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En Corse, le pessimisme des médecins traitants libéraux


Paule Cournet le Mercredi 3 Janvier 2024 à 19:27

De retour dans leur cabinet après leur grève menée du 25 au 29 décembre, les 300 médecins du
Collectifs ML Corsica ne se montrent guère optimistes sur la prise en compte de leurs revendications.
Et pourraient envisager un mouvement illimité si le rapport qu’ils ont remis aux autorités sanitaires
restait lettre morte.



Dr Cyrille Brunel
Dr Cyrille Brunel
Le Dr Cyrille Brunel n’est pas homme à baisser les bras. Ni à perdre un sens de l’humour très appuyé, où pointe une légère trace d’ironie, comme une marque de distance face à une situation où le comique l’emporterait si elle n’était pas si préoccupante, que ce soit pour les patients, les médecins ou plus généralement le système libéral. Le porte-parole du Collectif ML Corsica, qui regroupe 300 médecins sur les 550 que compte l’île, n’est pourtant pas très rassurant au sortir d’une grève de 5 jours qui laissent autant de questions en suspens. « Le choix de faire grève a été difficile et le retour l’est tout autant », concède le praticien installé à Furiani.
Aujourd’hui, il craint que le rapport remis aux autorités sanitaires afin de faire évoluer la médecine libérale au regard de l’insularité et des spécificités corses ne reste lettre morte. Et souligne, à la fois, « la solitude des patients, incapables de trouver un médecin, et celle des professionnels, harassés de tâches qui n’ont aucun sens et aucun intérêt ».

Avec pour angoisse, l’effondrement total d’un système que patients et médecins jugent inadapté déjà depuis de nombreuses années. Avec une population plus âgée que sur le Continent – la Corse est la 2e région la plus âgée de France-, un nombre de personnes dépendantes en constante augmentation et un taux de précarité et de pauvreté plus élevé chez les séniors, mais aussi une spécificité géographique qu’il est difficile de nier (contraintes d’accessibilité, infrastructures, notamment routières, dégradées avec 2462 km de route départementale contre 331 km de route nationale), faire de la médecine libérale en Corse, avec les moyens actuels s’avère particulièrement compliqué. « Sans compter que la Corse est la seule région de France à ne pas disposer d’un CHU ou d’un CHR ni d’un centre de référence en oncologie. Faute de l’offre de soins nécessaires, de nombreux patients doivent se rendre sur le Continent pour avoir accès à certains soins spécialisés », s’étrangle presque le Dr Brunel. C’est donc avec l’impérieuse nécessité et la volonté d’accueillir mieux et plus vite les patients que le Collectif ML Corsica a élaboré 6 propositions « dans un cadre local par la spécificité montagne, mais dans le respect de la convention et de l’uniformité nationales », note à ce sujet la synthèse élaborée par les médecins insulaires : revalorisation de la consultation complexe, de la visite longue, revalorisation de l’indemnité démographique, la possibilité de cumul d’un acte clinique avec un acte technique ainsi que le cumul de deux actes techniques, et enfin la possibilité de téléconsultation par téléphone pour les personnes âgées mal à l’aise avec les nouvelles technologies.

Les médecins les plus jeunes ne représentent que 20,7% des effectifs
« Ce qu’il faut savoir, c’est que ces mesures permettraient d’améliorer l’accès aux soins, sans impact financier important, voire carrément nul, et augmenteraient l’attractivité de la médecine libérale sur un territoire où les médecins les plus jeunes ne représentent que 20,7% des effectifs en Corse. En résumé, on ne pourra pas continuer à financer des projets onéreux qui ne servent à rien et ne correspondent pas aux besoins. L’État essaie de mettre les moyens, mais pas forcément au bon endroit », se désole le Dr Brunel qui dénonce les strates administratives françaises qui grèvent les budgets et biaisent les résultats. Pendant ce temps, les patients vivent parfois un véritable parcours du combattant pour trouver un médecin. « Une fois sur deux, quand le patient s’assoit face à vous, ce n’est pas de sa pathologie dont il parle en premier, mais de la longueur d’attente pour avoir un rendez-vous. On le vit et on comprend leur désarroi, tous les jours. Comment voulez-vous construire une relation sur de telles bases », déplore le médecin. Soutenu par la classe politique insulaire, le Collectif n’entend pas retomber dans la résignation et ira jusqu’à mener d’autres actions, y compris une grève illimitée si nécessaire. « Le système s’effondre et on est évalués sur le fait de mettre des QR codes sur nos ordonnances. La dernière nouvelle discipline, c’est rechercher des médicaments qui n’existent plus. Je passe ma vie à répondre au téléphone à des pharmaciens qui ne peuvent pas honorer les prescriptions », raconte-t-il. De l’humour et une pointe d’ironie, pour prendre de la distance sur une situation qui ne fait plus rire grand monde.