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L'intervention d'Ange Santini face aux élus de Bourgogne


Jean-Paul-Lottier le Mardi 5 Novembre 2013 à 12:16

Maire de Calvi depuis 1995, président du conseil exécutif de Corse de 2004 à 2010, conseiller territorial depuis 1998 et membre du Conseil économique, social et environnemental à Paris, Ange Santini a, ainsi que nous l’avons relaté, fait un brillant exposé sur l’organisation administrative de la Corse. En voici les grandes lignes



L'intervention d'Ange Santini face aux élus de Bourgogne

La Corse c’est à peu près 320 000 habitants avec une organisation administrative relativement encore lourde puisque nous avons 360 communes, ce qui donne un peu plus de 800 habitants par commune avec naturellement des communes à 20 et 30 habitants, et d’autres comme Bastia et Ajaccio avec leur agglomération qui représentent à peu près de 40% de la population de l’Ile. Nous avons deux départements depuis ce découpage administratif de 1976 certes qui nous facilitait la tâche du temps où les préfectures étaient absolument indispensables dans le paysage politico-administratif français mais l’on voit bien que tout cela est un petit peu surfait puisque l’on voit bien que pour 320 000 habitants un département aurait pu suffire. Le seul avantage en 1976 étant d’avoir plus de proximité dans le cadre des services publics à une époque où l’on ne parlait pas vraiment de décentralisation. La décentralisation de la Corse elle démarre en 1982 ; en fait il y a trois dates étapes et à la fois clés dans l’organisation de la Corse : le statut Defferre de 1982, le statut Joxe, celui qui est encore à ce jour le plus important dans le cadre de cette décentralisation des pouvoirs accordés à la Corse, statut du 13 mai 1991 qui régit encore le fonctionnement de l’Ile, et enfin la loi du 22 janvier 2002 avec un dépoussiérage et une refonte du statut de 1991, sous le gouvernement de Lionel Jospin. A l’heure actuelle, dans le cadre des réflexions menées au niveau de l’Etat, la Corse cherche à s’inscrire également dans cette vague de décentralisation, cette dernière ne valant que par les moyens qui sont mis à disposition, transférés, et il là il y aurait beaucoup à dire.
La Corse est donc dotée d’une organisation particulière : nous ne sommes pas une région comme les autres. Nous sommes une collectivité, la Collectivité Territoriale de Corse, inscrite à l’article 72 de la Constitution, sans que pour autant cette inscription le soit de manière spécifique : la Corse fait partie de ce que l’on appelle une collectivité à statut particulier, une collectivité sui generis, dans la limite où elle est la seule à exister dans ce cadre-là de la République avec finalement des pouvoirs et des compétences un petit peu similaires à ce qu’il se fait ailleurs chez nos voisins, dans le cadre d’états fédéraux ou d’états plus décentralisés mais qui ont une culture de la décentralisation , ce qui n’est pas forcément l’apanage de notre beau pays avec sa culture un petit peu jacobine.
Quatre ans avant la première vague de décentralisation, celle de 1986, l’Assemblée de Corse a été élue au suffrage universel direct, à l’époque forte de 61 membres, avec scrutin de liste régional, à la proportionnelle intégrale, sans seuil, ce qui a conduit à une assemblée ingouvernable, ingérable, avec une durée de vie de deux ans puisqu’en 1984 il y a eu un revirement d’alliance et les élections ont été renouvelées avec cette fois-ci une majorité un peu plus stable. Cette assemblée avait pour objectif de régler les affaires de la Région, elle donnait son avis sur un certain nombre de projets de décrets et de lois relatifs au territoire, et proposait déjà au Conseil des Ministres des modifications de ces décrets et lois. Très rapidement ce pouvoir s’est avéré inopérant, ce qui demeure plus ou moins même avec les lois qui ont suivi! A tel point que, je l’ai vécu, lorsqu’une loi est adressée au Gouvernement, quelle que soit sa coloration : je crois que lorsqu’on est des élus du territoire, à Paris, quelle que soit la représentation politique, il n’y a pas forcément la même vision des choses que celle des territoires en question.
 
Cette assemblée était déjà à l’époque assistée de deux organes consultatifs qui ont ensuite fusionné : le Conseil Economique et Social et le Conseil de la Culture, de l’Education et du Cadre de Vie. C’est le président de cette assemblée, élu par ses pairs, qui assisté des vice-présidents, du Bureau, exerçait à l’époque le pouvoir exécutif.
A côté de l’Assemblée de Corse, il y a aujourd’hui, six agences et offices, qui sont un peu les « bras armés » de la politique régionale : l’Assemblée de Corse décide des politiques, des caps à tenir, et ensuite derrière il y a à la fois les services de la Collectivité, la Maison mère, mais aussi les agences et offices qui mettent en œuvre ces politiques : à l’époque, trois de ces offices (Etablissements Publics d’Etat) étaient en charge par la Loi de mettre en œuvre la politique de la Région dans les secteurs qui les concernaient : l’Office des Transports de la Corse, qui existe toujours, l’Office d’Equipement Hydraulique de la Corse et l’Office de Développement Agricole et Rural de la Corse, également.
L’Assemblée de Corse percevait à l’époque la Dotation Générale de Décentralisation, une part des impôts directs locaux et les produits des taxes sur les Cartes Grises Permis de Conduire, Vignette automobile, et les ¾ des droits de consommation sur les tabacs, la CTC percevant aujourd’hui la totalité des droits de consommation sur les tabacs.
L’étape la plus importante : le statut Joxe, le 13 mai 1991. Au bout de dix ans, l’Assemblée de Corse était bien ancrée dans le paysage politique insulaire, la population avait bien compris qu’il s’agissait de l’intérêt que d’aller vers la décentralisation, vers plus de décisions au plus près du citoyen. Ce statut a conféré à l’Ile beaucoup plus de pouvoirs avec deux piliers, notamment dans le cadre des compétences transférées : le développement économique, social et culturel, qui est la compétence pleine et entière, aujourd’hui encore, et la préservation de l’Identité et de l’Environnement.
La grande nouveauté de ce statut est la création d’une fonction spécifique à l’Ile : la présidence du Conseil Exécutif de Corse. Aujourd’hui l’Assemblée de Corse est composée non plus de 61 membres mais de 51 membres, toujours élus au scrutin de liste, proportionnelle, avec des seuils à la fois pour fusionner et se maintenir au second tour et éviter qu’il y ait cette dispersion de voix, fatale à la première Assemblée de Corse en 1982. L’Assemblée une fois élue procède d’abord à l’élection de son président, puis dans la foulée à celle du Conseil Exécutif de Corse, fort à l’époque de 7 membres et qui en 2002 est passé de 7 à 9, avec un scrutin de liste : 9 noms dont le premier sur la liste qui sera Président, les autres sont ceux qui exerceront les fonctions de conseillers exécutifs présidents, le Président du Conseil Exécutif ayant la possibilité d’en désigner 6 à la tête des offices et agences. S’il arrivait malheur au Président du Conseil Exécutif, ce dernier ne pourrait être remplacé et l’Exécutif tomberait.
La fonction exécutive est donc incarnée par le Président du Conseil Exécutif, le Président de l’Assemblée de Corse étant animateur des débats de l’Assemblée. Le Président du Conseil Exécutif est le responsable de l’Administration, le chef du personnel, celui qui représente la Collectivité Territoriale notamment pour ester en justice ou dans tous les actes de la Collectivité, celui qui prépare le Budget et en est responsable. Comme son nom l’indique, le Président est là pour exécuter les décisions de l’Assemblée, les entériner et les mettre en application.
 
Assemblée de Corse (51 membres) → Conseil Exécutif → fusion des deux conseils = création du Conseil Social, Economique et Culturel : voici les trois entités qui font aujourd’hui partie intégrante de la Collectivité Territoriale de Corse.
D’autres compétences sont venues s’ajouter, des pleines compétences que la Collectivité partageait ou n’avaient pas avant, notamment le réseau routier national, qui a été transféré à la CTC en 1991, soit 550 kilomètres de routes transférés en pleine propriété, l’organisation des transports maritime et aérien, et l’aménagement hydraulique. Des compétences qui étaient encore à l’époque partagées avec l’Etat : l’Environnement, l’Agriculture, le Tourisme, l’Université, la formation professionnelle des adultes, la Culture, le patrimoine culturel, la langue corse.
Aux trois offices existants qui touchaient à l’Agriculture, à l’approvisionnement en eau et aux transports, deux ont été ajoutés par la Loi : l’Office de l’Environnement, l’Agence du Tourisme de la Corse, et un autre a été créé par l’Assemblée de Corse : l’Agence de Développement Economique de la Corse (ADEC). Puisque la Corse venait d’avoir pleine compétence en matière de développement économique il lui fallait un petit support pour mettre en application ces compétences.
Les ressources naturellement à l’époque ont été accrues, insuffisantes cependant. La CTC reçoit une dotation de « continuité territoriale », qui existe encore : ce sont 187 millions d’euros, bloqués depuis quelque temps, ce qui va poser des difficultés dans les années à venir. Cette dotation est réservée exclusivement aux délégations de Service Public entre la Corse et le Continent, en matière de transport maritime et aérien. Dans ce domaine-là, la Corse, à travers la CTC, a pleine compétence en la matière puisqu’elle décide des fréquences, des capacités, des ports et des aéroports à desservir, elle lance les délégations de Service Public, et ensuite elle a les moyens, à travers l’Etat bien sûr par le biais de la solidarité nationale, de venir compenser le déficit occasionné par ces demandes.
A cette dotation s’ajoute la taxe sur les alcools, sur les transports, la Loi de 1991 ayant permis à la CTC de lever l’impôt pour cette dernière : chaque fois qu’un passager maritime ou aérien vient en Corse ou part de l’Ile, s’ajoute, à côté du prix hors taxe du billet, un certain nombre de taxes portuaires ou aéroportuaires plus la taxe sur les transports versée à la CTC et qui représente à peu près 26 millions d’euros. Cette somme était au départ plus fléchée au développement économique et surtout à la protection de l’Environnement : depuis elle fait partie d’une ressource de la CTC au même titre que les autres et est fondue dans la masse budgétaire.
En 2002, c’est le statut Jospin qui a fait suite à un plasticage de la Trésorerie Générale de l’Ile : Lionel Jospin a décidé de rouvrir des négociations, ce qui a donné un échange entre les élus de la Corse et le Gouvernement, avec des réunions présidées à Matignon par le Premier Ministre lui-même, et qui ont abouti à la Loi du 22 janvier 2002, qui nous a donné un peu plus de compétences : par exemple, un pouvoir réglementaire dans un certain nombre de domaines mais sur alimentation du législateur, ce qui n’a jamais fonctionné. Avec un Conseil Exécutif élargi de 7 à 9 membres. La CTC est la seule région de France à avoir dans ses compétences l’élaboration du PADDUC (Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse) , naturellement très important en termes de planification, ce qui fait que tous les documents en dessous du PADDUC doivent être compatibles avec celui-ci. Et toute la difficulté aujourd’hui pour l’Ile c’est d’avancer avec le PLU et les SCOT alors que le PADDUC n’a pas encore été arrêté par l’Assemblée de Corse, ce qui signifie que tout le travail qui a été fait aux échelons inférieurs peut demain se heurter à quelque incompatibilité avec le document premier qui va régir l’aménagement et le développement de la Corse.
 
Au-delà des compétences transférées, aujourd’hui par exemple la CTC a pleine compétence pour construire et financer des bâtiments universitaires, les collèges et les lycées ; la CTC a vu, à l’issue de la loi de 2002, son patrimoine s’accroître considérablement puisqu’elle a récupéré 55 000 hectares de forêts domaniales, l’ensemble du réseau ferré, soit 250 kms de voies dans un état lamentable, l’Etat n’ayant pas fait pendant plusieurs décennies les investissements nécessaires pour le Chemin de Fer corse : si la loi de 2002 n’avait pas transféré le réseau ferré en pleine propriété à la CTC, il est évident que qu’aujourd’hui il n’existerait plus puisque nous avons investi plus de 350 millions d’euros pour changer les locomotives, restaurer un certain nombre de kilomètres de voies ferrées, tout cela à la fois d’un point de vue patrimonial mais aussi dans un souci de développement durable, même si le relief de la Corse fait que nous n’aurons jamais de TGV qui traverseront nos belles contrées.
Nous avons la pleine propriété des quatre aéroports de l’Ile (Bastia, Ajaccio, Calvi et Figari) et des deux ports principaux dits nationaux (Bastia et Ajaccio) ainsi qu’un certain nombre de monuments historiques (la Cathédrale d’Ajaccio par exemple) et de sites archéologiques.
 
L’une des particularités de la loi de 2002 est le Programme Exceptionnel d’Investissement : on a considéré à l’époque que la Corse est en retard d’investissement et d’équipements. L’Etat n’ayant pas joué correctement sa partition en la matière, il fallait qu’à un moment donné soulever la question des moyens financiers. Ce PEI était conclu sur une période de 15 ans (2002-2017) en programmation, dont le paiement s’échelonnera sans doute jusqu’en 2020. Il était doté d’un peu plus de 2 milliards d’euros de travaux, la somme correspondant au coût d’objectifs, la loi de 2002 précisant que l’Etat peut aller jusqu’à 70% de la dépense, 50% en moyenne au final puisque lorsqu’un projet est lancé, puis passé au Comité de Programmation, le surcoût lié au temps et aux modifications n’étant pas pris en charge par l’Etat. Ce qui crée des difficultés aux collectivités qui ont des projets à porter puisqu’il faut bien trouver l’autofinancement nécessaire.
Enfin, les recettes de la CTC : sur un budget d’environ 650 millions d’euros, la Corse a environ 3 millions d’euros de ressources fiscales directes, ce qui correspond à quasiment 0,5% des ressources propres liées au contribuable insulaire. La Corse est donc tributaire de la Dotation Globale de Décentralisation, la TIPP (Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers) puisque, dans le cadre de la décentralisation, les transferts ont été accompagnés de parts de TIPP octroyées à la Corse : c’est un budget qui se partage entre fonctionnement et investissement avec 200 millions d’euros en investissement par an. Le budget est toujours à la marge puisqu’il n’y a pas de possibilité de manœuvre.
La CTC aujourd’hui réfléchit à son avenir. Avec des demandes possibles, d’autres qui le sont moins. Certaines qui font l’unanimité des élus, d’autres qui ne la font pas. Mais toujours avec ce souci, pour bon nombre d’entre eux dont je fais partie, d’avoir une décentralisation aboutie
qui nous permette d’appliquer nos politiques, dans le cadre bien sûr de la République française, en fonction des besoins de notre Ile.
Voilà un peu ce que je pouvais vous dire sur le statut de la Corse. Je pense ne rien avoir oublié. J’ai essayé en tout cas d’être complet, même s’il n’est pas évident de parler de l’histoire institutionnelle de l’Ile. Je précise qu’en 2003, la Corse s’est prononcée sur la fusion des deux départements et de la CTC sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, à l’époque Ministre de l’Intérieur : le référendum s’est soldé par un non. Nous avons cependant décidé d’ouvrir cette réflexion sur l’avenir, dans les mois qui viennent. Pas forcément sur la fusion des trois collectivités mais au moins sur un partage clair des compétences. Aujourd’hui, l’une des difficultés que rencontre la Corse, que vous rencontrez sûrement, est ce chevauchement des compétences entre le Département, la Région, les communautés de communes. Alors si on ne peut pas supprimer d’échelon - nous n’aimons pas supprimer des choses chez nous, au moins clarifions les compétences, supprimons pour certaines collectivités la clause générale de compétences de façon à ce que les élus sachent également à qui s’adresser, comment s’adresser et qu’il n’y ait plus ces financements multiples qui nous font perdre beaucoup de temps et aussi beaucoup d’énergie.