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«En 20 & 20», le 19ème ouvrage de Jean-François Agostini


Philippe Jammes le Lundi 7 Juin 2021 à 12:49

Né à Paris en 1955 Jean-François Agostini vit à Fiori (Corse du sud) entre mer et oliviers. A 32 ans, il quitte «les artifices d’une carrière administrative » et tient depuis une paillotte poétique saisonnière sur une plage de la Tyrrhénienne. Il y accueille ses amis poètes, plasticiens, comédiens et autres passants. Il occupe son temps entre culture d’oliviers et poésie notamment au sein de l’association littéraire «Entrelignes». Il a créé «Voyage en vers», une manifestation annuelle destinée à faire découvrir la poésie contemporaine aux élèves des écoles primaires de la microrégion lors du Printemps des poètes. Créateur et organisateur aussi des «Mots en hiver» constitués de rencontres, lectures, conférences, débats avec des poètes de tous les horizons. Créateur et organisateur toujours, en partenariat avec la Cinémathèque de Corse et l’association Cinémotion du festival de courts métrages et poésie «Des courts en hiver». Il nous présente son dernier bijou «En 20 & 20»

CNI est parti à la découverte de cet auteur passionnant.



Pourquoi ce titre ?
Si vous enlevez l’esperluette et les espaces cela donne En 2020, année particulière qui a donné et donnera longtemps, à tort ou à raison, beaucoup de littérature et de poésie, les phénomènes sociétaux m’inspirent généralement peu et je me range volontiers dans ce propos d’Henri Michaux : « En poésie, il vaut mieux avoir senti le frisson à propos d’une goutte d’eau qui tombe à terre et le communiquer, ce frisson, que d’exposer le meilleur programme d’entraide sociale. Cette goutte d’eau fera dans le lecteur plus de spiritualité que les plus grands encouragements à avoir le cœur haut et plus d’humanité que le meilleur programme d’entraide sociale. », cependant  je voulais malgré tout laisser une trace de cette année, elle est dans ce titre et les dates de chaque texte.

- C'est joli esperluette ...
- L’esperluette est un signe typographique que l’on appelle aussi « et commercial ». Vous aurez noté que le commerce, notamment en ligne, a prospéré durant cette période, il me fallait souligner cette contradiction : d’un côté les malades, les morts, les privations, le confinement, de l’autre le triomphe du commerce en ligne et du virtuel,  J’ai symbolisé cela avec l’esperluette d’une taille de police inférieure.

Comment ce livre s’articule t-il ?
- Ce livre compte deux parties, la première : En 20, 20 proses accompagnées de quelques photos qui ont été inspiratrices pour ces textes, précédées de deux photos qui s’affrontent : une allégorie des éléments, de la Nature, que l’on retrouve dans presque tout ce que j’ai écrit jusque-là. La seconde partie & 20, vingt photographies contrastées, sans texte, toutes symboliques où se révèlent quelques émotions qui je l’espère se transformeront en sentiments pour le lecteur : toujours la confrontation et la beauté des éléments naturels, les paréidolies, et la tendresse et l’humanité avec la main caressant le cheval, la dernière photo où l’on distingue de fragiles silhouettes humaines qui incarne au lever du soleil l’espoir ou au coucher du soleil : la fin. Enfin en disant à haute voix En 20 & 20, j’entends également en vain et an vain, et c’est bien ce que ressentent les poètes et les artistes en général face à notre société du spectacle et de la désinformation où tout est superficiel, empêche la réflexion, la pensée, et pousse l’art vers le bas. Il contient du «sacré profane» sans sombrer dans le mystique.


Qu’est ce qui vous inspire ? votre style ?
- J’ai déjà répondu à cette même question dans la revue Terre à ciel, elle n’a pas changé. Il y a des bonheurs de l’image comme il y a des bonheurs de l’écriture, des « moments donnés » qui transcendent l’ordinaire. Le photographe les traque, le poète de par sa nature contemplative les attend, l’un et l’autre doivent voir avec plus d’intensité et conserver puis cultiver l’étonnement de l’enfant qui découvre le monde. Leurs yeux sont des collecteurs d’apparences, dès lors s’apparient le réel, l’imaginaire, le souvenir qui permettent souvent le geste créatif : le déclenchement de l’obturateur ou le poème. Ma source d’inspiration est  mon « patrimoine » culturel, tout ce que j’ai vu, entendu, lu et que je peux reconnaître, sans vraiment, parfois, en avoir conscience, au détour d’un chemin, d’une rue, d’un paysage, du ciel, d’une œuvre d’art. Mon style varie selon ce que je vois, ressens et reporte, ce sont les éléments, terre, eau, mer et feu donc lumière que l’on retrouve d’une manière ou l’autre dans chaque texte avec son pendant photographique qui me donnent le ton. Lors de mes promenades contemplatives, les poètes, écrivains, peintres, musiciens, photographes, connus ou peu connus, disparus ou contemporains, amis ou non m’accompagnent.


- Les photos ?
- Prendre une photographie c’est prélever un instant de lumière dans ce qui arrive autour de soi et le suspendre, c’est suspendre le temps, sa continuité, c’est également comprendre que le seul temps qu’elle contient est l’instant isolé de ce qu’elle montre. Cet instant révèle une forme qui n’est plus et ne se renouvèlera, il est cependant la preuve que cette forme a été là, a impressionné le regard puis le papier ou l’écran, preuve consultable à chaque autre moment du futur, qui elle-même nous regarde. Rompre la continuité du temps c’est courir le risque de perdre le sens de cet instant, de la forme figurée et de son interprétation, il faut par conséquent que l’instant photographié étire le temps, lui signifie un passé, un futur et ainsi donne à qui le regarde la possibilité d’un sens. Le boîtier est toujours à portée de main, je touche du regard, plus précisément j’effleure ce lieu, le monde, qui m’est consubstantiel, les « phénomènes » qui le traversent, me traversent et m’imprègnent, j’entends par phénomènes toutes les apparitions : formes, mouvements, couleurs, graphismes, y compris naïfs ou communs, qui parfois s’allient et constituent une esthétique furtive de l’expression que l’on pourrait nommer : le sentiment du hasard. Ce sentiment ne peut s’élever s’il n’est nourri d’une pure et profonde empathie et d’un fort désir de partage, sans la moindre arrière-pensée. La grande majorité des photos de ce livre ont été prises de chez moi ou tout près durant l’hiver 2020.

Vos projets ?
- Écrire, photographier, ce qu’il reste de la Beauté du monde, malgré les abominations. Pour conclure je citerai Proust :  «La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque quand elle cesse d’être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n’existent plus. »