 22:30

Mercredi à midi, les députés du Parlement européen, réunis en séance plénière à Strasbourg, ont voté, à une majorité écrasante, le rapport de François Alfonsi sur les langues européennes menacées de disparition et la diversité linguistique au sein de l'Union européenne (UE). Ce rapport, qui confère aux langues régionales une valeur patrimoniale, incite les États membres à déployer tous leurs moyens d'actions pour sauver cette part menacée de leur patrimoine national et à en promouvoir l'usage. En prime, pour Corse Net Infos, l'intervention de François Alfonsi en vidéo, et des réactions d'eurodéputés impliqués dans le projet.



François Alfonsi, eurodéputé du groupe Verts-ALE, présente son rapport au Parlement européen à Strasbourg.
François Alfonsi, eurodéputé du groupe Verts-ALE, présente son rapport au Parlement européen à Strasbourg.
C'est plus qu'une victoire, c'est un plébiscite. Il était exactement 12h22 quand les 700 députés présents des 27 États européens ont voté, à une écrasante majorité, le rapport sur les langues menacées que François Alfonsi a initié et qu'il défend avec acharnement depuis son élection. Les principaux groupes politiques de l'hémicycle y ont souscrit, du PPE (Parti populaire européen) au SD (Socialiste et Démocrates) en passant par l'ALDE (Alliance des Libéraux et des Démocrates européens) et même la plupart des Communistes de la GUE (Gauche unitaire européenne) et, bien sûr, le groupe Verts-ALE (Alliance Libre européenne) auquel le député insulaire appartient. Seuls, les Conservateurs du groupe des Eurosceptiques, dont les 3 députés du Front National, et Jean-Luc Mélenchon, se sont montrés hostiles. Au final, avec 645 voix pour, 26 contre et 29 abstentions, le rapport a été adopté.
 
Un chemin de Damas
Ce vote, l'un des plus majoritaires que le Parlement européen a connu, l'eurodéputé insulaire l’a âprement arraché. Il est l'aboutissement d'un long chemin de Damas d'explications et de force de conviction où il n'a pas ménagé sa peine. « Ce n'était pas gagné d'avance ! Ce vote a nécessité un vrai travail d'échange et de prise en compte des remarques des autres députés pour arriver à un compromis. Le rapport est très offensif. Il va, très loin, dans la recherche du consensus tout en faisant des propositions solides. On s'attendait à des oppositions, à devoir accepter un texte affaibli par le jeu des amendements. Au bout du compte, toutes les oppositions sont tombées, le texte a gardé toute sa force. C'est une double surprise qui montre bien que la construction de ce rapport a permis de faire progresser les idées et que nous avons été compris ». Car s'il a fallu moins de 2 minutes en séance plénière pour obtenir un tel score, la genèse fut, pour le moins, difficile.
 
Un lobbying efficace
Le plus compliqué a été d'inscrire le rapport à l'ordre du jour de la Commission culture. « On s'est heurté à deux types de discours de refus. Le discours de ceux qui sont contre les langues régionales parce qu'ils estiment qu'elles posent trop de problèmes et de contentieux politiques au sein d'un même État. Et le discours tellement classique de ceux qui jugent qu'il y a des sujets plus importants et plus urgents, comme par exemple le numérique, Hadopi, les droits d'auteur, etc. Il a fallu vaincre cette barrière passive pour que la priorité soit donnée aux langues régionales ».
Pour cela, un long et remarquable travail de lobbying a été mené par l'intergroupe des cultures traditionnelles et des langues régionales, composé d'une quarantaine de députés de toutes les tendances politiques, dont François Alfonsi assure la co-présidence. « L'intergroupe, tous partis réunis dans une même cause, a été déterminant pour ce vote ».
 
Un argument patrimonial
C'est, en effet, par son entremise que, lors d'un débat interne, le député insulaire et ses collègues régionalistes réussissent à positionner la question des langues menacées sur le terrain patrimonial. Un coup de génie puisque l'Europe rechignait à intervenir dans un domaine qu'elle jugeait hors de sa compétence. « Le concept de patrimoine aide à la construction de la communauté humaine que représente l’Europe. Les langues devenant patrimoine européen, l’UE était, de ce fait, habilitée à agir », précise François Alfonsi. L'argument, qui est porté par chacun des élus de l'intergroupe au sein de son groupe politique d'origine, fait partout mouche. Il finit même par convaincre la présidente allemande de la Commission Culture, élue de droite, membre du PPE, jusque-là fort réfractaire.
 
Une ténacité payante
Néanmoins, il aura fallu 2 ans et demi de travail obstiné, de patience et de ténacité et près de 174 amendements pour obtenir l’aval de la Commission Culture et le consentement des groupes politiques. Un autre acteur essentiel de ce compromis fut le NPLD (Network promote linguage diversity, Réseau de promotion de la diversité linguistique), grand réseau européen qui fédère les différents offices régionaux des langues, des États et tous les acteurs de la défense et de la promotion des langues, dont l'Assemblée de Corse. Avec son aide, François Alfonsi rédige le rapport en 2010 et convainc des députés de plusieurs groupes. Malgré tous ces efforts, le rapport reste en carence pendant une longue période. Le député corse échoue à 2 reprises à inscrire le projet à l’ordre du jour parlementaire. Sa ténacité finit par payer. Le 18 juin dernier, le rapport est validé, à l'unanimité des groupes, en Commission Culture.
 
Des points clés
L’accord se conclut autour de points clés et s’appuie sur un certain nombre de considérations pour formuler 37 recommandations. Il se base, principalement, sur l’article 165 du Traité de Lisbonne qui change la donne juridique en renforçant la diversité linguistique au delà des langues nationales et donne obligation de ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. En établissant que toute tentative d’imposer une langue bafoue les valeurs communautaires fondamentales, le Traité élargit, aux langues régionales, la mission et la responsabilité de l’UE. Le rapport considère, notamment, que les langues sont égales en valeur et en dignité et que les sociétés multilingues sont plus fortes en cohésion. Jouant sur le rôle de l’UNESCO qui a établi des critères scientifiques pour mettre en place un Observatoire des langues menacées, il lance un cri d’alarme contre les menaces qui pèsent sur des langues parlées par 46 millions d’Européens et l’appauvrissement culturel qui ne manquera pas d’en découler.
 
L'exception culturelle
Parmi les 37 recommandations faites aux Etats-membres, les 10 premières, les plus importantes, ont fait l’objet de nombreux amendements. Elles prônent, globalement, de ratifier la Charte européenne des langues, de maintenir cette question dans les fondamentaux européens, de respecter la convention de l’Unesco et de mettre en place des politiques nationales pour aller de l’avant. Elles condamnent la discrimination linguistique et demandent à l’UE de soutenir les programmes de préservation, notamment ceux destinés à la jeunesse.
Seul bémol, ces recommandations ne sont légalement pas contraignantes puisque aucun Traité ne reconnaît le domaine linguistique comme compétence déléguée de l’UE, comme c’est, par exemple, le cas en matière de concurrence. C’est pourquoi le Tribunal européen peut juger les entraves aux règles de la concurrence et condamner, notamment, la SNCM. « La question de la diversité linguistique n’a jamais été mise dans les Traités parce que des pays, comme la France, ont toujours défendu l’exception culturelle, à savoir que la culture devait rester l’affaire de chaque Etat », indique François Alfonsi.
 
Des fonds européens
Néanmoins, ce rapport d’initiative renverse la tendance de ces dernières années durant lesquelles l’UE avait choisi d’ignorer la question des langues et même de couper les crédits. Il profite de l’opportunité des débats qui se tiennent, en ce moment, sur les règlements pluriannuels pour la réinsérer, de manière explicite, comme 6ème priorité. En effet, la valorisation des ressources culturelles, qui inclut la sauvegarde et le promotion des langues menacées, peut, désormais, s’ouvrir aux fonds européens, dès la prochaine période de programmation 2014-2020, notamment les fonds FEDER, FSE (Fonds social européen), FEADER et de coopération transfrontalière. Ces ouvertures de fonds ont déjà été actées et seront, à priori, votées à la 2ème session d’octobre. « A ce moment-là, une région comme la Corse sera autorisée à faire, de cette question de la valorisation des ressources culturelles et linguistiques, une de ses priorités. La Commission européenne retiendra cette priorité. L’institution, qui représente la communauté linguistique concernée, pour nous l’Assemblée de Corse, doit en faire la demande. Comme ce sera inscrit dans le règlement européen, l’Etat ne pourra pas s’y opposer », ajoute-t-il. Le FEDER va, par exemple, pouvoir financer des infrastructures relatives à la mise en place de filières nouvelles d’enseignement en langue corse ou de promotion de la culture corse et le FSE, par exemple, la formation des maîtres.
 
Un problème de standards
Le rapport affiche une nouvelle position politique de l’Europe et de son pilier démocratique qui est le Parlement européen. Il permet de remobiliser l’UE sur une cause oubliée et ce, d’autant mieux qu’il bénéficie d’un large consensus. Certes, le chemin pour aboutir à une vraie gestion des langues reste long. Il faudra d’autres pressions politiques et un nouveau travail de bénédictin pour donner à cette position européenne les prolongements législatifs nationaux qui assureront sa pérennité. « La Charte européenne des langues est la norme européenne en matière de protection des langues non officielles. La France a un vrai problème. Elle n’arrive pas à se hisser au niveau des normes et des standards démocratiques européens. C’est, par retombée, un problème pour la Corse aussi ! Dans ce contexte, la coofficialité devient une revendication essentielle. On ne pourra pas progresser en matière de politique linguistique en Corse de façon fiable et pérenne si on n’a pas un cadre juridique qui donne, à la langue corse, une véritable assise », dénonce François Alfonsi.
 
Un signe fort
Ce rapport fait désormais référence auprès des États-membres dont 24 ont déjà ratifié la Charte. Il ne peut pas être ignoré. En interpellant les gouvernements réfractaires, notamment le gouvernement français, il envoie un signe fort à François Hollande qui continue de se réfugier derrière l'article 2 de la Constitution française pour ne pas tenir son 56ème engagement de campagne et ne pas ratifier la Charte. Près de 75 langues sont parlées sur le territoire français dont 13 sont, selon l'UNESCO, comme la langue corse, en grand danger de disparition. Les eurodéputés régionalistes entendent saisir l'actualité de ce vote pour remettre le sujet à l'ordre du jour parisien. Et, il sera de plus en plus difficile au président de la République de justifier une position isolée, non seulement sur la scène européenne, mais au sein même du pays. D'autant que la période électorale qui débute, peu favorable à la majorité présidentielle, ouvre un champ béant aux grandes manœuvres.
 
Nicole MARI, envoyée spéciale à Strasbourg.


L'intervention de François Alfonsi dans l'hémicycle, avant le vote :
- en vidéo sur You Tube :
http://www.youtube.com/watch?v=Pz0Ygu76_Kk&feature

Le texte de l'intervention :

« Monsieur le Président,
La diversité culturelle est une dimension essentielle de la construction européenne, affirmée avec force par le Traité de Lisbonne qui, dans son article 167, demande que « l’Union à l’épanouissement des cultures des États-membres, dans le respect de leurs diversité nationale et régionale ». Aussi, nos institutions se doivent de réagir face à la menace de disparition qui pèse sur plusieurs dizaines de langues en Europe selon les inventaires scientifiques établis par l’UNESCO.
 C’est un patrimoine européen qui disparait chaque fois qu’une langue disparait ; aussi ce rapport a pour ambition de relancer l’action sur ces questions qui ont été trop longtemps négligées. L’Europe doit se porter aux côtés des communautés linguistiques concernées pour les soutenir, pour les aider, à mettre en œuvre les politiques adéquates qui leur permettront de transmettre leur patrimoine culturel et linguistique.
La rédaction de ce rapport a impliqué différents groupes ce qui a permis d’arriver à un texte qui a recueilli l’unanimité des votes de la commission Culture.
Je compte sur tous les collègues ici présent pour confirmer ce vote en plénière. Le Parlement européen pourra ainsi enclencher une dynamique nouvelle, porteuse d’espoir pour les dizaines de millions d’européens qui possèdent un héritage, une langue et une culture apprise de leurs aïeux, et qui désirent pouvoir en assurer la transmission aux générations futures. »
 

François Alfonsi, à l'issue du vote.
François Alfonsi, à l'issue du vote.
La réaction de François Alfonsi à l'issue du vote :
 
« Le rapport sur les langues européennes menacées de disparition mis au vote aujourd'hui a été adopté à une écrasante majorité et je m'en félicite. L'Europe est l'un des continent où la diversité linguistique et culturelle est particulièrement riche. Ce patrimoine est composé des langues officielles mais aussi de plusieurs dizaines de langues qui sont aujourd'hui menacées de disparition, selon l'inventaire tenu par l'UNESCO. Le Traité de Lisbonne a élargi le champ de compétences de l'UE pour contribuer à l'épanouissement des cultures nationales et régionales. Ce rapport d'initiative réenclenche une dynamique en faveur de la promotion et du soutien à la sauvegarde de ces langues.
Quand une langue disparait, c'est un pan du patrimoine européen qui disparait,  il est donc de la responsabilité de l'UE d'agir pour sa sauvegarde !
Ce rapport interpelle les États membres, parmi lesquels la France, qui refusent encore de prendre les mesures nécessaires, à commencer par la ratification de la Charte Européenne des langues régionales et minoritaires. Le rapport demande de relancer une politique européenne en faveur des langues en danger, et de soutenir les programmes de sauvegarde des langues en danger menés par les communautés linguistiques concernées.»
 
 

Les eurodéputés, lors de la conférence de presse après le vote.
Les eurodéputés, lors de la conférence de presse après le vote.
Les réactions des eurodéputés impliqués dans le projet :
 
José Bové, député du groupe Verts-ALE (Alliance Libre européenne)
« Ce vote, à une très large majorité, est très symbolique d'autant qu'il intervient aujourd'hui où a lieu, en Catalogne, la grande marche pour l'identité catalane qui devrait rassembler 400 000 personnes. C'est un message pour le gouvernement espagnol et pour le gouvernement français qui n'a pas ratifié la Charte des langues régionales. La France ne peut plus ignorer sa responsabilité par rapport à l'ensemble de sa population qui parle des langues minoritaires ».
 
Laszlo Tokes, vice-président du Parlement européen, député du PPE (Parti populaire européen) :
« Il s'agit, pour nous, de saisir l'occasion de prouver notre solidarité avec ceux qui parlent des langues dites menacées, c'est-à-dire des langues minoritaires ou des langues de peuples opprimés. Le rapport de François Alfonsi est véritablement exemplaire. Comme on l'a fait pour la protection des animaux et de la nature, il était grand temps qu'on s'occupe de la protection des langues de notre patrimoine ».
 
Younous Omarjee, eurodéputé Outremer-Réunion du groupe GUE-NGL (Gauche unitaire européenne – Gauche verte nordique) :
« Les langues sont un enjeu de civilisation. Deux processus en cours doivent réveiller nos consciences. Le 1er est la 6ème vague de l'extinction des espèces de la biodiversité que connait le monde. Le 2nd est la disparition des langues dites minoritaires. Ce sont des phénomènes irréparables qui engendrent un appauvrissement de l'humanité. S'il y a eu une amorce de prise de conscience pour la biodiversité depuis le Sommet de Rio, il n'en est pas de même pour la disparition des langues. Celle-ci s'inscrit dans l'uniformisation voulue par le rouleau compresseur de la culture dominante qui écrase les Arts Premiers et les langues minoritaires. Or, la diversité linguistique apporte un enrichissement considérable aux langues considérées comme dominantes. Il faut plaider, aujourd'hui, pour un véritable Rio de la culture qui permettrait de véritablement lancer une mobilisation au niveau international et une gouvernance qui assurerait le maintien de la diversité culturelle. »