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Jean-Félix Acquaviva : « La compensation de 33 millions € donnée à la Corse pour les carburants est une réponse à l’urgence »


Nicole Mari le Mardi 8 Novembre 2022 à 20:52

L’Assemblée nationale a voté, mardi soir, dans le cadre de son projet de loi de finances rectificative pour 2022, à la demande des députés nationalistes corses et de leur groupe parlementaire LIOT, une compensation exceptionnelle de 33 millions d’euros pour régler la facture de carburant du service public maritime entre la Corse et le continent. Ce versement forfaitaire ponctuel, qui s’ajoute à la dotation de continuité territoriale bloquée à 187 millions d’euros, avait été réclamé par l’Exécutif corse pour faire face à la hausse du coût de l’énergie. Explications, pour Corse Net Infos, du député de la 2nde circonscription de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, qui revient également sur les relations avec Paris, le processus d’autonomie et rectifie les rumeurs de rapprochement du groupe Liot avec la majorité présidentielle.



Jean-Félix Acquaviva, député de la 2nde circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), conseiller territorial à l'Assemblée de Corse et président du Comité de massif de Corse.
Jean-Félix Acquaviva, député de la 2nde circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), conseiller territorial à l'Assemblée de Corse et président du Comité de massif de Corse.
- Cette dotation exceptionnelle de 33 millions d’euros pour la continuité territoriale corse est, donc, actée. Est-ce une victoire ?
- Oui ! Le gouvernement a déposé, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2022, un amendement similaire au nôtre, à savoir une compensation exceptionnelle de 33 millions d’euros, justifiée par la hausse du coût de l’énergie et du carburant que doit assumer la Collectivité de Corse dans le contrat de la Délégation de service public maritime. Ce qui nous rassure, c’est que la dotation est forfaitaire et liée à l’augmentation du coût du carburant, elle n’est pas sujette à des critères d’éligibilité qui auraient pu en faire une usine à gaz, ce que l’on craignait au départ. Ce n’est donc pas le cas. Cette dotation forfaitaire augmentera la Dotation globale de décentralisation dévolue chaque année à la Collectivité de Corse et que la Collectivité de Corse a tout loisir de reverser à l’Office des transports (OTC) dans le cadre du service public. Donc, c’est effectivement une victoire intermédiaire sur l’urgence à répondre à cette hausse du coût du carburant et à son impact sur l’exercice du service public du transport maritime entre la Corse et le continent, sur son fonctionnement et ses tarifs.
 
- Comment expliquez-vous qu’après tant de refus gouvernementaux, votre demande de réponse à l’urgence soit enfin entendue ?
- Je serais tenté de dire que c’est une logique de bon sens qui s’applique. Ce n’est pas une victoire totale, ce n’est pas suffisant dans le débat concernant les relations entre Paris et la Corse. Mais, en attendant de rentrer dans ce cadre-là, tout en souhaitant y entrer rapidement, nous constatons que le relais, que nous faisons, des demandes de la Collectivité de Corse et du Conseil exécutif au Parlement, bénéficie d’un rapport de forces démocratique qui nous est favorable dans le cadre d’une majorité présidentielle très relative. Le fait que notre groupe parlementaire, le groupe LIOT, compte et est en cohésion avec les demandes de la Corse, fait avancer quelques points qui se débloquent, en espérant un déblocage sur les grands sujets d’ici peu. Nous souhaitons sortir de cette logique de petits pas pour entrer dans le cadre d’une solution globale sur la question évidemment des prisonniers, du statut fiscal, du statut d’autonomie, de la langue et de la culture, du foncier et de l’immobilier….
 
- Cette dotation forfaitaire de 33 millions € reste ponctuelle et de court terme. Comment compenser la flambée des prix à plus long terme ?
- C’est une compensation ponctuelle, mais nous continuons à poser la nécessité de faire évoluer la Dotation de continuité territoriale de manière dynamique. L’idée est de sortir du gel et du caractère constant dans laquelle cette dotation est enferrée depuis 2009 pour lui donner une dimension dynamique, c’est-à-dire une réelle indexation sur le coût de la vie ou un transfert sous forme de parts de TVA dont le recouvrement est en croissance en Corse. Le coût d’exercice d’un service public aérien et maritime, que ce soit en termes d’exploitation, d’amortissement du capital ou du coût de l’énergie, a malheureusement vocation à croître. Que ce soit pour garder des tarifs accessibles aux passagers corses et aux entreprises, notamment en visant toujours des tarifs à la baisse, pour permettre une transition énergétique avec des investissements que devront faire les opérateurs demain dans le cadre de la future compagnie maritime territoriale pour renouveler la flotte, ou encore les innovations technologiques dans les avions pour un transport durable et moins sujet à l’émission de polluants, cela nécessite que l’enveloppe, qui sert à compenser le juste service maritime, soit dynamique et augmente de manière raisonnée. C’est aussi l’autonomie financière et fiscale de la Corse qui se joue à travers cette question. Une dotation financière dynamique ou une autonomie fiscale serait justifiée moralement, politiquement et économiquement dans l’exercice du transport public.
 
- L’Etat n’est pas du tout favorable à ce transfert de TVA ! N’est-ce pas un sujet tabou ?
- A l’heure où l’on parle, cette nécessité n’est pas admise par Bercy, mais à l’aune des discussions historiques qui doivent reprendre, si nous arrivons à sortir des problèmes sensibles, légitimes et à régler rapidement des prisonniers, cela fait partie des questions liées au statut d’autonomie. C’est inéluctable !
 
- Ces discussions sont au point mort. Tout le monde s’interroge sur leur reprise, mais les faire dépendre du règlement de la question des prisonniers n’est-ce pas sujet à caution ?
- Il y a, en Corse comme à Paris, beaucoup de gens de bonne volonté et nous mettons, tous, légitimement, beaucoup d’espoir dans l’arrêt de la Cour de cassation qui ouvre la porte à une issue par le droit qui soit positive. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avancer sur le terrain économique, social et institutionnel et donner à ce processus la dimension historique qu’il doit avoir. Effectivement, nous sommes dans un entre-deux, mais cet entre-deux doit déboucher sur un vecteur positif. En ce qui nous concerne, à la place qui est la nôtre, en tant que parlementaire, au sein de notre groupe LIOT, en relation bien sûr avec les autres députés de notre groupe, mais aussi avec des députés amis, comme certains par exemple au MoDem, qui comprennent la cause Corse et notre revendication d’autonomie, ou encore en convergence avec le député Laurent Marcangeli qui, sur les amendements récents, est allé dans notre sens, nous pensons que nous pouvons contribuer à faire bouger les lignes. Et notre rôle sur tous les sujets, y compris sur les prisonniers et sur le FIJAIT, sera de continuer à faire bouger les lignes, comme nous avons réussi à le faire bouger sur le terrain du transport aujourd’hui.
 
- La rumeur court que le groupe LIOT pourrait saisir la main tendue par Emmanuel Macron et rejoindre la majorité présidentielle. Est-ce le cas ?
- Quelle est la situation ? Nous sommes aujourd’hui dans le cadre d’une majorité présidentielle très relative. A l’aune des débats qui ont eu lieu sur divers projets de loi - la loi sur le pouvoir d’achat au mois de juillet, plus récemment la loi de programmation budgétaire, mais aussi le projet de loi de finances 2023 ou le projet de loi de finances rectificative pour 2022 -, le gouvernement se rend compte que le groupe LIOT, fort de 20 députés, peut faire ou défaire des majorités. Par exemple, la loi de programmation budgétaire, qui centralisait beaucoup de choses au niveau de l’État pour gérer les collectivités concernant les dépenses de fonctionnement, a été rejetée de 309 voix contre 204. Nous avons contribué à la faire rejeter. À partir de là, il est évident que le gouvernement comprend qu’il faut discuter. Le fait que le Président de la République parle de sa volonté de nouer des alliances, notamment avec notre groupe parlementaire, crée une perspective éventuelle, je dis bien éventuelle parce qu’il faut évidemment passer des discours aux actes. Cela signifie pour nous des perspectives concernant les sujets mis en avant par le groupe LIOT et que ces sujets, dont le problème Corse et les discussions sur la Corse font partie entièrement, soient pris en considération. Aujourd’hui, il est clair qu’il y a un mouvement de lignes sur certains sujets sectoriels qui doit préfigurer des mouvements de ligne beaucoup plus profonds pour un accord politique global. À ce stade, nous sommes un groupe d’opposition et nous le restons, mais une opposition qui appelle à un changement de méthode, à trouver des compromis historiques par rapport à certains sujets, notamment le problème Corse. C’est le discours que tiennent aussi bien chaque député du groupe LIOT, que le président du groupe et que nous-mêmes. Nous sommes dans cet entre-deux là, entre une volonté présidentielle affichée de vouloir trouver des alliances et la nécessité de leur apporter un contenu qui passera obligatoirement par donner à la question Corse une dimension historique en termes de résolution.
 
- Donc, au final, une position inchangée qui reste très pragmatique ?
- Pragmatique oui ! Et aussi de faire admettre au gouvernement et à la majorité présidentielle, s’ils veulent gouverner le pays de manière plus sereine, plus cohérente et moins sujette à des à-coups qu’ils ne maîtrisent pas, la nécessité de créer des pactes politiques durables. Et des pactes politiques durables doivent inclure la résolution de la question Corse de manière durable. C’est le point d’équilibre que nous demandons à travers la solution politique globale. C’est notre travail ici au quotidien à l’Assemblée nationale. Nous prenons tout ce qu’il y a à prendre dans l’intérêt de la Corse, sur le crédit d’impôt, sur la dotation de continuité territoriale, sur les avancées sectorielles qui sont nécessaires à la vie quotidienne des Corses… Nous allons continuer de le faire jusqu’à parvenir à la solution politique globale, justement pour que le point d’équilibre soit trouvé. Nous n’y sommes pas encore clairement, il faut, je le répète, que le gouvernement passe des discours aux actes, et travailler dans ce sens. C’est ce que nous faisons.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.