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François-Xavier Bustillo sous les projecteurs de la foi : La médiatisation exceptionnelle du cardinal évêque de Corse


Angelina Rosano le Jeudi 23 Novembre 2023 à 10:47

Depuis sa nomination en tant que cardinal, l'évêque de Corse, François-Xavier Bustillo, dont c'est le 55e anniversaire ce 23 novembre, suscite un intérêt médiatique exceptionnel et rare pour un prélat. Dans une interview pour CNI, son Eminence revient sur son ascension fulgurante, son lien privilégié avec le peuple corse, et sa vision du rôle de l'Église dans les défis contemporains.



Photo Paule Santoni
Photo Paule Santoni
- En seulement deux ans, vous avez connu une ascension rapide au sein de la hiérarchie catholique, comment l'expliquez-vous ?
Ascension, c’est un terme très utilisé dans les médias, mais en fait dans mon cas, je n’ai pas fait d’effort pour être évêque, on m’a appelé, je n’ai pas fait un effort non plus pour être cardinal, on m’a nommé. Donc je me suis retrouvé dans une situation nouvelle, sans avoir cherché une place dans la hiérarchie. Je pense que l’attitude juste à avoir, c’est la confiance. On me fait confiance, j’essaie de répondre du mieux que je peux pour servir mon diocèse et le peuple qui m’a été confié.
 
- En étant présent dans des médias nationaux, tels que Paris Match, et en participant à des émissions télévisées, vous êtes devenu un prélat sous le feu des projecteurs. Quelle analyse faites-vous de cette médiatisation exceptionnelle et considérez-vous qu’elle représente une adaptation nécessaire de l’église à la modernité de la société actuelle ?
 - J’ai été un peu surpris qu’on m’appelle autant. Je pense qu’il y a l’originalité, la nouveauté du cardinal. « Qui est ce cardinal de Corse ? », on ne le connaît pas donc on va l’interviewer afin de le rencontrer et de le connaître. Dans l’ensemble, j’ai ressenti de la bienveillance.
Après, je crois que ma mission n’est pas d’être tout le temps dans les médias, car c’est risqué. Il y a des moments où il y a quelque chose à dire, et d’autres où il n’y a rien d’intéressant ou d’intelligent à dire. Il faut avoir la capacité de savoir parler quand il faut parler, de savoir se taire quand il faut se taire. Ma mission première, c’est d’être sur le terrain avec les gens, pas tout le temps dans les médias.

- Justement, vous participez à beaucoup d’événements, notamment la récente réunion de Femu a Corsica sur l’autonomie, c’est une démarche peu commune pour un cardinal, pourriez-vous nous expliquer ce choix inhabituel et partager votre perspective sur l’implication d’une figure ecclésiastique dans des débats politiques locaux ?
- Je suis un cardinal évêque d’un lieu, d’un territoire, je ne peux pas être un bon pasteur ou un bon cardinal si je ne connais pas mon peuple. C’est pour cette raison que, depuis le début, j’essaie d’être présent et d’écouter la vie politique, de savoir où l’on va et ce que l’on va devenir, de comprendre, d’apprendre et d’avoir des éléments. Je suis présent aussi dans la vie économique, sportive, culturelle. Pour être un bon pasteur, il faut bien connaître la réalité telle qu’elle est.

- Vous avez bien compris ce qu’est la Corse et ce que sont les Corses, vous les avez acceptés comme aucun de vos prédécesseurs n’avait réussi à le faire. La relation qui vous lie au peuple corse est unique, comment l’expliquez-vous ?
- Je ne sais pas si elle est unique, mais en tout cas, je sens qu’elle est privilégiée. Je me sens personnellement très aimé et porté. Pour moi en tant qu’évêque cardinal, si je sens que mon peuple m’aime, me soutient, ça représente plus qu’un privilège, c’est une responsabilité. Je ne peux pas et ne dois pas décevoir ce peuple qui me fait confiance.
L’évêque se doit d’être présent, de saluer tout le monde, de comprendre. Il est normal qu’il y ait un contact simple et des souvenirs avec le pasteur. Nous sommes une famille, et pour moi la Corse est une famille.

- Le fait d’être Catalan et franciscain a-t-il joué un rôle dans votre compréhension de notre île ?
Je pense que oui. Je suis originaire du Pays basque, pays très typé politiquement et culturellement, ça aide à comprendre une mentalité, une identité, une culture et des aspirations.

- La Corse a fait de vous un évêque puis un cardinal, est-ce qu’on peut dire que cette terre vous a porté chance ?
Je suis convaincu que ce que nous vivons en Corse, avec le fait d’avoir ce lien d’amitié et d’affection entre le cardinal et son peuple est assez unique. À Rome, il y avait plus de 800 personnes, cela signifie que pendant deux ans, j’ai fait le choix très personnel de viser la proximité, de rencontrer les personnes, et ce choix de proximité paye et me donne une légitimité. Ce sont les Corses qui me la donnent par le respect et l’affection.

- Justement, vous attendiez-vous à une délégation insulaire aussi importante à Rome ?
- Non, je m’attendais à une petite délégation, au début, nous pensions que 200 personnes viendraient quand nous avons débuté l’organisation, mais après, il y a une augmentation et nous sommes arrivés à plus de 800 personnes. Toutes les classes de la population étaient représentées, il n'y avait pas d’élite, c’était un peuple qui se retrouvait avec son pasteur. J’ai trouvé ça très beau et très touchant.

- On dit que même en Corse la pratique religieuse recule, l’île reste pourtant très imprégnée de traditions et d’une grande ferveur pour la Vierge. Comment définiriez-vous le rapport des Corses à la Foi ?
- Effectivement, il n’y a pas beaucoup de pratique, mais j’ai toujours dit qu’au moins il n’y a pas d’hostilité idéologique. Peut-être qu’il y a un peu d’indifférence avec des personnes qui ne pratiquent pas, mais lorsqu’il y a des moments importants, Noël, Pâques, la Toussaint, les fêtes patronales, les fêtes de la Vierge, les Corses se rappellent qu’ils ont un patrimoine, une culture et une spiritualité. Donc quelque part, la régularité des célébrations, processions, pèlerinages nous rappelle que nous faisons partie d’un peuple qui a des racines profondes et que la tradition catholique fait partie de notre culture, de notre nature et de notre identité.
 

En Corse et à Rome

Photo Paule Santoni
Photo Paule Santoni
- En vous nommant cardinal, quelles sont les missions que le Pape vous a confiées ?
- Ma première mission est de continuer ici, de continuer à donner le meilleur de moi-même pour la Corse. Pour la seconde, il m’a demandé de faire partie du dicastère du clergé. À Rome, tous les cardinaux font partie d’un dicastère. Nous conseillons tous le Pape. Ma manière de l’accompagner va se faire à partir de ce que je connais, de mon expérience européenne. Chacun apporte sa vision propre dans le but de faire avancer l’Église catholique sur la bonne voie. J’ai deux missions, d’un côté local par la Corse, et de l’autre côté universel à Rome par le dicastère du clergé.
 
- Réussirez-vous à concilier ces deux missions, corse et vaticane ?
 - Oui. Finalement, le dicastère de Rome ne me demande, pour le moment, pas énormément de travail. Je n’ai pas encore mon planning, mais je pense qu’il est tout à fait compatible et conciliable d’être en Corse, mon lieu de vie, et d’aller de temps en temps à Rome pour des questions pratiques.
 
- Depuis votre nomination en qualité de cardinal, en Corse, on dit que vous pourriez être le prochain Pape, cela reste un souhait de certains, mais comment recevez-vous ces encouragements ?
Je suis novice, il y a un mois que je suis cardinal. J’arrive, je vais découvrir les cardinaux qui viennent du monde entier. Il y a dans le collège des cardinaux des gens qui ont de l’expérience, de la compétence. Je pense que pour être Pape, il faut surtout avoir la compétence et la disponibilité. Moi, pour le moment, je découvre. Vous l’avez dit tout à l’heure, il y a seulement deux ans que je suis évêque, je suis déjà cardinal, donc il faut le temps pour grandir et pour mûrir.

- Comment vous envisagez le rôle du Pape face aux défis contemporains de l’Église catholique ?
- Je pense que le Pape, comme tous les évêques, doit être au contact de la société, qu’il doit sortir les antennes pour capter ce qui se vit. Ce que les catholiques vivent aux États-Unis et au Burkina Faso, c’est différent. Le danger pour le Pape est d’avoir une vision eurocentrée. Les problématiques sont différentes en Europe et en Afrique par exemple. Ce sont deux mondes différents. On doit tenir compte de tout, de chaque réalité afin de donner une réponse juste et adaptée.

- En tant que cardinal, comment percevez-vous le rôle de l’Église dans les enjeux complexes et sensibles du conflit au Proche-Orient et quelles initiatives pourraient être prises pour favoriser la paix dans la région ?
- C’est tragique de voir que deux peuples proches sont ennemis. Le propre de l’homme, c’est la parole. Je pense qu’il faut des efforts politiques et diplomatiques pour trouver des solutions. Je crois que le patriarche latin de Jérusalem, Pizzaballa, a souhaité prendre la place des otages, je trouve ça très beau. Il a posé un geste symbolique et courageux. Les églises doivent contribuer à apaiser les esprits sur le plan émotionnel, lié à la colère, l’injustice, la passion, afin que les comportements soient plus pacifiques. Si l’on ne vit pas en paix, on est destiné à être malheureux.