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Gérald Darmanin en Corse : Un projet global d’autonomie finalisé avant la fin de l’année 2022


Nicole Mari le Mercredi 16 Mars 2022 à 21:46

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est arrivé mercredi après-midi dans l’île pour une première séquence consacrée à la question corse. Après un entretien en tête à tête d’une demi-heure avec le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, il a enchainé sur une réunion d’une heure où se sont joints la présidente de l’Assemblée de Corse et les présidents des quatre groupes politiques. Avant une séance plénière avec les acteurs économiques et les associations de prisonniers. Au final : un pas fort vers un statut d’autonomie à la polynésienne et le rapprochement des prisonniers. Avec un préalable : l’arrêt des violences.



Gérald Darmanin en visite en Corse. Photo Michel Luccioni.
Gérald Darmanin en visite en Corse. Photo Michel Luccioni.
Autonomie. Le fameux mot tabou, qu’aucun Premier ministre ne réussissait même pas à prononcer sous peine de suffocation, a été lancé par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, la veille de son voyage de deux jours en Corse, comme une incantation magique pour éteindre un incendie. « Le gouvernement est prêt à aller jusqu’à l’autonomie ». L’effet de surprise est réussi, mais il est vite douché par les précisions apportées : « Après la question est de savoir ce qu’est cette autonomie. Il faut qu’on en discute ». Le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, a, pourtant, été très clair : il veut une autonomie de plein droit et de plein exercice. Au-delà du problème de vocabulaire, qui n’est pas la moindre des clés, réelles ou affectées, du mur d’incompréhension qui sépare la Corse de Paris, la question primordiale est effectivement celle du statut : lequel privilégier parmi ceux existants en Outre-Mer ou un statut à inventer, et quel l’article 73 ou 74 qui l’inscrirait dans la Constitution ? Mercredi matin, à la sortie du Conseil des ministres, avant de s’envoler pour l’île, le ministre a précisé que le processus prendrait « un temps long » - ce qui peut s’entendre, mais pas en Corse où le pouvoir nationaliste estime avoir assez attendu.
 
L’enjeu électoral
Gérald Darmanin, soumis au silence à partir de vendredi pour cause de réserve parlementaire due à l’élection présidentielle, dévoile que, pendant la période pré-électorale, des réunions seront organisées sur le sujet à Paris avec le président Simeoni. Une déclaration assez étonnante pour un ministre qui n’a, pour l’heure, aucune certitude sur la reconduction de son champion, au nom duquel il parle et de la poursuite de sa mission. Ce qui ne l’empêche pas de déclarer : « La question institutionnelle sera logiquement engagée pendant le second mandat du président Macron, s’il est réélu ». Une annonce, donc, de taille qui pourrait vouloir reléguer au second plan une mesure beaucoup plus immédiate à prendre, la seule sur laquelle le ministre a véritablement la main : le rapprochement de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi. Mais là, la bonne volonté coince encore…  beaucoup ! Dans l’île, personne n’est dupe ! La Corse sait trop bien ce que valent les promesses présidentielles, surtout en période électorale. Tout le monde, ici comme ailleurs, comprend bien que l’enjeu pour l’Elysée est, d’abord, d’éviter un drame humain qui mettrait le feu aux poudres à trois semaines des élections présidentielles. La bonne volonté du gouvernement a attendu que la crise, qui a éclaté, après la tentative d’assassinat contre Yvan Colonna, le 2 mars dernier, à la centrale d’Arles, atteigne un point paroxystique dimanche à Bastia, pour expédier un ministre dans l’île. Le timing de la visite donne la préséance au dialogue par rapport à la visite convenue des forces de l’ordre qui s’impose naturellement après les violences.
 
Des échanges cordiaux
C’est avec 40 minutes de retard et avec des conditions de sécurité drastiques que le ministre a franchi dans une voiture aux vitres fumées et sous une imposante escorte policière, les grilles de la Collectivité de Corse pour un huis-clos en trois actes. Le premier a été un entretien en tête à tête d’une demi-heure, mais pas franchement détendu avec Gilles Simeoni, la gravité et la circonspection sur les visages valaient tous les mots. Au second acte, sont venus s’agréger pour une bonne heure de réunion la présidente de l’assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, et les présidents des quatre groupes de l’Assemblée de Corse : Jean Biancucci pour Fà Populu Inseme, Paul-Félix Benedetti pour Core in Fronte, Jean-Christophe Angelini pour le PNC, avec la présence voulue par l’Exécutif corse, de Josepha Giacometti au nom de Corsica Libera, et Laurent Marcangeli pour U Soffiu Novu. « Les échanges ont été extrêmement cordiaux. Nous avons pu aborder même les questions qui fâchent de manière extrêmement ouverte. Nous avons eu de la part du ministre la même ouverture », affirme Jean Biancucci. Avec une belle unanimité de tous les groupes sur le rapprochement et la libération du commando et sur le principe d’un statut d’autonomie. Tous ont, ensuite, rejoint dans le salon vert une séance plénière de deux heures avec les élus, les acteurs économiques et sociaux - chambre de commerce, d’agriculture, des métiers, UMIH - le président de l’université, les syndicats étudiants, et les associations de prisonniers. En tout plus de quatre heures de discussions où le scepticisme le dispute à l’espoir ! (cf réactions)
 
Un statut à la polynésienne
A la sortie, le ministre annonce qu’il rallonge son séjour jusqu’à vendredi, trois jours donc, pour « répondre aux nombreuses sollicitations, demandes d’audience et rendez-vous ». Il recevra, notamment jeudi matin à 8h les parlementaires corses, et se rendra vendredi à Bastia voir le maire, les élus et les policiers. Ces premiers mots sont pour saluer les forces de l’ordre « 130 policiers et gendarmes ont été blessés depuis les manifestations violentes ». Il embraye sur la volonté du président de la République de faire toute la lumière sur la tentative d’homicide contre Yvan Colonna. « L’enquête administrative, qui sera publiée la semaine prochaine à la demande du premier ministre, donnera une première réponse ». Il trace ensuite un possible chemin vers l’autonomie : « Nous sommes mis d’accord sur un processus de discussions, que nous souhaitons tous le plus serré possible. Je vais proposer que d’ici à la fin de l’année 2022, nous puissions accélérer le calendrier pour nous mettre d’accord sur ce que nous souhaitons pour l'évolution institutionnelle de l’île. Cela peut être un statut à la polynésienne, telle qu’il existe déjà dans la Constitution de la République, c’est-à-dire grosso modo l’économique et le social à la Collectivité et le régalien à l’État. Cela peut être un statut sui generis différent qui ferait naître des modifications constitutionnelles ». Et la nécessité d’utiliser au mieux les compétences déjà dévolues, comme il l’explique en vidéo :

Un statut d'autonomie à la polynésienne ?

Ni un chéquier, ni une matraque 
Abordant le chapitre des violences, il constate que « depuis deux jours, le calme relatif est revenu sur l’île. Il en revient d’abord à l’esprit de responsabilité de ceux qui ont appelé au calme, mais aussi au travail ingrat et difficile des policiers et des gendarmes ». Il en appelle à la sagesse et au dialogue : « Il ne faut pas qu’il y ait un mort, ni du côté des manifestants qui souvent sont des jeunes de 14 à 16 ans, ni du côté des policiers et des gendarmes. Des escadrons de gendarmerie mobile sont arrivés pour remplacer les blessés qui ont été rapatriés sur le continent. Six enquêtes judiciaires ont été ouvertes pour que des actes ne restent pas impunis, notamment les incendies de bâtiments publics ». Réaffirmant qu’il n’est venu « ni avec un chéquier pour discuter des subventions, ni avec une matraque ! », mais pour dessiner un avenir pour la Corse « qui n’est pas un avenir dans la violence. L’avenir, c’est le dialogue et les évolutions institutionnelles avec les représentants démocratiquement élus ». Pour lui, un seul interlocuteur légitime : Gilles Simeoni. « C’est lui qui est le représentant légitimement élu, et c’est avec lui que nous discutons ».
 
La parole de l’Etat
Sur l’épineuse question de la libération des prisonniers, il botte en touche et rappelle qu’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri « ont des rendez-vous judiciaires. C’est leur démarche individuelle parce qu’ils ont fait des demandes de liberté conditionnelle. L’une des dates est le 21 avril ». Plaidant l’indépendance de la justice sur le politique : « Je ne peux pas donner d’ordres à des juges », il déclare qu’il n’y a « aucune interférence de l’Etat ». Puis assène que la levée du statut de DPS rend les rapprochements « possibles dans la prison de Borgo où des travaux ont déjà été faits, indépendamment de la tentative d’homicide à l’encontre d’Yvan Colonna ». Mais il prévient : pas de rapprochement sans retour au calme. « Il est certain que tant que les bombes agricoles continuent d’être jetées sur des policiers et des gendarmes et qu’il y a des manifestations violentes, ce rapprochement ne peut pas se faire. Tant qu’il y aura des violences… il ne peut pas y avoir de revendications abouties ». Le ministre propose une refondation entre la Collectivité de Corse et le gouvernement pour « fermer une page et ouvrir un dialogue construit sans que l’on oublie les difficultés en Corse ». Et de promettre que ce dialogue ne sera pas caduc après l’élection présidentielle : « J’engage la parole de l’État comme je le fais d’ailleurs en portant les politiques publiques qui ont été menées en Corse depuis de très nombreuses années. Il y a un continuum. Je ne le fais pas au nom d’un candidat, mais au nom de l’État. Il y a des processus, des discussions qui se font à travers les gouvernements. Et c’est l’honneur de la République française de tenir sa parole et je n’ai aucun doute que tout le monde tiendra la parole de l’Etat ».

Un protocole signé
C’est bien ce qu’entend Gilles Simeoni qui demande que la parole soit écrite et fasse l’objet d’un protocole d’accord signé.  « Je souhaite que les engagements très forts, qui ont été pris ce soir, soient effectivement actés et signés, y compris dans un document avec la formalisation publique, à la fois de la méthode, du contenu, du processus et du calendrier.  Je considère qu’un premier pas important est acquis puisque ces engagements ont été pris, que les choses sont définitivement scellées dans le marbre. Les engagements pris oralement et publiquement par le ministre de l’Intérieur devant l’ensemble des participants sont désormais la feuille de route à partager, y compris au-delà de l’échéance présidentielle, ces engagements doivent être consignés dans des documents officiels signés par toutes les parties et rendus publics. Dans ces conditions-là nous pouvons considérer que nous avons posé la première pierre d’un processus historique. C’est notre volonté. C’est la condition sine qua non d’une sortie logique de crise et de conflit pour aller faire une logique d’apaisement et de construction politique partagée ».

N.M.