- Après « Une enfance corse », « Mémoire(s) de Corse », « Les utopies insulaires » et « Portraits de Corses », vous vous penchez aujourd'hui – avec « Corses de la diaspora », publiés aux Éditions du Scudo - sur les Corses de l'extérieur. Pourquoi cet intérêt ?
- Ayant connu, par le hasard de l'histoire, l'Algérie en même temps que la Corse puis la France, je considère que j'ai trois Patries, que j'appartiens à trois identités successives, complémentaires, chacune riche de son histoire. Cependant, je considère que c'est la Corse qui est ma patrie par la force de l'enfance qui construit un individu. C'est pourquoi quand, par le hasard des rencontres, des projets, j'ai eu l'occasion, à partir de 2010, de participer à un cycle consacré à au passé de la Corse, à sa mémoire et à son identité, j'ai accepté très volontiers. Depuis 2010, j'ai coordonné, en effet, plusieurs ouvrages dans le but de constituer une représentation des 50 dernières années de la Corse.
Mon nomadisme et mes incessants voyages d'aller et retour entre la Corse et l'extérieur m'ont conduit à réfléchir sur la notion de Diaspora puisque, au sens propre du terme, la diaspora est une dispersion de population dans un territoire extérieur, à partir du territoire d'origine. C'est pourquoi nous avons décidé de consacrer le cinquième volume de notre cycle à la Diaspora corse, moi-même me considérant comme un membre de cette Diaspora. Diaspora est un mot ambigu et complexe qui recouvre des expériences très différentes depuis les origines. Il m'a semblé que dans l’interrogation sur la Corse d'aujourd'hui s'est imposée une recherche sur cette Diaspora corse qui a toujours existé et qui, à mon avis, doit jouer un rôle important dans la construction de la Corse de demain.
- Quels ont été vos critères pour sélectionner des témoignages (il y en a 17 en tout) plutôt que d'autres ?
- Il nous a paru logique donc, avec l’éditeur Jean-Jacques Colonna d’Istria, de donner la parole à des membres de la Diaspora. C’est-à-dire à des Corses ou personnes d’ascendance corse vivant ou ayant vécu à l’extérieur de la Corse (ou une partie de leur vie). D’où le titre Corses de la Diaspora et non pas La Diaspora corse. Nos critères de sélection ont été variés, comme le sont les situations. Nous avons tenu compte des circonstances, de la géographie, des professions, de la parité femmes/hommes, des différentes générations. Nous avons demandé à chacune des personnes sollicitées de nous envoyer un récit personnel, inédit, libre, de leur expérience suffisamment longue pour nourrir une réflexion. Il ne faut pas les confondre avec les migrants, émigrés, réfugiés, voyageurs, touristes, baroudeurs, globe trotters, routards, étudiants Erasmus. Nous avons tenu à accompagner chacun de ces textes de photographies originales de leur famille d’origine en Corse ou de leur activité à l’étranger. Elles constituent, à elles seules, un élément qui enrichit le récit, qui constitue à sa manière, une narration.
- Dans quelle mesure les Corses de l'extérieur peuvent-ils être utiles à l'île ?
Nous avons une conception assez souple de la notion de corse, et lui préférons celle de communauté de destin. Tous nos intervenants sont corses ou de famille à la fois corse et continentale, ou ont vécu leur enfance en Corse. La question de la Diaspora corse, - avec sa genèse insulaire, sa constitution, ses mutations, son rôle à l’avenir - n’est pas dissociable de l’évolution politique de la Corse depuis 1960. Elle ne peut être ni appréciée ni comprise si on ne la situe dans les principaux événements survenus au cours de cette période dans l’île. La revendication d’une Diaspora suppose obligatoirement l’idée de dispersion spatiale d’un peuple mais aussi la conscience affirmée d’une origine commune qui implique une solidarité culturelle, affective, politique, gastronomique. On est EN diaspora avant d’être de la diaspora.
On constate, en effet, le passage d’un « amicalisme », efficace à court terme mais sans vision ni perspectives, qui évolue lui aussi, à un engagement plus politique. Cela modifie les conditions de la Diaspora qui devient un réseau de travail..
Dans cette nouvelle donne, le phénomène de la Diaspora n'est plus la manifestation d'un appel inquiet vers l'extérieur mais la base de l'édification d'un territoire enrichi des expériences rassemblées de ceux qui sont partis et qui reviennent unis à ceux qui restent et s'apprêtent éventuellement à partir, dans ce mouvement d'aller et retour qui a toujours caractérisé les habitants de l'île.
Dans son désir de sa renaissance et de la recherche d’un élan nouveau à la suite de décennies d’abandon ou de crise, la Corse cherche de plus en plus à réunir les communautés restées dans l’île et celles qui en sont parties momentanément. Pour construire un destin commun qui dépasse les séparations douloureuses du passé.
- Selon vous, y a-t-il une diaspora corse ou des diasporas, avec des différenciations caractéristiques ?
- La Corse offre la particularité, conformément à son insularité, d’un mouvement d’évasion vers l’extérieur, un effacement de la mer vers un ailleurs utopique. Certes, on ne peut pas mettre sur le même plan les Corses qui partaient à l’aventure vers le continent américain, au XVIIIème siècle, qui souvent ne sont jamais revenus, et ceux qui, dans des époques plus récentes, forment des communautés provisoirement installées dans un pays lointain. Tous, cependant, constituent des Diasporas qui conservent un rapport étroit avec leur île d’origine. Comme toutes les îles, la Corse est forcément prise dans la dialectique de “L’Ici ” et de “L’Ailleurs”, elle provoque le désir, chez les autres, de la connaître et d’y débarquer pour en faire le tour et chez ceux qui l’habitent la volonté de la défendre ou de la quitter, en allant vers cet ailleurs que symbolise la mer, ouverte au grand large…
Les motivations du départ à l'extérieur n'étaient pas politiques (l'exil pour fuir une dictature) ou historiques (un génocide) mais plutôt économiques : sans être des migrants affamés, comme cela se passe aujourd'hui avec certains pays, les Corses partaient à cause du manque de travail dans une île longtemps abandonnée et archaïque... Partout les Corses ont fait souche, ils ont travaillé dans tous les domaines : agriculture, industrie, fonction publique, diplomatie, casinos. Dans notre livre, cela va de l'enfance d'une fille de militaire dans la Chine des années 30 au départ volontaire d'un jeune homme au Laos dans les années 2000, si on prend les deux extrêmes chronologiques de nos récits. D'ailleurs, on ne sait pas le nombre exact de ces membres de la Diaspora, difficile à mesurer, mais sans doute très important.
- L'association Corsica diaspora, dont le président était le regretté Edmond Simeoni, a-t-elle joué un rôle dans votre approche ?
- Oui, à l'évidence. C'était d 'ailleurs le sens du combat d'Edmond Simeoni avec son association Corsica diaspora, créée en 2004. Il considérait qu'était terminé le temps de l'antagonisme entre les Corses de l'extérieur et ceux de l'île et qu'était venu le temps de les rassembler dans un combat commun pour sauvegarder notre identité. Nous avons bénéficié, en partie, du fichier de l'association Corsica diaspora qui est notre partenaire pour cette publication. D'ailleurs, le 8 novembre dernier, Edmond Simeoni, malgré son état de santé très fragile, avait tenu à nous accompagner à San Benedetto pour la présentation publique du livre. Son intervention, ce soir-là, résonna comme un testament et un dernier message d'espoir. Nous sommes tous conscients d'un devoir de poursuivre son combat. Il reste pour nous un modèle.
- Qu'est-ce qui définirait le mieux la diaspora corse, dans une considération d'ensemble ?
- La diversité des itinéraires, leur singularité, leur force démontrent, si besoin était, que la notion de Diaspora n’est plus la même que naguère. En effet, plusieurs des personnes évoquées ici sont parties de Corse pour vivre leur destin ailleurs, d’autres sont revenues dans l’île pour y développer leur carrière ou en commencer une autre. Nombreux sont ceux qui font des incessants allers-retours entre le monde extérieur et l’île dont ils sont originaires. Tous manifestent un profond attachement à leur terre. Les mutations récentes modifient fondamentalement les motivations et les expériences de la Diaspora corse. En effet, plusieurs raisons se superposent qui établissent les conditions d’une nouvelle Diaspora : la décolonisation dans les années 50/60, la création de l’université de Corse en 1982, le phénomène du Riacquistu et son effervescence créatrice dans tous les domaines, depuis 1970/1975, la Paix retrouvée désormais dans l’île, l’avènement d’internet. Tout cela bouleverse la notion d’isolement insulaire. Les raisons de partir sont aujourd’hui moins fortes ou différentes. Les jeunes Corses sont mieux formés et davantage tentés par vivre leur destin en Corse mais aussi, de façon apparemment paradoxale, de vivre aussi une expérience à l’étranger. Dans de nombreux cas, le retour au pays n’est plus l’occasion d’y construire une maison ou un tombeau mais pour y poursuivre des activités professionnelles. Ce système d’aller et retour ne peut être que fructueux pour ceux qui le vivent et pour la Corse. Il est le contraire du départ définitif ou de l’enfermement. Ces personnes restent corses mais enrichies de l’expérience toujours valorisante d’un séjour à l’étranger. Les récits présentés dans notre ouvrage en sont une illustration.
- Avez-vous déjà une idée de votre prochain travail ? Est-il dans la continuité de celui-ci ?
- Nous n’avons pas encore décidé avec Jean-Jacques Colonna d’Istria quel sera le sujet de notre prochain livre. Il faut du temps pour choisir un sujet, qui est en général le fruit de nombreuses discussions entre nous et de consultations auprès de personnes expertes. Mais sachez que notre souci ne sera jamais commercial, opportuniste ou démagogique. Notre champ de travail restera la réflexion sur la Corse, son destin et son incarnation à travers des figures individuelles afin de participer à une représentation authentique de la Corse loin des clichés habituels et des caricatures blessantes dont elle est trop souvent l’objet et la victime.
Jean-Pierre Castellani : « Corses de la Diaspora » – Scudo Editions – 260 pages, 20 €.