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Jean-Philippe Navarre, nouveau procureur de la République de Bastia : "L’année 2024 sera lourde de défis"


Paule Cournet le Samedi 20 Janvier 2024 à 09:13

A l'occasion de la rentrée solennelle tribunal judiciaire, le nouveau procureur de la République de Bastia, Jean-Philippe Navarre, a livré, devant une salle d’audience recueillie où avait pris place l’ensemble des autorités de la Haute Corse, sa feuille de route pour 2024, entre émotion et volontarisme.



La prise de fonction dans son nouveau poste ne pouvait être guère plus dramatique et violente. Confronté, dès son arrivée sur l’île, au quadruple meurtre de Montesoro survenu le 8 janvier, Jean-Philippe Navarre n’a pas attendu l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel et du tribunal judiciaire de ce vendredi 19 janvier pour revêtir ses nouveaux habits de procureur de la République de Bastia.

L’exercice lui aura toutefois perçu de dresser le bilan de l’action de sa juridiction et de livrer le cap des priorités de l’année qui s’ouvre. Venu de Nice, où il exerçait les fonctions de procureur de la République adjoint, il mesure à la fois la chance qui lui est faite, alors qu’il devient chef de Parquet pour la première fois, point culminant d’une carrière menée avec rigueur, qui l’a conduit des Jirs (Juridictions interrégionales spécialisées) de Lille, Fort de France et Marseille au Parquet national financier, lui valant la réputation d’un magistrat pointilleux et spécialisé, passionné par les dossiers criminels complexes, de criminalité organisée et de délinquance financière.

Dans sa prise de parole, pourtant, c’est l’émotion qui prévaut, celle de la conscience de la tâche qui l’attend, mais aussi celle qui exprime une profonde humanité, envers les justiciables, tout d’abord, mais aussi l’ensemble des acteurs de la cité judiciaire et des partenaires. « Alors que je prends mes fonctions, je peux déjà affirmer combien je peux ressentir très fortement le besoin de justice dans cette juridiction », déclare-t-il avant de rendre un hommage appuyé à son prédécesseur, Arnaud Viornery, parti en septembre dernier rejoindre la Place Vendôme comme conseiller spécial du Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.

« Qualité, transparence et lisibilité »
Son action, « son engagement », auront permis de construire, estime le tout nouveau Procureur, « une réponse pénale de qualité et une justice où s’affirme le souci très particulier de la représentation de l’autorité judiciaire dans la cité », dressant un bilan sur lequel « il est précieux de s’appuyer », et remerciant dans le même temps, chaleureusement, François Thévenot, avocat général près la Cour d’appel de Bastia, d’avoir assuré la vacance de poste durant quatre mois. Pour autant, le magistrat le sait, « 2024, sera une année lourde de défis », citant par exemple, « l’approfondissement du déploiement du numérique (ou) la mise en œuvre des premières cours criminelles départementales, et le retour d’expérience qu’il faudra en faire sur le gain de temps qu’on nous a promis ». Pour y répondre, Jean-Philippe Navarre entend s’appuyer sur un triple engagement : « la qualité, la transparence, la lisibilité », souhaitant privilégier le dialogue, l’échange, la communication – « quand elle est nécessaire », s’empresse-t-il de préciser-, afin « d’expliquer ce que fait la justice. Nos concitoyens ont besoin de comprendre ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons, notre action doit être ancrée dans un territoire », estime celui qui précise que « servir la justice en Haute-Corse a été un choix volontaire et réfléchi ».

Son action, plus largement, c’est d’abord à destination de la protection des plus vulnérables qu’il désire l’exercer : « Le pacte social se fonde d’abord sur la protection des personnes et plus particulièrement des plus fragiles ; je pense bien évidemment aux violences intrafamiliales, aux violences infligées aux femmes et aux enfants », précise ainsi le magistrat alors que près de 200 personnes ont été poursuivies pour ces faits en 2023. « Ce chiffre doit nous interpeller. Mais il traduit aussi la réactivité des forces de police et de gendarmerie et celle de nos services. La parole se délie. Les victimes osent sortir du silence de leur domicile, elles hésitent moins à parler, à dénoncer»., se félicite-t-il, rendant hommage à l’engagement quotidien de tous ceux et toutes celles qui œuvrent au-delà de leurs heures de travail, pour accélérer la prise en charge, rédiger une ordonnance de protection, ou agissant de nuit ou les week-ends. Autre fléau qui « menace le tissu social, ce tissu qui nous lie », celui du trafic de stupéfiants, compte également, naturellement, dans les hautes priorités du Procureur Navarre. « Cet enjeu implique d’agir à plusieurs niveaux, il nous faut agir à plusieurs niveaux, faire preuve d’initiatives, d’imagination et de travail acharné », détaille-t-il, précisant que cette lutte doit s’adresser non seulement aux auteurs, mais aussi « embrasser tout le spectre, c’est-à-dire, ceux qui vendent, ceux qui facilitent le trafic de stupéfiants, ceux qui ferment les yeux".

« L’argent sale pollue tout »
"L'argent sale pourrit tout, favorise la défiance à l’égard de la justice, à l’égard de l'Etat et concourt au développement de discriminations et au populisme ; je souhaite une politique pénale agressive sur le terrain des luttes contre les trafics et le blanchiment. Il nous faut rétablir la confiance dans toutes les autorités »,
martèle encore Jean-Philippe Navarre, fier d’un Parquet qui a mené l’an passé 44 mesures de saisies, « soit environ une par semaine », et qui aura permis de reverser près d’un million d’euros au budget de l’Etat, « un million pris au budget du crime ».

Dans un tout autre registre, c’est à la lutte contre les séparatismes et les discriminations qu’il entend aussi s’atteler, afin « que le droit soit respecté de façon équitable : il n’est pas admissible, explique-t- il, que certaines communautés soient stigmatisées par désinformation. » Enfin, et la Corse en est parfois une triste illustration, c’est à la lutte contre les atteintes à l’environnement que le chef du Parquet entend dédier une grande part de son action. « C’est un devoir impérieux qui s’impose à nous. La protection de l’environnement est un sujet que nous avons en coresponsabilité et j’aurais une attention extrême sur cette question », note Jean-Philippe Navarre qui inscrit sa mission dans la coopération et la collaboration, saluant les projets qui seront menés avec son homologue ajaccien. « Nous ne pourrons mener ces combats tous seuls », conclut-il en précisant que son travail se fera en coordination des parquets de Marseille, de Paris (PNF, Antiterrorisme) mais aussi du parquet européen.

Citant pour finir une phrase de Victor Hugo qui l’a marqué enfant, Jean-Philippe Navarre veut inscrire son action dans une équipe, son équipe, dont le travail au quotidien, fait de « petits riens », contribue à la création de choses extraordinaires. « Je suis heureux d’être un petit rien de plus », souffle-t-il, visiblement heureux, en effet, d’avoir rejoint cette juridiction de Haute-Corse.