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Gilles Simeoni : « Nous mobilisons 30 millions € dans un plan d’urgence et de sauvegarde économique et sociale »


Nicole Mari le Jeudi 26 Mars 2020 à 19:04

Pour tenter d’anticiper les conséquences collatérales, qui s’annoncent gravissimes pour l’île, de la crise liée au Covid-19, le Conseil exécutif de Corse mobilise, dès aujourd’hui, 30 millions € dans le cadre d’un plan d’urgence et de sauvegarde économique et sociale. Un plan en trois volets : d’abord la solidarité avec les personnes en situation de précarité ou de vulnérabilité, ensuite la sauvegarde du tissu économique insulaire, enfin la préparation du rebond de l’économie corse post-crise et la construction d’un nouveau modèle économique et social. Explications, pour Corse Net Infos, de Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse (CdC).



Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
- Qu’est-ce qui a motivé ce plan d’urgence ?
- Aujourd’hui, l’essentiel de nos préoccupations, de nos forces et de notre énergie au Conseil exécutif est avant tout de sauver des vies humaines, donc de renforcer les moyens matériels mis à disposition des services et des personnels soignants pour lutter contre l’épidémie. C’est, pour nous, une priorité absolue et une urgence majeure. Cela a guidé toute notre action. En même temps, il est clair que nous sommes aussi dans une urgence économique et sociale absolue. Pour de nombreuses personnes et acteurs économiques, la situation actuelle se pose en termes de survie. Il était indispensable que la Collectivité de Corse, qui est l’institution garante des intérêts matériels et moraux du peuple corse, s’engage de façon forte et déterminée pour aider à répondre au mieux sur ces plans-là. Il faut anticiper.
 
- C’est-à-dire ?
- En parallèle de la nécessité de répondre aux besoins aigus de l’heure, tout le monde a bien compris que cette crise est sans précédent et va s’inscrire, d’un point de vue économique et social, dans la durée. Elle risque d’être encore plus grave en Corse du fait de l’insularité, mais aussi des caractéristiques de nos structures sociales et économiques, notamment la part prépondérante du tourisme - 24% du PIB corse pour 7% au niveau national - et du BTP - 9% du PIB pour 6% au niveau national. Notre tissu économique est majoritairement composé d’artisans, de TPE et de PME. A cela, s’ajoute un taux de pauvreté largement supérieur à la moyenne française : 19,8% pour 14,5%. On ne peut pas déconnecter le court terme de notre mission globale, il faut, en même temps, aider les acteurs économiques et sociaux à franchir cette passe actuelle extrêmement difficile tout en préparant la suite avec des mesures de moyen et de long terme. Cette crise va nous obliger à repenser notre modèle économique, social et même sociétal, à construire en tirant les leçons de la crise, mais on ne peut pas rebâtir sur un champ de ruines.
 
- La Collectivité de Corse a-t-elle les moyens financiers d’agir ?
- La Collectivité a déjà objectivement des moyens budgétaires et financiers extrêmement faibles. Au regard de l’ampleur de la crise et du préjudice d’ores et déjà subi, elle sera, par la structure même de ses recettes, plus impactée au plan budgétaire que les Régions de droit commun. Une première évaluation nous laisse craindre 40 à 50 millions € de pertes de recettes fiscales. Mais même si le contexte budgétaire reste incertain, nous devons jouer notre rôle et organiser le soutien dans le domaine économique et social. C’est ce que nous faisons dans ce plan d’urgence et de sauvegarde où nous mobilisons 30 millions €.
 
- Comment se décline ce plan ?
- Il se décline en trois volets. Le premier organise la solidarité avec les personnes et foyers en situation de difficulté, de pauvreté, de précarité, ou de vulnérabilité. Le second soutient le tissu économique insulaire. Le troisième prépare l’avenir. Notre objectif est d’aller avec la même force et le même pas vers tous ceux qui sont en difficulté. L’exigence de solidarité sociale s’exprime d’abord, à travers un dispositif très innovant de soutien aux faibles revenus « Aiutu In casa – Covid-19 », à hauteur de 3,2 millions €. Nous avons rajouté 2 millions € supplémentaires au Fonds Solidarité Logement (FSL) qui mobilise actuellement 1,2 million €. L’idée est de verser, en fonction des situations, une somme forfaitaire maximale de 150 € pour les foyers qui ont un revenu équivalent à 1,5 fois le SMIC – ce qui est assez haut dans le périmètre d’aides - et qui ont subi une baisse de leurs revenus du fait de la crise du Covid-19, comme par exemple une mise en chômage partiel avec perte de revenus. Cette aide est destinée à payer une partie des charges d’eau, de gaz, d’électricité ou de loyer pendant toute la durée du confinement. Nous avons, d’autre part, renforcé, rationalisé et refinancé les dispositifs de soutien aux plus vulnérables, qu’il s’agisse des SDF, des femmes battues, des enfants en difficulté et des personnes âgées.
 
- Qu’en est-il du volet économique ?
- Il se compose de plusieurs mesures innovantes pour renforcer les mécanismes d’aide aux trésoreries et faciliter l’accès à 150 millions € de crédits bancaires. La première, en partenariat avec la CCI, est la création d’un fonds « Sustegnu – Covid-19 » de solidarité spécifique pour les entreprises insulaires. La CDC apporte, en fonction des besoins, entre 6 et 8 millions €, et la CCI, 1,5 million €, afin de mobiliser 120 millions € de prêts bancaires à taux zéro avec différé de remboursement, pour un montant maximal de 100 000 € par prêt. C’est une bouffée d’oxygène considérable pour les entreprises qui ont besoin de trésorerie. La seconde mesure est la contribution de la Corse à hauteur de 1 million € au fonds de solidarité de 1 milliard € mis en place par le gouvernement. Cela permettra de débloquer une aide directe et immédiate de 1500 € (demande à effectuer sur le site internet de la DGFIP) pour les Indépendants, artisans, commerçants, professions libérales et agriculteurs qui font moins de 1 million € de chiffre d’affaires et ont une perte d’activité liée au Covid-19. Avec dans certains cas, un versement complémentaire de 2 000 €. Nous avons également mobilisé 6,25 millions € d’avances remboursables à taux zéro, via la CADEC, pour financer le besoin en fonds de roulement et en trésorerie des TPE insulaires et des associations. Nous créons un fonds territorial de garantie de 4 millions € pour les TPE et les PME qui voudraient emprunter pendant la crise et immédiatement après, ceci en complément du fonds national de garantie de la BPI.
 
- Avez-vous prévu des mesures spécifiques à certains secteurs ?
- Oui. Pour l’agriculture, nous avons élargi le dispositif « garantie bancaire aîné » de l’ODARC à l’ensemble des exploitants agricoles qui sollicitent un financement de trésorerie auprès de leurs banques. Cela permet de lever 2,5 millions € de prêts de trésorerie à taux zéro. D’autres mesures seront prises par l’ODARC qui rachètera, notamment, des invendus de la filière ovine et caprine durant la crise pour un montant de 200 000 €. Pour la pêche et l’aquaculture, nous mettons en place une aide au maintien de l’activité basée sur la perte de chiffre d’affaires dans la limite de 120 000 € par entreprise. Enfin, très important, nous soutenons l’économie sociale et solidaire (ESS) en mobilisant 1million € sous forme de prêt d’honneur à taux zéro. Concernant le secteur de l’aide à domicile, nous utilisons l’ordonnance parue ce jour pour prendre en charge les facturations mensuelles, sans préjudice de la baisse liée  au Covid19, pour garantir leur trésorerie. Pour les associations, y compris en cas de reports de leurs évènements ou activités, nous allons modifier le règlement des aides afin de leur verser une subvention qui couvre leurs frais fixes, leur permettant ainsi de passer le cap actuel. D’ores et déjà, 375 000 € seront mobilisés, via Corse Active pour l’Initiative, pour leur accorder un prêt à taux zéro.
 
- Le troisième volet sert à préparer la suite. De quelle façon ?
- La priorité est d’accompagner le secteur stratégique du transport aérien. Nous serons certainement obligés de mettre plusieurs dizaines de millions d’euros dans Air Corsica, dont la CDC est actionnaire majoritaire. Nous pensons déjà à recapitaliser l’entreprise pour faire face aux pertes énormes et pérenniser impérativement les 800 emplois. Comme il faut sécuriser les salariés corses d’Air France. Il faut également soutenir de façon spécifique le secteur du tourisme et engager, d’ores et déjà, une stratégie de sortie de crise. Lorsque ce secteur repartira, ce seront les destinations les mieux positionnées qui préserveront leurs parts de marché. Nous avons prévu un plan de communication et de soutien de 3,8 millions € et un dispositif d’avances remboursables contractualisé avec la CADEC de 1,5 million € pour les petites entreprises du tourisme. Toutes ces mesures nécessitent d’adapter les règlements des aides et de reconfigurer les dispositifs de soutien. Il faudra, aussi, consulter et impliquer les acteurs pour objectiver le préjudice. Nous travaillons sur une méthode que j’ai aussi proposé à Régions de France pour pouvoir discuter ensemble avec l’Etat et l’Union européenne de mesures structurelles, type statut fiscal, exonération totale des charges des entreprises pour l’année en cours, soutien des filières de production, commerces et services, mise à niveau des infrastructures de santé… et préparer l’émergence d’un nouveau modèle économique et social.
 
- Quel message lancez-vous aux Corses ?
- Nous sommes dans une crise grave avec la perspective devant nous de jours et de semaines qui vont être très difficiles, sans que l’on puisse savoir exactement dans quelle proportion. J’en appelle vraiment au confinement et à la solidarité dans le domaine sanitaire pour que tous soient traités avec équité au niveau des tests et de l’utilisation de médicaments efficaces. Nous devons aussi nous projeter dans l’avenir, tout en gardant en tête que le monde d’après ne sera pas le monde d’avant. La logique de la vie doit être plus forte sur la logique de la mort. J’ai confiance et la certitude que nous saurons surmonter ensemble cette épreuve.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

 Numéros verts d’urgence :
 
- Numéro vert dédié aux urgences alimentaires et violences conjugales : 0800 084 185.
- Numéro vert dédié à la plateforme PAERPA permettant de signaler les personnes âgées en difficulté : 0800 888 888