Corse Net Infos - Pure player corse

« L’échec de l’expédition de Sardaigne de 1793» de Philippe et Damien Chiaverini en librairie


Philippe Jammes le Samedi 18 Novembre 2023 à 09:32

Après « Les Fantômes de Mela » en 2021 et « Un Noël corse » en 2022, Damien Chiaverini nous propose en cet automne 2023 un essai : «L’Échec de l’Expédition de Sardaigne de 1793 » coécrit avec son père Philippe.



« L’échec de l’expédition de Sardaigne de 1793» de Philippe et Damien Chiaverini en librairie

Né en 1981, Damien Chiaverini est diplômé en Droit de l’Université Jean Moulin. Après ses deux premiers ouvrages, sa passion de l’Histoire l’a amené pour un 3ème livre à décortiquer les mécanismes d’une expérience révolutionnaire qui a profondément altéré les aspects sociaux et géopolitiques d’une France que l’Ancien Régime avait laissée comme puissance majeure.

Son père Philippe, né en 1943, Magistrat honoraire, est quant à lui l’auteur de plusieurs manuels juridiques, recueils de nouvelles et romans. Son intérêt pour les grandes figures historiques de l’île le pousse dans ce livre, coécrit avec son fils, à analyser la place de Paoli dans la Corse révolutionnaire.
 
- Damien, présentez-nous ce nouvel ouvrage ?
- Son objet a trait à la tentative, durant la période révolutionnaire, de prise de contrôle de l’île sœur de la Corse. Cette opération, décidée par le régime de la Convention, est intervenue entre janvier et février 1793. Et a débouché sur un désastre militaire qui a emporté d’importances conséquences politiques, notamment pour la Corse. Le livre, non seulement expose les conditions d’exécution de l’intervention armée, mais l’assortit d’une analyse sur la genèse des ambitions françaises au sein du Bassin méditerranéen occidental. En décortiquant les principes qui, alors, sous-tendent cette volonté d’expansion ultramarine. Dont la fluctuation justifie le sous-titre de l’ouvrage, qui met en exergue leur diversité sur la durée de l’ensemble du XVIIIe siècle. La continuité des objectifs poursuivis par nos Rois Bourbons connaissant les profondes transformations apportées par l’immense césure, autant géopolitique que sociale, que constitue la Révolution.

- Vous évoquez bien sûr la présence française à cette époque …
- Dans l’espace insulaire méditerranéen cette présence colore l’histoire corse d’une nuance toute particulière, qui la distingue de celle des autres îles. Les liens avec le monde franc s’avèrent suffisamment anciens pour remonter à l’époque carolingienne. Notre île est ainsi comprise dans la Donation de Pépin de 754, puis se fait le théâtre de contre-attaques contre les incursions musulmanes, à l’instar de celle menée par le connétable Burchard en 807. Cette double nature de terre pontificale, émergée dans une mer soumise à une piraterie endémique, marque de son sceau les évènements qui affectent le millénaire qui s’ensuit. Autant concédée par le Pape que surtout disputée entre Pise, Gênes et l’Aragon, la Corse ne revient dans les préoccupations françaises qu’au temps des Valois et de Sampiero Corso. Avec Henri II y dépêchant le maréchal de Thermes, qui l’occupe avec ses troupes et d’encombrants alliés turcs, quelques petites années au milieu du XVIe siècle. Souvenir suffisamment aigre pour dissuader toute nouvelle tentative, jusqu’à ce que la Corse se révolte contre Gênes.

- Une Gênes qui commençait à décliner …
- En effet, celle-ci était déjà devenue assez décadente pour voir son Doge s’humilier devant Louis XIV et entrer, à partir de la fin du XVIIe siècle, dans l’orbite de Versailles. Dès le début de l’insurrection, la position de la Sérénissime devient suffisamment précaire pour appeler en renfort, d’abord l’Autriche, puis Louis XV. Lequel se réjouit de devenir un acteur incontournable, sorte de médiateur entre le Souverain légitime que demeure formellement, dans les actes du temps, Gênes, et ses sujets corses, dont il juge plusieurs récriminations pertinentes. Arbitre armé qui fait ordonner à ses agents dès 1735, par la voix de son ministre Chauvelin, de se gagner localement un parti favorable aux Lys, afin d’y infuser un sentiment susceptible de croître jusqu’à parvenir à une acceptation de changement de maître. Pari remporté en une grosse génération, dès 1768-1769. Qui vient parachever, après l’accession de membres de la Dynastie sur les Trônes espagnol, napolitain et parmesan, le caractère de mer bourbonnienne de la Méditerranée occidentale.

- Une période où les Corses se retrouvent divisés ?
- Beaucoup de Corses ne se satisfont plus du statu quo génois. Non pas que le Peuple soit alors unanimement décidé quant à la voie à suivre. Des partis rivaux s’affrontent et même le Généralat de Pascal Paoli ne parvient pas à édifier une complète unité. Divisions dont profite le Roi de France, qui recrute des partisans, louvoie habilement face aux autres puissances, et ne manque jamais de rappeler sa force. Jusqu’à emporter la mise et s’arroger l’administration de l’île, qu’il doit certes imposer, durant la première année, par la Conquête et l’annihilation des forces armées nationales de Paoli...

- Qui marque l’ouverture d’une nouvelle période…
- S’ouvre effectivement un nouveau chapitre, qui dure 20 ans. Qui ne se montre évidemment pas exempt de violences et de répressions. Mais qui parvient tout de même à un développement économique et démographique. Et qui, sur l’île, est vu comme assez intéressant pour que les députés envoyés aux états généraux, qu’il s’agisse de Buttafoco pour la Noblesse ou de Salicetti pour le Tiers, militent pour la pleine et définitive intégration de la Corse dans la France, consacrée à l’automne 1789. Moment où l’on pense que la situation est mûre pour demander le rappel de Paoli. Lequel arrive en 1790, se voit acclamé à Paris, tant à l’Assemblée et dans les clubs qu’à la Cour et, rentré en Corse, devient le premier Président du Département nouvellement créé. Comme souvent, c’est à l’apogée que se dessine la chute. Car, une fois sur place, Paoli se trouve confronté à mille difficultés, que son Généralat avait pu un peu éluder par la guerre et que les officiers royaux avaient eu grand peine à contenir. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que l’exaltation de l’individualisme, que la politique physiocrate défendue durant les dernières décennies de l’Ancien Régime avait préparée au détriment du vieux fonctionnement communautaire, officiellement plébiscitée par les débuts de la Révolution, ne soit cause de troubles sur une île qui s’était battue pour sa liberté. Et ne mette en difficulté son vieux chef, qui doit la régenter entre certains de ses alliés politiques intéressés par le lucratif marché de la vente des biens nationaux, d’absolus refus fiscaux et d’importants pans populaires, notamment urbains, horrifiés par les mesures législatives hostiles à l’Église. Le malaise qui agite la société corse de ce temps-là se retrouve dans la plupart des autres provinces. Les excès réformistes, qui engendrent autant l’atonie économique que le mécontentement populaire, ne font que radicaliser une partie du personnel politique, qui se jacobinise. Mais la Révolution n’attend pas Robespierre pour se durcir et le Ministère girondin que doit nommer Louis XVI, puis les premiers mois de la République n’ont d’autres visées que la guerre extérieure. Laquelle présente le double avantage d’expédier par-delà les frontières les éléments les plus contestataires du Peuple, qui se voient enrégimentés, ainsi que de pouvoir prélever, à l’extérieur, des grains et autres richesses, qui font cruellement défaut.

- Et c’est dans ce contexte qu’est projetée l’expédition de Sardaigne …
- L’île voisine est en effet jugée alléchante pour ses ressources en céréales et en chevaux. Davantage qu’une conquête, c’est plutôt un raid qui est ambitionné à l’encontre de cette possession du Duc de Savoie, dont le gouvernement agrège le Piémont et la Sardaigne. Pour la submerger, la Convention décide l’envoi de troupes, notamment constituées de volontaires nationaux. C’est-à-dire d’hommes qui n’ont pas de spéciale instruction militaire mais sont levés pour faire nombre. Et se recrutent plus souvent chez des rufians avides de rapines, des gens de sac et de corde aspirant à quelque mauvais coup, qu’auprès d’âmes chevaleresques rêvent d’exploits héroïques ou de soldats dignes de ce nom, férus de discipline. Le Var et les Bouches-du-Rhône doivent fournir des contingents qui transiteront par la Corse et se verront renforcés par ceux que le directoire départemental a reçu ordre de la Convention de fournir. Gageure face à laquelle Paoli a officiellement exprimé ses réticences, en explicitant la grande difficulté et l’inadéquation par rapport à la situation globale. Mais consigne qu’il a néanmoins respectée, en parvenant par exemple à mobiliser le Bataille d’Ajaccio-Tallano, dont Napoléon Bonaparte est Lieutenant-colonel en second.

- Ce « débarquement allié » sur notre débute très mal d’ailleurs…
- A peine débarqués en Corse, les Provençaux commettent des atrocités, s’amusant à assassiner et à pendre jusque parmi les volontaires locaux. Exactions qui manquent de peu de susciter un soulèvement général. Pour apaiser les tensions, les contingents sont séparés et aucune coordination ne s’opère. Le contre-amiral Truguet part pour Cagliari, qu’il fait bombarder sans aucun succès et face à laquelle ses troupes débarquées, désemparées par la résistance farouche des Sardes, se débandent, apeurées. La diversion que tentent les Corses, par le Détroit de Bonifacio, sur l’île de La Maddalena, ne rencontre pas une plus grande réussite. Bonaparte, officier d’artillerie, qui connaît là sa toute première campagne, fait tonner ses pièces avec adresse. Mais une mutinerie des marins le condamne à décamper piteusement, dans une évacuation précipitée au cours de laquelle il manque de peu d’être capturé. Action qui, si elle avait abouti, aurait changé grandement le cours de l’Histoire !

- Une déroute que la Convention attribuera à Pascal Paoli ?
- Cette déroute est jugée intolérable par la Convention. Qui, refusant de considérer ses propres erreurs, désigne Paoli comme bouc-émissaire. Inventant sa collusion avec l’Angleterre et dénonçant donc sa trahison. Accusation à l’emporte-pièce, qui entraîne sa rupture avec la France et le jette, cette fois-ci pour de bon, dans les bras de Londres, qui attendait depuis longtemps pareille opportunité pour faire mouiller sa Flotte à quelques miles des côtes provençales. Ouvrant, dès 1794, la parenthèse du Royaume anglo-corse, qui ne se refermera et ne verra la France du Directoire recouvrer sur place sa souveraineté que par la force.

- Aujourd’hui cette responsabilité de Paoli est-elle remise en cause ?
- L’absence de responsabilité de Paoli dans l’échec d’une guerre, à laquelle il était profondément hostile et qu’il jugeait aussi odieuse qu’illégitime, est depuis longtemps relevée par les historiens. La procédure lancée contre lui révèle cependant toutes les tensions que la période révolutionnaire avait ravivées sur l’île. Voyant ses anciens amis, tels Arena et Salicetti, se faire ses plus ardents procureurs. Voilant, sur ses vieux jours, d’amertume les espérances qu’il avait entretenues sur la concorde pouvant unir une Corse libérée de toute sujétion extérieure. Car lui-même s’était toujours fait le partisan d’une administration tempérée, dont l’autonomie était garantie par le bouclier d’une puissance tutélaire, suffisamment sage pour demeurer lointaine. Les rugosités de la géopolitique, alliées aux animosités engendrées par les querelles d’intérêts, le rappelleront, hélas, aux lois d’airain qui régissent les hommes et les sociétés qu’ils édifient.

- Que retenir d'autre de cette expédition en Sardaigne ?
- À rebours de la Geste révolutionnaire, puis de la légende napoléonienne, où son fondateur reçut son baptême du feu, l’échec de l’expédition de Sardaigne de 1793 signe la résilience de l’Antériorité. La victorieuse résistance des sujets de Sa Majesté Victor-Amédée III, beau-père des futurs Louis XVIII et Charles X, exhale comme un parfum de Restauration avant l’heure.