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« La décision du FLNC est un événement de portée historique »


Nicole Mari le Vendredi 27 Juin 2014 à 00:27

Le FLNC-UC (Front de libération nationale de la Corse - Union des combattants) a annoncé, mercredi, dans un long communiqué de 14 pages, l’abandon de la lutte armée. Une sortie progressive de la clandestinité qui se dessinait, déjà, en filigrane dans un précédent texte datant de 18 mois. Cette décision, qui intervient à un moment où Paris a brutalement claqué la porte des discussions, est accueillie très favorablement par la très grande majorité de la classe politique corse. Réaction, pour Corse Net Infos, de Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse (CTC).



Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse.
Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse.
- Quelle est votre réaction au communiqué du FLNC annonçant l’abandon de la lutte armée ?
- C’est un événement de portée historique. Le FLNC annonce une sortie progressive de la clandestinité. Il s’agit manifestement d’une décision préparée de longue date. Le FLNC parle, d’ailleurs, de débat interne. Il avait rendu public un communiqué en décembre 2012, revendiquant une nuit bleue de plus de 30 attentats contre la spéculation immobilière. Il y prenait en compte avec intérêt le travail réalisé par la CTC qu’il qualifiait de « matrice de la paix ». Il annonçait qu’il était prêt à apporter sa propre contribution à la paix à travers une initiative historique majeure. On peut imaginer qu’il a mis ces 18 mois à profit pour observer le chemin parcouru avec des décisions très importantes sur le statut de coofficialité et de résident, le débat actuel sur la compagnie publique maritime, la nouvelle architecture institutionnelle…
 
- Cette décision a-t-elle, selon vous, un lien avec la conjoncture immédiate ?
- Non ! Elle a visiblement été longuement mûrie et s’inscrit plutôt dans une perspective historique. Elle ne constitue pas une réponse à Mr Cazeneuve. Ce serait totalement dérisoire ! La visite d’un ministre de l’intérieur, venu faire son show, est une anecdote ! A lire le communiqué, le FLNC fait un geste, surtout, en direction de la société corse et de ses représentants élus. Il ne répond pas au gouvernement français avec qui, à l’heure actuelle, les discussions n’évoluent pas positivement. Cela dit, ce gouvernement a changé à peu près 10 fois d’avis sur tous les sujets, y compris sur la question corse ! Nous savons que des ministres sont favorables à une solution politique en Corse et que d’autres y sont totalement opposés. Mr Cazeneuve s’est fait le porte-parole du courant jusqu’au-boutiste qui joue la carte du pire. Son objectif évident était d’ébranler la cohésion des élus corses.
 
- Comment ?
- La question de la clandestinité est, depuis longtemps, un élément de division des élus insulaires et même entre Nationalistes. De manière un peu puérile, le courant jusqu’au-boutiste a voulu appuyer sur ce point de discorde afin d’ébranler la cohésion politique. Il a agité un chiffon rouge devant le mouvement national qui ne réagit pas comme cela !
 
- Le Préfet a confirmé le Non du gouvernement. Comment jugez-vous son intervention ?
- Sur le plan politique, le Préfet n’a aucune autorité pour donner des conseils à des élus. Sur le plan technique et juridique, son intervention est un tissu d’inepties. Les juristes de la CTC, parmi lesquels un conseiller d’Etat, et les plus hauts responsables universitaires en droit public et en droit européen ont été consultés. L’avis de Mr Mirmand nous indiffère totalement. Son intervention est une parenthèse assez cocasse !
 
- L’annonce du FLNC n’est-elle pas un signal fort lancé à Marylise Lebranchu, quelques jours avant sa visite en Corse ?
- Non ! Elle dépasse totalement le cadre de cette visite. Et ce, quelque soit la position dans les jours à-venir de Mme Lebranchu ou de l’ensemble du gouvernement français ! Le Non de Cazeneuve concerne les deux dossiers essentiels du statut de la langue et de la résidence, sur lesquels nous n’avons pas l’intention de reculer. Nous travaillons, à l’intérieur du Comité stratégique et de la Commission Chaubon, sur une autre question, celle de l’architecture institutionnelle avec la collectivité unique et la représentation des territoires.
 
- Comment ce débat avec Paris finira-t-il ?
- On ne sait pas ! La cohésion des élus corses sur le projet de réforme est la meilleure arme dans le rapport de forces avec Paris. Si, du côté de la Corse, nous renforçons la cohésion de cette majorité très forte et très cohérente et la conservons dans la durée, aucun gouvernement de gauche ou de droite ne pourra maintenir une fin de non-recevoir. C’est impossible ! Le communiqué du FLNC semble beaucoup miser sur cette cohésion qui est un fait nouveau. Tout ce qui est voté depuis 3 ans à la CTC, nous le portions depuis des décennies comme un courant minoritaire. Aujourd’hui, la différence de taille est que nous le portons avec un courant très majoritaire, non seulement dans la société corse, mais aussi chez les élus. Il faut en mesurer l’importance. Le FLNC semble l’avoir fait. Sa décision renforce le camp de la Corse face à Paris.
 
- La question de la violence fut un point de discorde des alliances municipales à Bastia et Porto-Vecchio. Le choix du FLNC va-t-il changer la donne électorale ?
- La question électorale n’est pas à la mesure de la portée historique de la décision prise par le FLNC. Il est vrai que nombre de responsables en Corse et en France se sont cachés derrière la question de la clandestinité pour refuser de prendre leurs responsabilités. Elle était, souvent, un prétexte qui, aujourd’hui, n’existe plus. De ce point de vue-là, l’annonce du FLNC changera, certainement, la donne. Mais, il est difficile d’en mesurer tous les effets, même s’il est évident qu’elle crée un changement profond au sein du paysage politique corse.
 
- La lutte se déplacera-t-elle exclusivement sur un champ politique ?
- Le FLNC est explicite. Il appelle clairement ses militants et les Corses à rejoindre les organisations publiques indépendantistes, politiques et syndicales, qui vont dans le sens des intérêts corses. Il ne s’agit pas d’un arrêt de la lutte, mais d’une nouvelle phase de construction, d’une nouvelle démarche politique de défense des intérêts corses.
 
- La majorité des élus corses ont salué l’annonce du FLNC. Que vous inspirent les voix discordantes ?
- La majorité des élus s’en sont félicités. Emmanuelle de Gentili, membre du Conseil exécutif et du bureau national du PS qui représente le parti du gouvernement, a rendu hommage à la maturité des clandestins et dit que Paris devait en tenir compte. La seule note discordante et isolée est celle de Jean Zuccarelli. Sa réaction est pathétique, compte tenu du désaveu dont il a fait l’objet, il y a seulement quelques semaines.
 
- Que pensez-vous de l'appel solennel aux élus concernant la question des prisonniers ?
- Il n’y a rien de nouveau du côté du mouvement national ! Nous avons toujours dit, et le FLNC le dit aussi de son côté, qu’il ne peut pas y avoir de solution politique qui ne prendrait pas en compte la question des prisonniers et des recherchés. La position de Corsica Libera demeure inchangée.
 
- Régler cette question ne risque-t-il pas d’être compliqué ?
- Ce sera certainement compliqué puisque la France a honteusement renié sa parole sur la question du rapprochement ! Une parole très ancienne donnée il y a six ans ! La France s’est déshonorée au regard de ses engagements et sous le regard de la communauté internationale. Ce n’est pas la première fois qu’elle le fait ! C’est dire l’esprit vindicatif des gouvernements français successifs qui ont, véritablement, voulu faire payer aux Corses le prix de leur engagement et ce, en reniant leur parole ! Aujourd’hui, nous n’en sommes plus seulement au stade du rapprochement et du respect de la parole donnée. Nous exigeons la libération des prisonniers et l’arrêt de toutes les poursuites dans le cadre d’une solution politique.
 
Propos recueillis par Nicole MARI