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La punaise diabolique attaque toutes les filières agricoles de Corse


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Mardi 22 Novembre 2022 à 17:08

La mauvaise saison s’installe et avec elle, les punaises diaboliques – comme on a surnommé ces ravageurs – font leur retour dans nos maisons. Elles s’accumulent en pelotes derrière nos volets, cherchant un abri pour l’hiver. En novembre dernier, nous avions fait un premier état des lieux sur cet envahisseur venu d’Asie et qui commençait ses ravages sur notre île, s’attaquant à tout ce qui ressemble à un fruit.
Un an plus tard, où en sommes-nous ? L’invasion s’est-elle confirmée ? Quelles sont les conséquences pour l’agriculture ? Et surtout, où en est-on des moyens de lutte ?



La punaise diabolique pique les fruits et les fait pourrir. Crédit photo DR
La punaise diabolique pique les fruits et les fait pourrir. Crédit photo DR
En 2022, la Chambre d’Agriculture a poursuivi, et même étendu, la collecte d’informations débutée l’an passé pour apprécier le niveau d’infestation. Des pièges ont à nouveau été posés en plaine et même en montagne : « Leur présence en Corse est bien confirmée, constate Isabelle Milelliri, conseillère en fruits d’été. Non seulement elles sont là, mais la population est en progression ». 
Si l’on en trouvait essentiellement en Casinca, en 2021, cette année, on commence à les voir un peu partout. Elles ont notamment gagné le Morianincu, les environs de Cervioni et globalement, toute la Costa Verde. A Ghisonaccia ou Aleria, où elles étaient rares l’an passé, elles se sont multipliées. Les zones plus montagneuses paraissent jusqu’à présent relativement préservées : en ce qui concerne la récolte de noisettes, du moins, on constate que les fruits qui proviennent de l’Orezza ou de l’Ampugnanu sont moins touchés que les autres. Mais qu’en sera-t-il l’an prochain ? 


De nouvelles zones géographiques touchées
Car la colonie semble progresser lentement… mais sûrement... Les facteurs spécifiques qui expliqueraient que certains vergers soient pratiquement épargnés alors que d’autres sont dévastés, sont assez mal connus : « On les trouve dans des zones qui ont un environnement favorable. Plutôt, semble-t-il, dans les zones humides. Mais ce n’est pas systématique. Elles aiment certaines cultures : le sorgho par exemple… et la noisette ». Pour les pêches, les attaques observées en 2021 étaient sans doute trop isolées pour qu’on puisse en déduire quelques règles générales. Mais cette année, les dégâts ont concerné plusieurs parcelles. Et là, c’est assez surprenant : « On dirait qu’elles ont des préférences pour certaines variétés. Et c’est indépendant des traitements qui sont réalisés sur les fruits ». 


Des conséquences importantes pour l’agriculture
Parce que la punaise diabolique pique les fruits pour se nourrir : se sont les enzymes digestives qu’elle sécrète qui provoquent l’altération de la chair… et du goût. Les noisettes deviennent amères et finissent par moisir au point d’impact. Les clémentines tombent. Les pêches se déforment, avec des zones liégeuses. A l’exception notable de la châtaigne, tous les fruits semblent concernés : y compris les pommes, les poires ou les kiwis, même si, pour ces derniers fruits, le continent semble davantage souffrir que la Corse … « On en trouve aussi dans les oliviers… mais dans ce cas, on n’a pas de certitude d’un lien entre les dégâts qu’on peut observer et les punaises ». Quant au raisin, il ne serait non plus pas épargné, si l’on en juge par le témoignage d’un agriculteur… En pratique, toutes les filières sont concernées. Sans compter que les zones qui étaient déjà touchées en 2021 ont connu des attaques encore plus virulentes cette année. 
Autant dire que les conséquences pour l’agriculture risquent d’être importantes si rien n’est fait. En ce qui concerne la noisette, plus de 30 % de la récolte est déjà impacté cette année : c’est le constat réalisé par A Nuciola qui casse les noisettes pour les vendre à des transformateurs et qui, de ce fait, a une vision complète des dégâts. « D’ailleurs, si jusque-là les producteurs étaient payés à réception par cette association, aujourd’hui, ils ne reçoivent qu’une partie du paiement à la livraison : le reste est versé après cassage, pour tenir compte des pertes », explique Patricia Soulard, conseillère en châtaigne et noisette. 
Lutter contre ce ravageur devient donc une priorité. « Un suivi avait été initié en Corse par la DRAAF en 2019 ou 2020, se souvient Isabelle Milleliri. Parce qu’il y avait déjà des dégâts sur le continent et que les Italiens nous avaient alertés sur le sujet. En 2020, des appels à projets ont été lancés. Mais les filières ne se sont pas vraiment mobilisées parce qu’il n’y avait pas de dégâts à l’époque, en Corse. Nous sommes sur une île : alors on espère toujours que ça ne pourra pas arriver chez nous… »  


Le salut viendra-t-il des parasitoïdes ?
La difficulté majeure vient de ce que les traitements sont globalement inefficaces contre ce ravageur. La deuxième phase du programme mis en place l’an passé consistait donc à identifier des parasitoïdes – éventuellement déjà présents en Corse – qui pourraient s’attaquer aux punaises. « L’AREFLEC travaille dessus. On en espérait beaucoup, explique Isabelle Milelliri. Mais nous n’avons pas encore de retour sur l’existence de tels parasites en Corse, que ce soit la guêpe-samouraï ou un autre… Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’il y a vraiment une mobilisation de crédits pour travailler sur les différentes pistes de lutte. Et que nous, ici, en Corse, nous envisageons la création d’un poste spécifique, sur une année … Nous cherchons les financements ».
Parmi les parasitoïdes, la guêpe-samouraï semble en effet faire ses preuves chez nos voisins. En Emilie-Romagne, le programme Cimice.net en cours de déploiement a pour objectif de réguler l’invasion [Source : Note Tecniche per la gestione della cimice asiatica – RINOVA – maggio 2022]. Dans ce cadre, 400 lâchers de guêpes samouraï ont été réalisés en 2020-21 et 300 en 2022. Le nombre d’œufs de punaise d’ores et déjà parasités par la guêpe – avec destruction des larves qui s’y trouvent – donne bon espoir aux scientifiques italiens, même si la guêpe semble éviter les zones agricoles qui subissent des traitements chimiques et qu’en tout état de cause, il paraît souhaitable de combiner plusieurs moyens de lutte. 
Alors, pourquoi pas en Corse ? Tout n’est pas si simple : introduire un parasite sur un territoire nécessite quelques précautions pour éviter des conséquences néfastes sur le reste de l’environnement. Pour cela, des autorisations sont nécessaires. « L’INRAE Sophia-Antipolis travaille sur ce dossier d’introduction, comme il travaille aussi sur son introduction dans les autres régions françaises. Mais ça n’avance pas. Sans compter que pour nous, comme nous sommes une île, ce sera encore plus compliqué que sur le continent ! ». Et une fois le parasite introduit, tout ne sera pas résolu pour autant : « Il faudra du temps pour qu’il s’acclimate. Que l’équilibre des populations se fasse ».
 
Le piégeage, seule solution opérationnelle aujourd’hui
L’unique solution qui puisse être mise en œuvre sans délai est donc la capture des punaises. La Chambre d’Agriculture a récupéré un modèle de piège italien, utilisé dans le Piémont : des phéromones attirent les insectes qui se collent sur une plaquette enduite de glue, dont la couleur est adaptée au comportement de l’animal – noire à l’automne quand les punaises cherchent à hiberner, jaune au printemps quand elles reprennent leur activité. En se débattant, elles tombent dans le récipient d’eau placé en dessous. On conseille quatre à cinq pièges par hectares, disposés en bordure de parcelle afin d’éviter d’attirer les bêtes trop près des arbres fruitiers. « Nous avons fait une plaquette sur notre site pour expliquer comment le construire. Et dans chaque filière, les techniciens de la Chambre ont communiqué des informations spécifiques ». 
La filière des agrumes – autour de la CAP, Cors’Agrunumia Pratica – a compris tout l’intérêt du dispositif  : « A la rentrée de septembre, ils ont invité quelques producteurs à les installer… et ça a fait boule-de-neige. Jusqu’à des particuliers qui sont allés chez les distributeurs de produits phytosanitaires pour se procurer les phéromones et la bande engluée ». Le système devra sans doute être perfectionné, en créant un pont entre le sol et les arbres, pour attraper également les larves : les pièges placés en hauteur leur sont inaccessibles parce qu’elles ne peuvent pas voler. Et là encore, d’autres types de pièges sont expérimentés sur le continent. Face à l’avancée de ce fléau, c’est le pragmatisme qui fait loi !