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François Tatti : "Le Syvadec va instaurer une fiscalité incitative afin que ceux, qui trient mieux, payent moins"


Nicole Mari le Samedi 27 Juin 2015 à 19:59

La fermeture du centre d’enfouissement des déchets de Tallone 1, le 24 juin, a généré une crise de trois jours avec Prunelli-di-Fiumorbu qui refusait de récupérer, malgré une réquisition du préfet, une seule des 80 000 tonnes de déchets laissées en plan. Un compromis provisoire a été trouvé, pour un mois, le temps que Paris examine la demande de l’Assemblée de Corse (CTC) d’une dérogation de la loi Littoral pour débloquer la construction de l’unité mécano-biologique de Tallone II. La crise a permis, à tous, de prendre conscience de la nécessité de mettre en place une politique efficace de tri sélectif en amont. François Tatti, président du Syvadec (Syndicat mixte pour la valorisation des déchets de Corse), conseiller territorial et président de la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia), explique, à Corse Net Infos, qu’il veut instaurer un dispositif basé sur un service public simple et accessible, des incitations financières à trier et des pénalités pour les mauvais trieurs.



François Tatti, président du Syvadec (Syndicat mixte pour la valorisation des déchets de Corse), conseiller territorial de gauche et président de la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia).
François Tatti, président du Syvadec (Syndicat mixte pour la valorisation des déchets de Corse), conseiller territorial de gauche et président de la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia).
- Quelle est la teneur exacte de l’accord avec Prunelli-di-Fiumorbu ?
- Pendant un mois, 8 000 tonnes de déchets, provenant de Corse-du-Sud et traitées par la STOC (Société de traitement des ordures de la Corse) de Prunelli, sont détournées vers les centres de stockage de Vico et de Vigianellu afin de libérer de l’espace pour les communes de Haute-Corse. Le tonnage global, enfoui à Prunelli, n’est, donc, pas modifié, comme le souhaitaient les élus, mais la STOC a accepté des clients qu’elle ne connaissait pas, sans rentrer dans la réquisition du Préfet. Vico et Vigianellu ont fait des efforts proportionnels à leurs capacités.
 
- Cet accord provisoire est-il satisfaisant ?
- Il était nécessaire pour débloquer la situation à l’orée de la saison estivale et éviter que cette difficulté ne devienne problématique au plan hygiénique et au plan de l’image touristique. Des capacités de stockage existent au plan technique, mais nous n’avons pas voulu heurter les élus et les populations des territoires qui font l’effort d’accueillir les déchets. Ils auraient vu d’un très mauvais œil que l’on sacrifie plus rapidement que prévu leurs capacités de stockage au bénéfice d’autres territoires qui, auparavant, envoyaient leurs déchets à Tallone.
 
- Pourquoi n’avez-vous pas anticipé cette situation ?
- Nous avons fait plus que l’anticiper ! La gestion des déchets est complexe. Le Syvadec a la charge de la partie aval, c’est-à-dire le traitement des déchets triés ou pas par les communes. Lorsque les déchets arrivent triés, nous les recyclons ; dans le cas contraire, nous les trions et les stockons dans nos installations. Nous avons créé deux centres de stockage en Corse du Sud pour sécuriser le département et fermer les décharges sauvages. Nous avons passé des contrats avec la STOC pour lui permettre de développer ses projets à Prunelli. Et, nous avons travaillé, en partenariat, avec la commune de Tallone pour monter le projet de Tallone II. Ces projets sont conformes au plan en cours et à la réglementation en vigueur.
 
- Le rapporteur du Tribunal administratif demande l’annulation du permis de construire de l’unité mécanobiologique de Tallone II pour cause de loi Littoral. Que ferez-vous s’il est annulé ?
- C’est un enjeu très fort pour que, en Corse, comme ailleurs en France, nous ayons une approche différente, au plan du droit, de la question de la contradiction entre les lois Littoral et montagne et les lois de protection de l’environnement sur lesquelles sont assis les projets que nous portons. Une loi ne peut pas, à la fois, prétendre protéger l’environnement et nous empêcher de construire des installations de protection de l’environnement ! Sans remettre en cause la loi Littoral, on peut imaginer, si nécessaire par amendement, qu’en dehors des espaces proches du rivage, elle s’efface au profit des lois Montagne ou environnementales qui, elles, permettent de réaliser ces constructions dans un cadre précis. Nous en avons fait le pari juridique à Tallone, comme nous l’avons fait à Vico et à Viggianellu qui sont dans le même cas de figure, sauf qu’il n’y a pas eu de recours !
 
- Croyez-vous que Paris va changer la loi et ouvrir la boite de Pandore, juste pour la Corse ?
- Ce n’est pas ouvrir la boite de Pandore, mais faire en sorte de mettre en cohérence les différentes règlementations.  Aujourd’hui, la règle, qui prévaut, est d’appliquer la loi la plus dure ! La loi la plus dure est-elle d’interdire la protection de l’environnement ou de l’autoriser ? Nous défendons, auprès des ministères, la seconde idée, qui est frappée au coin du sens, les avocats de Tallone la défendent au niveau juridique. Nous pensons que, dans le mois de juillet, nous obtiendrons un certain nombre de réponses qui nous permettront, soit de modifier légèrement le projet pour lui permettre de s’adapter dans des clous modifiés, soit de le mettre en œuvre tel qu’il est. Nous y croyons fortement !
 
- Mais, si Paris refuse, quelles solutions y a-t-il pour sortir de cette impasse ?
- Chacun assumera ses responsabilités ! Nous, nous assumons les nôtres ! Nous considérons qu’en engageant ce travail, nous protégeons la Corse et son environnement. Pour le reste, je ne scénarise pas des solutions qui ne correspondent pas à nos travaux et aux engagements que nous avons pris depuis des années. S’il advenait que cette solution-là n’était pas praticable, techniquement, nous en aviserions d’autres pour l’immédiat, mais cette difficulté-là ne doit pas remettre en cause l’ensemble de notre dispositif qui a été réalisé à 95%. Il n’est pas question, comme j’entends certains le dire, de retourner à l’incinération ou à d’autres systèmes ! Ce n’est pas sérieux !

François Tatti : "Le Syvadec va instaurer une fiscalité incitative afin que ceux, qui trient mieux, payent moins"
- Cette crise a mis en évidence la nécessité absolue de faire du tri sélectif en amont. Pourquoi ne trie-t-on pas les déchets en Corse ?
- Nous n’arrivions pas à créer le Syvadec, les élus ne s’accordaient pas entre-eux. Lorsque la France a été condamnée à payer une amende européenne de 400 millions € à cause des décharges de la Corse, de la Guyane et d’autres îles, l’Etat a menacé de nous répercuter cette somme intégralement, si on ne triait pas les déchets. Face au risque de sanction pécuniaire très lourde pour la Corse et les communes concernées, nous avons réussi à créer l’ensemble des installations du Syvadec. Cependant, malgré le nombre des actions que nous menons pour la promotion du tri, les élus en charge de la collecte, maires et présidents d’intercommunalités, se sont reposés sur notre travail en aval et n’ont pas pris la mesure de l’urgence de mettre en place le tri sélectif en amont. Les progrès, réalisés dans un premier temps, se sont rapidement essoufflés. Chacun s’est endormi sur ses lauriers.
 
- Pourquoi les quelques expériences tentées ne marchent-elles pas ?
- Le Syvadec a, quand même, fait progresser le tri, le faisant passer de 5% en 2007 à 21 % en 2014. Mais ces 21 % ont été gagnés sur le tri effectué dans les recycleries ou sur les produits, pas sur le tri des ménages qui plafonne à 6% ! La première responsabilité est celle des élus locaux. Ils doivent prendre la mesure du problème et mettre en place un service public du tri sélectif qui soit de qualité, simple, accessible, pratique et facile à comprendre. Il faut sortir des systèmes actuels, parfois mis en œuvre sur les conseils de bureaux d’études dans un manque de vision globale des choses ou par souci d’économie. Ces systèmes sont assez embryonnaires et ne vont pas au bout des logiques de tri. Les élus locaux ne sont pas seuls responsables, mais portent toutes les potentialités de changement des choses.
 
- C’est-à-dire ?
- Nous allons sortir de cette crise, mais je ne voudrais pas qu’on en sorte en reportant, sur les 5 ans à-venir, les mêmes problèmes que nous connaissons aujourd’hui. Si, lorsque le Syvadec faisait son travail sur le traitement en aval, nous avions fait le travail sur le tri en amont, nous aurions consommé les capacités de stockage deux fois moins vite que nous le faisons aujourd’hui. Tallone aurait pu fermer un an ou deux sans même que nous nous en rendions compte ! Le stockage, aujourd’hui, représente 80 %, le but est de le réduire à 15% ou 20% pour préserver les capacités. Nous avons, au Syvadec, saisi l’occasion de cette crise majeure, pour prendre le taureau par les cornes, bien que ce ne soit pas notre compétence.
 
- Qui est compétent ?
- Personne ! C’est un peu la difficulté. Personne ne peut obliger un maire à faire du tri ! La CTC a modifié le nouveau plan des déchets en ce sens, mais ce plan n’a pas de contraintes financières. Il n’a que des incitations et des obligations juridiques sans pénalisation quelconque pour l’élu qui ne jouerait pas le jeu. Nous avons imaginé un dispositif au Syvadec pour changer les règles de facturation de nos prestations et inciter fortement financièrement les élus à faire le tri. Ceux, qui feront le tri, verront leurs factures réduites rapidement. Le but est que chacun se pénètre de l’idée que s’il met en place le tri et si celui-ci est bien fait, il peut, avec des coûts de collecte constants, diminuer au moins d’un tiers sa facture du Syvadec. Ce biais fiscal peut donner, à tous les maires, les moyens de mettre en place le tri sélectif. Mais ce ne sera pas suffisant !
 
- Le groupe Femu a Corsica plaide depuis 5 ans pour le tri porte à porte. Y êtes-vous favorable ?
- Oui ! C’est une très bonne solution ! Plus ou moins bien adaptée selon les territoires, mais c’est une formule qui fonctionne ! Les territoires ruraux de Sardaigne, par exemple, sont passés en 5 ans de 10% à 60% de tri grâce au porte-à-porte. En revanche, ce n’est pas très adapté au secteur urbain des vieilles villes, mais on peut faire évoluer le dispositif. Quoiqu’il en soit, avec tous ceux qui le voudront, je vais me rapprocher de la région sarde pour m’inspirer de sa réussite. Les deux îles sont comparables et ont les mêmes caractéristiques géographiques, économiques, démographiques, les mêmes zones touristiques qui subissent des variations de population de 1 à 10 et des zones rurales.
 
- Qu’ont fait les Sardes ?
- Ils ont mis en place tout le dispositif aval de recyclage, comme le Syvadec l’a fait. Ils ont, en plus, incité fortement à la collecte sélective en développant, principalement dans les zones rurales, le porte-à-porte. Cela a plusieurs avantages. Aujourd’hui, nous dépensons beaucoup d’argent pour la collecte, pour acheter des camions, du matériel… Le porte-à-porte fait dépenser plus, mais crée des emplois. Nous pensons, ensuite, instaurer une fiscalité incitative afin que les ménages, qui trient mieux, payent moins. Cela existe déjà sur le continent. Nous devons, aussi, mettre en place une police de l’environnement. C’est une mesure à laquelle je tiens profondément.
 
- Qu’appelez-vous une police de l’environnement ?
- Des brigades vertes ! Dans chaque territoire, on peut inciter à la création d’emplois de contrôle, qui assurent, à la fois, la partie information et la partie répression. Je vois, tous les jours, et ça me désole, des commerçants, qui ne trient pas le verre et les cartons et jettent tous ces déchets en vrac, alors que ce n’est quand même pas très compliqué de faire un peu de tri ! Les volumes sont considérables. Il faut pénaliser, y compris fiscalement, ceux qui, commerçants ou particuliers, ne respectent pas les consignes de tri. La première fois, on explique. La seconde fois, on facture le prix que coûte un mauvais tri à la collectivité. En résumé, d’abord, on offre un service, ensuite on incite, enfin on pénalise.

François Tatti : "Le Syvadec va instaurer une fiscalité incitative afin que ceux, qui trient mieux, payent moins"
- Le plan des déchets, attendu depuis trois ans et qui sera présenté en juillet à la CTC, n’intègre pas ce niveau de tri. Faut-il complètement le revoir ?
- Un plan n’est qu’une direction ! Le Syvadec a mis en œuvre le contraire du plan qui est en vigueur et qui prévoyait, notamment, l’incinérateur ! La grande ligne du futur plan est le tri sélectif avec une ambition très forte. Si nous le mettons en œuvre hardiment, nous aurons, déjà, fait l’essentiel du travail. Nous avons, à ma demande, maintenu le stockage au maximum légal de 60% pour éviter de poser un carcan juridique sur des projets dont la Corse a besoin dans cette phase transitoire. Mais, l’objectif est de descendre à 20% ou 30% de stockage.
 
- Combien de temps faut-il pour mettre en place le tri sélectif dans l’île ?
- Il faut aller très vite ! Encore une fois, ce que chacun doit bien mesurer et comprendre, c’est que c’est le maire qui met en place le tri sélectif. Personne ne peut lui donner d’ordre ! La loi n’oblige, ni à un délai, ni à un calendrier. C’est la raison pour laquelle je n’accepte pas les polémiques politiciennes sur un dossier aussi sensible et avec une responsabilité aussi partagée. Cela ne sert à rien de dire que les uns ou les autres n’ont pas fait ça ! C’est compliqué pour nombre de mairies qui sont en butte à plein de problèmes et n’en font pas une priorité ! Je regrette, pour ma part, que ce ne soit pas politiquement plus rentable d’être un bon élu en matière de tri sélectif.
 
- Qu’entendez-vous par là ?
- J’aimerai qu’un élu, qui passe de 6% à 80% de tri sur sa commune, gagne toutes les élections ! Le jour où un élu obtiendra une rentabilité politique pour avoir changé les choses, on changera le système ! Aujourd’hui, la rentabilité politique est de ne pas embêter son concitoyen en ne mettant pas la poubelle devant chez lui parce que ça l’embête ! Comment réaliser ce changement de concept politique ? Cette crise forte et lourde a mis tout le monde sur des charbons ardents. Que les mouvements politiques et l’Office de l’environnement s’emparent du sujet, c’est positif ! On ne doit pas s’en sortir pour s’endormir, mais avec des résolutions fermes et un calendrier de travail sérieux et précis.
 
- Que va faire le Syvadec ?
- Je vais m’atteler à comprendre comment le tri sélectif marche en Sardaigne, quelle politique a été mise en œuvre avec quelle durée d’initiation et quels préalables nécessaires… Je répercuterai, ensuite, l’information, ici, pour que nous puissions mettre en place un plan de bataille et démarrer, au plus vite, sur un changement radical en matière de tri sélectif. Et ce, avec tous ceux qui voudront y venir de manière spontanée, il y en a beaucoup ! Notamment les présidents des communautés de communes du Sartenais-Valincu ou des Cinque Pieve et avec les maires de Bastia et d’Ajaccio qui s’y sont engagés. C’est l’enjeu d’aujourd’hui !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.