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Ghisonaccia : la coopérative céréalière Vadina risque de disparaitre


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Jeudi 3 Novembre 2022 à 17:41

La Vadina, seule coopérative céréalière de Corse, risque bien de disparaître ! Cela pourrait paraître anecdotique : et pourtant ! Son existence est stratégique dans le cadre de la réflexion menée actuellement sur l’autonomie alimentaire.
Aussi, jeudi 3 novembre, la FDSEA de Haute-Corse organisait-elle une conférence de presse pour alerter l’opinion et la sensibiliser sur ce sujet important pour l’avenir de la Corse et de son agriculture.



La conférence de presse devant la Vadina, coopérative céréalière de Ghisonaccia
La conférence de presse devant la Vadina, coopérative céréalière de Ghisonaccia

« Nous voulons dénoncer la décision du pénitencier de Casabianda, prise sans aucune concertation, de ne pas semer de céréales cette année. Une décision qui émane du ministère de la justice, de la Régie nationale… Il faut savoir que le pénitencier est le principal fournisseur de la Vadina ! Après le Covid, les deux années de sécheresse que nous avons vécues, la guerre en Ukraine… c’est le coup de grâce ! », expose Joseph Colombani, Président du syndicat et de la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse.

Hausse des prix du gasoil, des semences, des engrais… l’administration pénitentiaire a renoncé, cette année, à ses plantations, et par effet domino, c’est la Vadina, dont la moitié des approvisionnements provient de Casabianda, qui boit la tasse : suite à cette annonce qui vient de tomber, les administrateurs de la coopérative ont en effet décidé, lors de leur dernière Assemblée générale, de jeter l’éponge : la Vadina devrait fermer ses portes à la fin de l’année.

Un coup de poignard dans le dos
La Vadina est née en 1957. « Et on peut dire qu’elle a vécu plusieurs vies ! » Dans les années soixante-dix, on destinait cet outil à la ferraille, et il avait fallu se battre, à l’époque, pour empêcher le pire. Mais, vaille que vaille, la coopérative a su faire face, pendant 65 ans, à toutes les difficultés. Qu’elle disparaisse aujourd’hui, pour son Président et pour le Président de la FDSEA, c’est comme « un coup de poignard dans le dos ». Car la Vadina est justement à un tournant de son existence, dans le cadre du plan de relance de la filière céréalière en cours d’élaboration.

Un outil stratégique dans le cadre de l’autonomie alimentaire
Ce n’est un secret pour personne : la culture des céréales est en « chute libre » en Corse. Pourtant, éloignement, difficultés d’approvisionnement sur une île, marché mondialisé dont les prix sont décidés à la bourse de Chicago, tout concourt à ce que l’on développe en Corse une production susceptible de s’inscrire dans un cadre d’autonomie alimentaire. Depuis deux ans, les événements – Covid, crise économique, guerre en Ukraine – ont illustré de façon très concrète le bienfondé de cette orientation. « Notre projet de relance rencontre l’actualité », estime Joseph Colombani. Un projet qui est déjà très avancé…

Une étude de faisabilité a été réalisée, qui s’est appuyée sur un groupe de travail associant, et ce n’est pas courant, l’amont – c'est-à-dire les céréaliers – et l’aval – des collecteurs aux éleveurs en passant par les transformateurs et les distributeurs. Sous l’égide de la Chambre d’Agriculture, une étude juridique est en cours, pour organiser la gouvernance de ces différents collèges. Céréaliers et producteurs de fourrage ont fusionné leurs organisations pour créer une dynamique, avec déjà des résultats en termes d’amélioration des performances.

Le plan table sur une surface cultivée de 6 600 ha – pas grand-chose comparés aux 70 000 ha d’ESA en friche, mais beaucoup par rapport au petit millier d’hectares ensemencé aujourd’hui. Une utopie ? Pas du tout : dans tout le bassin méditerranéen, des céréales sont cultivées dans des conditions souvent pires que chez nous. Rien qu’en Sardaigne, ce ne sont pas moins de 100 000 ha qui leur sont consacrées. Ces cultures peu gourmandes en eau sont, qui plus est, plutôt compatibles avec le changement climatique que nous connaissons
aujourd’hui.

L’avenir de l’élevage corse en balance…
Dans le cadre de ce projet, « la Vadina représente l’interface entre les producteurs de céréales et les éleveurs. Compte tenu de sa capacité de stockage, elle seule est capable de gérer et de collecter les grandes masses de céréales nécessaires aux éleveurs. Elle est indispensable dans le cadre d’une production locale, pour développer l’autonomie alimentaire et pour les signes officiels de qualité. Et c’est à la Vadina que nous avons un projet de fabrication d’aliments pour bétail. Cette coopérative est stratégique. Elle ne peut pas disparaître ! », martèle le Président de la Chambre. 

« Je suis convaincu que si la Vadina ferme, notre projet céréalier ne se fera pas,
estime Philippe Ponteri, producteur de céréales et Président de la coopérative. Ce sera le prétexte pour ne pas le faire ». Compte tenu des volumes en jeu, la Vadina est en effet « la clé de voute » du plan céréalier. Et sans plan céréalier, à moyen terme, c’est toute la filière élevage qui est menacée, avec des conséquences évidentes en termes de désertification de l’intérieur…

« Les éleveurs veulent une alimentation de qualité et à moindre coût, analyse Philippe Ponteri. Pour cela, il faut faire du vrac, comme ça se fait partout ailleurs, alors qu’en Corse, les céréales sont principalement livrées en sacs. Chaque sac, c’est un surcoût de 45 euros ! L’alimentation la moins chère, pour les éleveurs, c’est la production locale. »

« On n’en est plus à faire la liste des problèmes : on a des solutions ! »
Face à ce constat, la FDSEA et la Chambre d’Agriculture, derrière leur Président Joseph Colombani, ont d’ores et déjà proposé trois solutions pour permettre à la structure de se tirer de cette mauvaise passe : la première d’entre-elles consisterait à faire venir des céréales en vrac – une opération que la coopérative a déjà réalisée à plusieurs reprises. Elles descendraient de Bourgogne par péniche, via la Saône et le Rhône, et débarqueraient à Portivechju. « Un volume de 1 500 tonnes, pour un montant total de 450 000 euros », précise Joseph Colombani. Un prix qui défie toute concurrence : « Faire tout le trajet par bateau, il n’y a pas moins cher », précise le Président de la Vadina. Mais… car il y a un “mais”… il faut payer “au cul du bateau”, selon l’expression consacrée. Certes, la banque accepte de prêter l’argent nécessaire. Seulement, c’est sous réserve d’une contre-garantie. Or les administrateurs de la Vadina n’ont pas les moyens de cautionner ce prêt sur leurs fonds propres. « Seuls l’ODARC ou la CdC sont susceptibles de fournir cette caution ».
La deuxième solution – qui peut venir en complément de la précédente – consiste en une “opération silos” : des silos collectifs, implantés à des emplacements stratégiques, connectés et sécurisés, qui permettraient aux exploitants de venir, toutes les semaines, faire leur plein de céréales, moyennant un paiement automatique par carte. Ils pourraient ainsi tirer tout le bénéfice d’une livraison en vrac. L’investissement, estimé à environ 700 000 euros, serait financé à 20 % par les éleveurs, le reste étant pris en charge par l’État et/ou l’ODARC.
La double opération – céréales en vrac et silos – permettrait à l’éleveur d’économiser 100 euros par tonne de céréales, faisant passer le prix de 450 euros la tonne, à 350. Quant à la coopérative, le traitement de l’opération lui permettrait de couvrir ses charges fixes et donc de passer l’année.

L’occasion de développer la production locale
« Mais ces solutions sont basées sur l’importation. Alors que nous avons besoin d’une production locale », analyse Joseph Colombani. C’est même l’objectif du plan céréales qui verrait les importations se réduire progressivement au fur et à mesure de la montée en puissance de cette production nustrale.
D’où une troisième solution : fournir une aide directe aux producteurs de céréales, pour leur orge de printemps. Une aide qui se justifie parce que, dans le cadre de la PAC, « l’aide directe aux surfaces céréalières corses est bien inférieure à l’aide directe moyenne des surfaces céréalières continentales, créant une concurrence déloyale ».

Les trois solutions ont été soumises à la Collectivité de Corse et à la DRAF. Les administrateurs de la Vadina sont prêts à poursuivre l’exploitation si elles sont adoptées.