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Identification des bovins : Pour la FDSEA il faut "laisser le libre choix de la méthode à l’agriculteur"


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Samedi 22 Octobre 2022 à 11:04

Vendredi 21 octobre, la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse et le syndicat FDSEA 2B tenaient une conférence de presse conjointe en réaction à un article paru l’avant-veille dans Corse-Matin, et relatif à l’implantation d’un “Bolus” dans l’estomac des bovins en guise de “dispositif anti-fraude”.



La conférence de presse de ce vendredi à Vescovato
La conférence de presse de ce vendredi à Vescovato
D’emblée, Joseph Colombani, le président de la Chambre, entouré de plusieurs agriculteurs également membres du bureau, affiche la couleur : « Un gadget ne peut pas être la solution à un problème . Communiquer auprès de l’opinion qu’on “lutte contre les fraudes”, ne suffit pas à régler les problèmes de fond que sont la divagation, les clôtures, le foncier, l’abattoir, les primes ou l’eau… Autant de problématiques complexes sur lesquelles la Chambre d’Agriculture travaille en effet depuis plusieurs années. »

Assurer l’autonomie alimentaire dans le respect de l’environnement
Remettant les choses à l’endroit, Joseph Colombani rappelle que c’est en 2013 que celle-ci a lancé les premières assises de l’élevage corse, à Corte. Comment devait-on organiser le développement des filières d’élevage, dans une vision plus globale du développement agricole qui puisse déboucher sur l’élaboration d’une véritable politique agricole corse, centrée sur l’autonomie alimentaire : c’était la question. 
« L’idée était de conserver bien sûr des filières d’exportation, mais aussi de développer des filières vivrières, pour une alimentation des Corses centrée sur l’autonomie alimentaire, avec un prix correct mais une qualité meilleure que celle que l’on a aujourd’hui. Quand on voit la viande qui nous vient de Hollande, une catastrophe, bourrée d’antibiotiques, avec des bêtes réformées à six ou sept ans, élevées sans tenir compte du bien-être animal… et avec des coûts énormes pour l’environnement ! Nous, en Corse, nous ne fonctionnons pas comme ça : nous faisons de l’élevage extensif ; nos animaux sont nourris de ressources naturelles… et tout ça correspond à une attente sociétale en matière d’environnement. Ça veut dire que nous avons un vrai potentiel. D’autant que nous importons 80 % du bœuf que nous mangeons. » Les assises de 2013 avaient débouché sur une structuration, pour le veau corse, par segment de produit. Différentes propositions avaient été faites… qui n’ont jamais été appliquées. Pourtant, le besoin est là : « Nous nous inscrivons dans une reconquête du marché local. Mais pour y parvenir, il faut s’organiser ! ». 
 

Quatre axes stratégiques identifiés
La Chambre a ainsi mis en évidence quatre axes sur lesquels elle travaille : la souveraineté alimentaire ; la traçabilité qui permet une maîtrise économique et sanitaire, mais offre aussi la capacité de se différencier des produits qui sont importés ; le revenu des agriculteurs qu’il faut assurer pour réduire la dépendance aux primes, associé à un “juste prix” pour le consommateur ; enfin, la mise en place d’un système de production respectueux de l’environnement.
« Nous nous félicitons que l’État daigne investir 5 millions d’euros dans cette filière à travers l’opération des Bolus – c’est du moins le montant que nous avons évalué, puisqu’il est question de 28 personnes travaillant durant 3 ans à ce projet, avec les voitures et tout le matériel qui va avec. Mais ce qu’on regrette, c’est que cette opération ne réponde à aucun des quatre axes stratégiques imaginés pour le développement de la filière !  ».
 
 

Une fiabilité discutable
Y compris pour la traçabilité ? Loin s’en faut ! Certains éleveurs qui s’y sont risqués, ont pu constater le manque de fiabilité du dispositif. Mais il y a des alternatives : « Nous avons l’IPG [Ndlr : identification pérenne généralisée, obligation réglementaire de traçabilité des animaux], explique encore Joseph Colombani. Notre mission de suivi de la qualité, tant sanitaire que réglementaire, nous amène au quotidien à lutter contre les fraudes. En matière de traçabilité, nous avons d’ores et déjà mis en place, sur la base du volontariat, un système de bouclage ADN pour les vaches mères de race corse. Un petit bout de cartilage est prélevé de façon indolore sur l’animal au moment où on lui fixe la boucle. L’ADN est récupéré et stocké dans un fichier. La traçabilité est inviolable ! Elle permet de suivre l’animal même s’il perd ses deux boucles… et ça, jusque dans l’assiette ! Ce suivi permet également des améliorations génétiques. » 
     
La prise en compte du bien-être animal
Outre sa meilleure fiabilité, la boucle ADN présente, par rapport au Bolus, l’avantage de respecter le bien-être animal. L’an passé, l’éleveur Philippe Flori avait fait le choix du Bolus pour ses 120 têtes de bétail. « Si on n’est pas dans les conditions optimales, l’animal souffre, on le blesse ! », déplore-t-il aujourd’hui. Pourtant, il fait partie de ces éleveurs, pas si nombreux, qui disposent d’installations adaptées pour contenir les animaux et faciliter ainsi la mise en place de ce long tube. « Comment tenir l’animal pour introduire le Bolus ? On doit se battre avec lui. Les vaches toussent. Certaines réussissent à le recracher : quand il est tombé dans la boue, on ne va pas le leur faire avaler à nouveau. Et pourtant, le numéro a été attribué ! » Au-delà de la souffrance animale, le système n’est pas sans danger : « Après la mise en place du Bolus, mes bêtes n’avaient plus d’appétit. J’ai perdu quatre vaches dans les quelques jours qui ont suivi… Et au total, une dizaine sont mortes suite à cette opération. »
Est-ce un hasard, alors, si aucun pays européen ne prévoit aujourd’hui un bouclage massif des troupeaux avec le système Bolus ? Même en Espagne, le procédé n’est utilisé que dans des situations sanitaires spécifiques.
 
Un coût prohibitif pour les agriculteurs
Manque de fiabilité, manque de respect du bien-être animal… Le Bolus, expliquent les élus de la Chambre, présente encore un autre inconvénient majeur pour la profession : il revient cher – beaucoup plus cher que la boucle ADN que l’agriculteur peut mettre en place lui-même. « C’est un acte vétérinaire, rappelle Joseph Colombani. Pendant 3 ans, il est pris en charge par l’État. Mais après ? Le coût est tel qu’on annonce déjà que certains éleveurs vont devoir abandonner le métier. D’autant que le système est conditionné aux primes : les agriculteurs qui ne l’implanteront pas seront punis : ils ne recevront pas d’aides ».
 
Privilégier la concertation et laisser le choix de la méthode à l’agriculteur
Mais, plus que tout peut-être, les représentants du monde agricole regrettent la méthode : « Ça s’est fait sans concertation. C’est révélateur d’un état d’esprit, en Corse : on ne va pas réfléchir ensemble, en essayant de résoudre les problèmes. D’autres, ailleurs, font différemment, et c’est aussi pour capter cet état d’esprit que nous faisons un voyage d’études en Israël. Nous devons nous aussi croire en nous-mêmes, dans nos capacités de réfléchir ensemble et de construire le pays ».
Construire le pays, c’est l’enjeu en Corse. Comment repeupler les villages ? « Un c’hè più nimu !  On y réfléchit depuis longtemps.  Il y a des propositions : parce que c’est notre vie, on est des militants de ça ! Nous avons 100 000 hectares d’ESA. Mais 70 % sont en friche. On importe 80 % de notre bœuf. Mais il y a des bêtes en divagation ! Cherchez l’erreur ! Les territoires sont abandonnés : les gens ne peuvent plus s’en occuper… Alors arrêtons de nous taper dessus ! Mettons tout sur la table, sinon, dans vingt ans, on sera encore dans cette situation », insiste le Président de la Chambre qui prône une large concertation pour bâtir un avenir où toutes les filières agricoles corses auraient leur place.  
« La filière bovine est en perte de vitesse. Il faut redorer son blason et ce n’est pas avec ce système qu’on va avancer », ajoute Philippe Flori. A côté de vrais fraudeurs, il y a aussi ceux qui essaient de rattraper le train en marche ; qui ont du mal avec les papiers à remplir ; avec leurs animaux qui vont chercher à manger où ils peuvent. « C’est aux politiques de mettre en place un système qui permette de vivre ensemble », conclut Joseph Colombani. 
Et s’il est besoin d’idées pour utiliser efficacement les 5 millions que l’État met au pot pour le Bolus, la Chambre d’Agriculture n’en manque pas : de quoi faire en sorte qu’il n’y ait plus une seule vache en divagation en Corse !

Alors, Bolus ? Ou pas Bolus ?
Refusant les positions manichéennes qui finissent en guerre de tranchées, la Chambre d’Agriculture préfère opter pour le libre choix du système de traçabilité : « Nous jugeons notre système de bouclage ADN plus performant que le système BOLUS et garant du bien-être animal, affirment les élus de la Chambre qui prévoient d’adresser aux agriculteurs et aux politiques, un document reprenant les points techniques du sujet. Aussi nous demandons à l’État de revenir sur sa décision de système unique de traçabilité pour laisser le libre choix à l’agriculteur. »  La voix de la sagesse…