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Jean-Félix Acquaviva : « Il y a un chemin pour réussir à faire adopter le projet constitutionnel de la Corse »


Nicole Mari le Dimanche 12 Mai 2024 à 16:06

Le projet d'écriture constitutionnelle pour un statut d'autonomie de la Corse a été adoptée à une large majorité le 27 mars par l'Assemblée de Corse, puis transmis au gouvernement. Le 8 avril, le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, a rencontré le Premier ministre, Gabriel Attal, qui a réaffirmé la volonté de Paris de faire aboutir le processus de Beauvau. Un entretien est prévu avec le Président de la République avant la délicate présentation au Parlement. Le député de la 2nde circonscription de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, revient sur le calendrier et le travail de lobbying entrepris pour convaincre les parlementaires français. Positif et prudent, il explique à Corse Net Infos l’importance de la bataille à mener et estime que les temps ont changé et qu’un chemin est désormais ouvert pour aboutir.



Jean-Félix Acquaviva, député nationaliste de la 2ème circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), président du Comité de massif de Corse, conseiller territorial du groupe Fa Populu Inseme et militant du parti Femu a Corsica. Crédits Photo : CNI
Jean-Félix Acquaviva, député nationaliste de la 2ème circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), président du Comité de massif de Corse, conseiller territorial du groupe Fa Populu Inseme et militant du parti Femu a Corsica. Crédits Photo : CNI
- C’est le statuquo sur le projet d’écriture constitutionnelle. Comment interprétez-vous la réaction de Paris au texte voté en Corse ?
- Je crois qu’il y a tout simplement une volonté d’avancer très forte du Premier ministre, conformément à l’accord entre les élus de la Corse et le gouvernement. Et la certitude que la réforme constitutionnelle s’inscrit dans le calendrier et qu’il faut lui donner le maximum de chance pour l’obtenir conforme au compromis historique trouvé en Corse. Aujourd’hui, on attend une réunion avec le Président de la République et les élus de la Corse, ainsi que la décision du Président de la République de déclencher la réforme constitutionnelle de la Corse et de l’inscrire dans un calendrier qui semble a priori être beaucoup plus proche de la rentrée parlementaire 2024- 2025.
 
- Le rendez-vous avec le Président de la république a-t-il été fixé ?
- On n’a pas encore de date précise pour cette rencontre, mais elle ne saurait tarder.
 
- Comment expliquez-vous ces retards ? Par les élections européennes ou par des blocages politiques ?
- Je crois surtout qu’il y a un engorgement législatif. Doit d’abord être examiné le projet de loi sur la fin de vie qui était déjà programmé avant l’accord du 23 février entre la Corse et Gérald Darmanin et avant le vote à l’assemblée de Corse. Le débat sur ce projet de loi « Fin de vie » va prendre du temps. Je rappelle que le projet de loi organique concernant le corps électoral pour les élections provinciales de fin 2024 en Nouvelle-Calédonie et la réforme constitutionnelle est en cours. C’est un sujet important, difficile, brûlant et qui n’est pas réglé. Il y a ensuite le projet de loi d’orientation agricole qui est très attendu suite aux mobilisations des agriculteurs concernant leurs problématiques économiques et sociales. Il était difficile vu le déroulé, sauf à avoir eu un accord avec le gouvernement en début d’année, de concevoir une inscription avant le mois de juillet.
 
- Le gouvernement voulait associer les réformes corse et canaque, ce projet semble abandonné ?
- Je pense même que pour la Nouvelle-Calédonie, du fait qu’il n’y a pas d’accord démocratique sur le territoire, la situation d’un point de vue politique est beaucoup plus clivée qu’en Corse. Donc, la réforme constitutionnelle, si elle est inscrite comme convenu, ne concernera que la Corse.
 
- Vous parlez d’une échéance parlementaire à l’automne. Que va-t-il se passer d’ici là ?
- Il y a d’abord un travail de rencontres interpersonnelles, mais aussi formalisées à faire avec les groupes parlementaires et des personnalités politiques. Il s’agit d’embrasser à la fois la représentation élue parlementaire, mais aussi les forces politiques françaises concernant la dimension politique du problème corse pour se donner un maximum de chance dans les deux Chambres. Le but est d’obtenir un accord politique conforme à ce qui été validé par la démocratie territoriale en Corse, surtout un accord trans-partisan qui essaye d’être moins en prise avec les contingences de la vie politique française et des débats qui l’agitent en ce moment. Le travail relationnel a déjà commencé au Sénat et à l’Assemblée nationale. Nous allons l’accélérer dans la formalisation pour expliquer le projet d’autonomie législative, à quoi il servirait, en quoi il est important du point de vue de l’histoire et de la sortie de crise politique attendue depuis des décennies dans l’île, et en quoi il est essentiel du point de vue de la reconnaissance de la culture, de la langue et de l’identité. Toutes ces questions seront mises sur la table de ces longues discussions qui sont préalables à l’engagement du débat. Ce travail d’élagage est crucial pour faire comprendre d’où l’on part, d’où l’on vient, quelle était la construction démocratique, et en quoi l’enjeu est important pour la Corse et son avenir. Il y aura aussi la rencontre avec le Président de la République et des initiatives qu’il prendra avec les forces politiques françaises. Reste à voir s’il le fera, mais à priori il risque de le faire. Puis viendra l’annonce d’un débat parlementaire. Le Parlement se saisira de la question au fond. Il a toute latitude, que ce soit l’Assemblée nationale ou le Sénat, de s’organiser pour cela. Au-delà des commissions et de la séance, un travail préparatoire peut être fait en amont.

La Commission des finances de l'Assemblée  nationale, le 8 mars 2024 à Bastia.
La Commission des finances de l'Assemblée nationale, le 8 mars 2024 à Bastia.
- Lors de la venue de la Commission des finances en Corse, la gauche a manifesté les mêmes réticences et oppositions que la droite. N’est-ce pas inquiétant ?
- La Corse a rendez-vous avec l’histoire, mais la République française aussi sur cette question. Évidemment, on doit et on veut faire sortir de la zone de confort politique et culturelle un certain nombre d’élus et de forces politiques qui ont un raisonnement très uniciste, voir jacobin, sur l’horizon de la république. Il faut convaincre de la nécessité pour la Corse d’avoir un pouvoir législatif. Pourquoi ? Parce que non seulement la loi générale dans 80% à 90 % des cas n’a pas respecté les demandes de la Corse lorsqu’elles étaient faites par le Parlement, mais il est impossible d’inscrire la spécificité corse dans la loi, ce qui crée une rupture d’égalité sur certains sujets. Je pense notamment au foncier et à la spéculation immobilière qui ont besoin de mesures proportionnées. Une loi spécifique faite par l’assemblée de Corse permettra d’aller plus vite pour régler un certain nombre de problèmes concrets. Donc, c’est pour ça qu’il faut faire sortir de leur zone de confort des gens sincères, mais jacobins pour leur éviter d’aller contre la démocratie qui s’est exprimée dans l’île. Nous rencontrons aussi les forces politiques et les élus qui sont les plus éloignées de nos positions. Enfin, au fil de nos années au Parlement, nous avons acquis de nombreux alliés. Nous avons pu faire en sorte qu’il y ait déjà des gens hautement convaincus d’une nécessité de l’autonomie pour l’île. Et cela dans tous les camps. Ce sera une bataille de fond très importante à mener, mais il y a un chemin pour qu’on puisse réussir à faire adopter cette écriture constitutionnelle.
 
- Etes-vous raisonnablement optimiste ou restez-vous prudent ?
- Nous ne sommes plus il y a 20 ans où il y avait une opposition frontale assez large concernant l’autonomie de la Corse. Aujourd’hui, nous pouvons compter sur des alliés nombreux et très forts pour y arriver. Nous devons aussi prendre en compte, d’une part, les réticences culturelles et politiques profondes de quelques-uns et, d’autre part, la volonté d’instrumentalisation chez d’autres. Nous disons à ces derniers qu’il faut faire attention, qu’il ne faut pas jouer avec le feu, mais être à la hauteur des enjeux et respecter le fait démocratique qui s’est manifesté dans l’île. La Corse est dans une situation qui part de loin. L’assassinat d’Yvan Colonna a montré que cette situation pouvait s’enflammer à n’importe quel moment lorsqu’il y avait des injustices constatées. C’est un travail de fond que nous menons avec l’ensemble de nos alliés, un rapport de force démocratique et aussi un travail de conviction profonde. Je le répète, il y a un chemin. Je suis donc relativement optimiste quant à la possibilité d’aboutir, si évidemment nous arrivons d’ici au début des débats à avoir l’ensemble des forces politiques.

Le Comité stratégique sur l’avenir de la Corse réuni à Beauvau.
Le Comité stratégique sur l’avenir de la Corse réuni à Beauvau.
- Le projet constitutionnel suscite à la fois une levée de boucliers à Paris et le désir de régions d’obtenir autant, ce qui donne du grain à moudre aux Jacobins. Tout cela n’est-il pas préjudiciable ?
- Oui et non ! Oui, si nous étions restés sur ce tempo-là aujourd’hui, cela aurait pu s’enflammer. Mais ce n’est pas un débat d’opinion. Les saillies médiatiques, que vous évoquez, ne concernent que quelques individus, toujours les mêmes d’ailleurs, et n’ont pas embrasé les médias français. Ce sont des militants de l’anti-autonomie de la Corse que l’on compte sur les doigts de la main. Cela n’a pas bousculé l’opinion politique française, ni le Parlement. Non, parce que les choses sont plus raisonnables. Quant aux régions, comme la Bretagne ou autres qui sont rentrées dans le sujet de la Corse, elles ont leur propre mission de décentralisation pilotée par Éric Woerth qui doit faire des propositions sur la décentralisation en termes de fiscalité et de compétences pour les régions de droit commun, les départements, communes et intercommunalités. Cela ne concerne pas la Corse qui suit son propre processus développé sous l’angle de sa singularité. La codification des débats reste bien visible. Le besoin de décentralisation dans la République française n’est pas le même débat que l’autonomie législative et réglementaire de la Corse qui a sa propre trajectoire. Cela a été bien été admis par l’ensemble des parties prenantes, y compris aujourd’hui par le Parlement lorsqu’il va se structurer pour en débattre.
 
- Vous retrouverez ces mêmes opposants lors du débat parlementaire s’il a lieu. Ne craignez-vous pas leur capacité de nuisance ?
- Bien sûr, on retrouvera les mêmes gardiens du temple qui ont du mal à évoluer et qui se lèveront comme dans une guerre sacrée pour empêcher à tout prix cette autonomie. Et ceci, pour des raisons purement dogmatiques, idéologiques et interprétatives. Ils font peu de cas des problèmes de la population corse, de la spéculation immobilière, l’inflation des prix du carburant et des produits de première nécessité, la question linguistique ou la nécessité d’avoir une politique culturelle, patrimoniale et archéologique, ou même le besoin d’une autonomie énergétique. Ils sont là pour défendre le bastion et la citadelle d’une république égalitariste et uniforme, figée, qui serait celle de 1793 ! C’est ça la vérité ! Mais, depuis la République a évolué ! Ces gens ne sont pas sans capacité de nuisance, mais on voit bien qu’ils sont de plus en plus isolés. On n’est plus, je le répète, il y a 20 ou 30 ans où on levait les bras au ciel quand les Nationalistes parlaient d’autonomie de la Corse ! A nous de remporter le match démocratique et de démontrer qu’il n’y a pas de plan B au respect de la démocratie corse !
 
- Vous voulez que le débat s’ouvre d’abord à l’Assemblée nationale et pas au Sénat comme il est coutume sur des lois concernant les territoires. La question est-elle tranchée ?
-  Cette question-là et cette prérogative-là, ce sera au gouvernement d’y répondre. Pour parler clairement, c’est au gouvernement de choisir d’inscrire dans le calendrier législatif la réforme dans des dates précises et au gouvernement de choisir s’il faut passer d’abord par le Sénat ou l’Assemblée nationale. À ce stade, il n’y a pas d’officialisation puisque pour l’instant, le Président de la République ne s’est pas s’exprimé. C’est lui qui est le garant des réformes constitutionnelles, donc ce sera à lui de dire comment s’inscrira dans le temps la réforme constitutionnelle concernant la Corse, et par quelle chambre va-t-on commencer.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.