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Jean-Christophe Angelini : « L’intérêt de la Corse commande de taire les divergences pour bâtir un consensus opérationnel »


Nicole Mari le Samedi 24 Septembre 2022 à 17:01

Crise économique et sociale, discussions sur l’autonomie, projet pour la Corse, relations avec les autres partis nationalistes… Pour sa rentrée politique, Jean-Christophe Angelini, leader du groupe PNC-Avanzemu à l’Assemblée de Corse, maire de Portivechju et président de la Communauté de Communes du Sud Corse, entend clarifier les choses. Il explique à Corse Net Infos son inquiétude sur les difficultés sociales des Corses, mais aussi son espoir d’une solution politique avec Paris qui permettrait d’apporter des solutions de fond. Il affirme qu’il est temps de faire taire les divergences pour bâtir un consensus et avancer vers un objectif commun.



Jean-Christophe Angelini, leader du groupe PNC-Avanzemu à l’Assemblée de Corse, maire de Portivechju et président de la Communauté de Communes du Sud Corse. Photo Michel Luccioni.
Jean-Christophe Angelini, leader du groupe PNC-Avanzemu à l’Assemblée de Corse, maire de Portivechju et président de la Communauté de Communes du Sud Corse. Photo Michel Luccioni.
- Quels sont, pour vous, les axes marquants de cette rentrée politique, tant d’un point de vue national que local ?
- Cette rentrée est marquée par deux sujets. Le premier, et je m’exprime en tant que maire, est la détresse sociale. Au confluent de l’augmentation des prix du carburant, de l’énergie, de la crise économique, des difficultés qui pèsent toujours sur l’accession au foncier ou à l’immobilier, on sent bien un malaise assez général au sein de notre peuple. Les marqueurs sociaux, comme le taux de chômage, la précarité et la pauvreté, les difficultés d’accès aux soins, à la formation, au logement… demeurent préoccupants. Je ressens cette situation, sans excès, ni démagogie, comme étant particulièrement douloureuse pour des raisons internes à la société corse, également pour des raisons externes liées à l’incertitude au plan international. Nous vivons des moments de conflits lourds. Tout ceci nous échappe, mais vient aggraver une situation qui était déjà très tendue. La deuxième tendance est davantage portée vers l’ouverture et l’espoir. Ce sont les discussions qui sont engagées avec Paris et dans lesquelles, avec mes amis, je place beaucoup d’espoir. J’ai toujours pensé que la solution politique en Corse passe par le dialogue, le fait qu’un espace sérieux et, à mon avis, sincère soit aujourd’hui ouvert me paraît de bon augure, même si tout est à construire.
 
- En tant que maire, mettrez-vous en place des politiques publiques pour aider les plus fragiles ?
- Au-delà de l’inquiétude qui est légitime, les Corses souffrent de la situation globale, notamment au plan des indicateurs sociaux. Nous avons, à l’échelle municipale et communautaire, des moyens d’action qui ne sont pas ceux de la Collectivité de Corse ou de l’État, mais qui existent et que nous mobilisons. Nous avons dans l’idée de créer ce qu’on appelle : un bouclier municipal contre l’inflation. Il s’agit d’atténuer, avec les moyens communaux, la douleur et le poids de la crise. Par exemple, la gratuité des fournitures scolaires, l’accès facilité ou gratuit à la culture, au sport et à un certain nombre d’activités sociales, la veille permanente sur les cantines scolaires et les prestations délivrées : crèche et ALSH (accueil de loisirs sans hébergement). La mise en place d’un Centre communal d’action sociale qui n'existait pas à Porto-Vecchio et que notre mandature a initié. Avec des centaines de visites en quelques mois à peine, il permet des accompagnements individualisés et complémentaires de l’action de la D3S, la Direction Santé, Social et Solidarité qui agit de façon concrète dans tous ces domaines-là. Nous essayons d'être volontaristes et d'aller au bout des compétences municipales qui sont limitées, mais qui doivent être investies pleinement. Le constat est le même pour l’ensemble de l’île. Même si beaucoup de ce qui nous tombe dessus ne pouvait être anticipé, nous avons le devoir d’y répondre de manière coordonnée et massive.
 
- Que faut-il faire, selon vous ?
- Puisqu’il est question à juste raison d’un débat sur la violence et la dérive mafieuse à l’assemblée de Corse, qu’il est question des discussions engagées avec Paris, qu’il est question de faire un point sur la saison touristique et les sujets économiques, on ne doit pas s’affranchir d’un moment dédié à la question sociale. La Coordination du docteur Pernin, qui fait un travail remarquable, a prévu une réunion au mois d’octobre dédiée aux réalités communales et aux élus locaux. C’est une excellente initiative qui pourrait, dans le respect des prérogatives et de l’autonomie de chacun, être accompagnée d’une session spéciale ou d’une réunion de l’ensemble des élus pour voir comment on peut optimiser les travaux de la Conférence sociale. Des actions sont menées par le Conseil exécutif, que nous soutenons, notamment dans le domaine des prix du carburant ou du crédit d'impôt, j'ai eu l'occasion de le dire, y compris à Paris. Mais, que faisons-nous dans l’attente ? Et surtout, si Paris ne nous répond pas de façon rapide et effective, quelles sont les alternatives ? Je crois qu’il faut que l’on se pose ensemble toutes ces questions-là dans cette rentrée particulièrement douloureuse, en réinvestissant massivement le terrain des préoccupations sociales, pas pour égrener les problèmes, mais pour construire les réponses.

A l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
A l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
- La droite craint que les discussions sur l’autonomie n’occultent les problèmes du quotidien. Partagez-vous cette crainte ?
- On peut très sincèrement mener les deux de front, néanmoins cela oblige à beaucoup de rigueur et de méthode, toutes choses qui, très honnêtement, ne me paraissent pas encore réunies à l’heure où l’on parle. Il faut qu’on définisse entre nous la méthode et surtout les objectifs que l’on souhaite atteindre. Paris nous a proposé un chemin, la Corse doit maintenant proposer le sien propre. Et c’est de la confrontation des deux visions que naîtra la solution politique. Pas de l’acceptation par l’une ou l'autre des parties de ce qui serait imposé ! C’est une co-construction, pas un marché de dupes ! Je le redis, je crois beaucoup et sincèrement dans la démarche qui est engagée, mais elle suppose que la Collectivité et les communes de manière générale continuent le travail dans l’intérêt de la Corse, mais que la méthode, les agendas et les objectifs de la négociation avec Paris soit également précisés.
 
- Quel est votre sentiment après cette deuxième réunion à Paris ?
- Mon sentiment est un peu à l’image de la sensation générale : positif et très ouvert. Positif car on a posé les choses au bon niveau. Au plan économique et social, on a parlé en termes de modèle, pas simplement d’actions sectorielles. Au plan institutionnel, on a comparé notre situation à celles des îles de Méditerranée, pas simplement, comme ce fut longtemps le cas, à d’autres régions de l’ensemble français. Donc, on progresse dans la méthodologie et, à mon avis, dans la clarification des objectifs. Ce qu’il faut maintenant, et je le dis avec beaucoup d’humilité, c’est continuer dans une approche très pragmatique, très opérationnelle, qui soit tournée vers le résultat, la culture du projet et pas simplement vers l’énumération des problèmes. Nous en avons collectivement les moyens. Il faut que nous soyons mieux préparés et mieux coordonnés dans notre relation à Paris. A l’assemblée de Corse, je me situe résolument dans l’opposition, mais je dis que l’intérêt supérieur de l’île commande que l’on soit convergent et que l’on essaye de bâtir un consensus opérationnel et exigeant dans notre relation à l’État. Cela me paraît indispensable de taire un certain nombre de divergences pour avancer vers l’objectif commun.
 
- Lequel exactement ?
- L’objectif, pour le PNC-Avanzemu, est clair : une révision constitutionnelle à horizon 2024 qui nous permettrait enfin d’inscrire la Corse dans la loi fondamentale et de débloquer les verrous qui nous empoisonnent la vie depuis des décennies. Régler les problèmes du quotidien, c’est bien sûr travailler tous les jours en mode projet, en mode solution, mais c’est aussi débloquer des verrous qui, depuis trop longtemps, nous empêchent d’aborder les choses au fond. Un exemple très concret : le droit commun ne nous permet pas de régler toutes les questions liées au désordre foncier et aux difficultés structurelles d’accès à la propriété. Il faut aujourd’hui toucher à la loi fondamentale. On a également besoin d’une autonomie réelle dans des domaines comme les droits de succession, les prix du carburant, la langue corse, l’action contre l’inflation, la mise en œuvre d’un pouvoir fiscal. Les limites sont trop nombreuses et trop fortes. Je n’oppose pas ce que les nationalistes appellent les fondamentaux - la terre, la langue, le peuple - de ce que nos concitoyens ressentent au quotidien. Tout est important. Quand on compare notre situation à la Catalogne ou à d’autres territoires, n’oublions jamais que, dans bien des cas, ces territoires, qui sont autonomes pour la plupart depuis des décennies, ont un PIB et un niveau de développement largement supérieurs au nôtre. Donc, l’enjeu est de marcher sur nos deux jambes : transformer au quotidien la situation de l’île et obtenir à l’horizon 2024 un statut d’autonomie qui nous permettra de régler au fond les problèmes dont on peut améliorer le traitement, mais qui ne peuvent être totalement résolus que dans le cadre d’une évolution institutionnelle.
 
- Vous parlez d’un projet commun, la droite plaide pour un projet a minima sans statut fiscal, cela semble irréconciliable. Comment voyez-vous les choses ?
-  Je ne renonce pas à l’idée d’un consensus même a minima entre l’ensemble des Corses, droite comprise. Bien sûr, il y a toujours eu des oppositions très vives au transfert à la Corse de pouvoir normatif et pas simplement de compétences ou de moyens supplémentaires. Mais on doit continuer à rechercher un compromis, pas simplement entre nationalistes. Notre erreur serait de circonscrire le débat aux seules frontières de notre famille politique. On doit être ouvert ! Même si 70 % des Corses ont voté pour l’une des trois listes nationalistes en lice au second tour des territoriales, on doit parler à tous les électeurs, pas simplement à nos militants ou à nos électeurs. Si, au bout de ce dialogue interne, les divergences demeurent, on retiendra ce qui, en démocratie, est essentiel : le fait majoritaire. Mais, ce n’est pas parce qu’on a des difficultés et des oppositions qu’il faut renoncer à dialoguer et à essayer de trouver une plate-forme commune.

Aux Territoriales de 2021. Photo ML.
Aux Territoriales de 2021. Photo ML.
- Vous avez rencontré Core in Fronte. Etait-ce l’objet des discussions ?
- Le PNC a, depuis 2015 et l’accession aux responsabilités dont il a été l’un des moteurs, une stratégie simple et connue de tous : être à équidistance de tous les nationalistes. Bien sûr, ceux auxquels nous avons été liés pendant longtemps par l’accord Pè à Corsica - Corsica Libera et Femu - et tous les autres, ceux qui, comme nous, sont aujourd’hui dans l’opposition. La liste, que j’ai eu l’honneur de conduire, a fusionné au second tour avec celle de Corsica Libera. Je ne regrette pas cette main tendue et ce geste d’union, je l’assume, même si nous sommes aujourd’hui, et chacun le sait, en phase de clarification. Nous avons engagé un dialogue fructueux avec Core in Fronte tout en continuant à discuter avec Corsica Libera, et je le reconnais, à titre individuel davantage qu’au plan collectif, avec des gens de Femu a Corsica. Nous sommes dans une opposition politique à l’actuelle majorité donc je pense avec beaucoup de sincérité qu’elle ne porte, ni le bon projet, ni la bonne méthode pour la Corse. Mais, dans la relation à Paris, nous devons continuer à faire front en commun entre nationalistes, de dialoguer, y compris autour de nos désaccords. Il n’y a pas d’empêchement à ce que l’on discute tous de l’avenir de notre pays. Juin 2021 a été, pour nous, et je n’y reviendrai plus, un moment douloureux, dépassons-le par le dialogue et le projet ! Dépassons-le en discutant avec Core in Fronte ! Dépassons-le en continuant à parler au quotidien avec Corsica Libera notamment ! Dépassons-le dans une culture du projet avec l’actuelle majorité ! Et bien sûr, au-delà des mouvements, nous souhaitons parler à tous les nationalistes, les Collectif d’anciens prisonniers, ce que nous faisons régulièrement. Je veux rappeler que la situation d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri demeure extrêmement préoccupante et, au PNC, nous la prenons très sérieusement en compte. Nous parlons avec le STC, les associations et les autres structures du mouvement national. C’est notre famille politique, notre devoir est de cultiver, en son sein, un dialogue permanent.
 
- Vous parlez de clarification avec Corsica Libera, mais il y a rupture à l’Assemblée de Corse. Est-ce un choix unilatéral ou partagé ?
- Je voudrais d’abord dire que Josépha Giacometti - même si le propos n’est pas de nature personnelle mais politique - est une amie avec laquelle j’ai siégé pendant près de six ans au Conseil exécutif et avec laquelle nous maintenons d’excellentes relations. Corsica Libera est, aujourd’hui, engagé dans une stratégie différente de la nôtre, mais que nous respectons. Il n’y a ni rupture, ni conflit, mais clarification. Elle est le fruit d’une construction commune et d’un accord partagé. C’est ensemble que nous avons pensé qu’il fallait préciser les choses. Dès l'installation du 1er juillet 2021, Josépha disait son souhait de siéger en tant que non-inscrite. Nous avons bâti un compromis pour qu’elle soit apparentée au groupe PNC-Avanzemu. Un an après, nous pensons, les uns et les autres, que cette affiliation ne fonctionne pas assez bien, donc, nous en tirons sereinement les conclusions avec le souci de continuer à travailler ensemble, en bonne intelligence, tout en étant plus lisibles dans nos approches respectives. Je souhaite d’ailleurs, et j’ai eu l’occasion de le dire, y compris à Paris, que Josépha, et à travers elle Corsica Libera, demeure associée aux discussions avec l’État. Le PNC continuera de dialoguer et de travailler avec Corsica Libera le plus naturellement du monde.

Lors de la victoire de 2015 avec Gilles Simeoni.
Lors de la victoire de 2015 avec Gilles Simeoni.
- Vous dénoncez un mauvais projet et une mauvaise méthode de l’Exécutif, mais en quoi diffèrent-ils de ce que vous avez soutenu pendant six ans ?
- Non ! Je ne peux pas laisser dire que la méthode est la même ! Elle est fondamentalement différente et même en rupture ! Pour une raison simple parce qu’à l’époque, elle était davantage basée sur la diversité et l’intelligence collective que sur la concentration. On est dans quelque chose qui est aux antipodes du modèle Pè a Corsica tel que nous l’avons bâti pour gagner d’abord, parce que personne n’aurait pu gagner seul, et pour transformer ce pays ensuite. Je reconnais que la méthode et le projet ont été, pour partie, validés par le suffrage universel devant lequel je m’incline, mais je pense qu’ils ne sont pas bons. Ce n’est pas pour autant que ça doit être la guerre ! On peut avoir une opposition qui n’est pas un conflit, et un échange de point de vue qui n’est pas une déchirure, ou alors c’est la fin de la démocratie ! La démocratie par essence, c’est la diversité et le pluralisme, ce n’est pas un moule unique dans lequel tout le monde devrait se fondre. Je respecte personnellement chacun des membres de la majorité, cela ne m’empêche pas d’exprimer avec eux des désaccords.
 
- Néanmoins, cela reste tendu avec Femu, on parle toujours de guerre d’ego ?
- Ce n’est pas un problème d’ego, pas du tout ! Je déplore que les médias nous ramènent systématiquement à ça ! Ce n’est pas un problème de digestion de la défaite ! Nous sommes au PNC, pour la plupart, engagés dans des majorités municipales, nous avons permis avec d’autres la conquête de 2015, nous comptons dans nos rangs des gens qui très régulièrement remportent des compétitions électorales, nous n’avons aucun complexe ! Nous travaillons tous les jours avec la majorité territoriale, les présidents d’offices et agences… Il n’y a pas, comme je le lis trop souvent, de conflit ou d’opposition frontale. C’est juste une analyse politique ! Les choses ne vont pas bien, et la majorité actuelle en est, pour partie, responsable. Cela va être un débat entre nous que l’on peut régler sans que ce soit le conflit permanent ou l’invective. Nous sommes dans une opposition constructive, pas dans une guerre de tranchées !
 
- Les relations avec Paris ont pris un tour nouveau avec les discussions sur l’autonomie, mais dont l’issue reste incertaine. Quel est votre sentiment ?
- Je reste naturellement prudent, mais, en même temps, je n’ai pas envie d’entrer dans ce processus à reculons. Il est le fruit d’une période douloureuse dont l’épilogue fut dramatique avec le décès d’Yvan Colonna sur lequel nous continuons de demander que toute la lumière soit faite. Nous n’avons pas le droit, au nom des milliers de gens qui ont manifesté dans les rues de Corti, Bastia et Aiacciu, et plus généralement au nom des luttes menées depuis plus d’un demi-siècle, de nous résigner. Il faut que nous allions dans cette démarche de manière volontariste, pragmatique et dynamique. Si les choses, et je ne veux pas le croire, devaient échouer, nous aurions le temps et les moyens d’en prendre la mesure, mais il est trop tôt pour céder au fatalisme. Je pense qu’après une demi-douzaine au moins de négociations de même nature au cours des dernières décennies, nous avons aujourd’hui atteint un niveau global de maturité : en Corse où une partie du mouvement nationaliste est aux responsabilités et où deux Corses sur trois votent en notre faveur. À Paris où, pour la première fois, on parle enfin d’autonomie, de comparaison institutionnelle en Méditerranée et en Europe, et d’un règlement politique au fond. Le moment paraît être venu, mais il faut l’aborder avec solennité et un esprit volontariste. Cela demandera beaucoup de travail, nous y sommes prêts, beaucoup d’humilité et une grande détermination.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.