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Elena Piacentini : "la littérature ne s'inscrit pas dans l'instantanéité, mais dans la durée"

Personnalité corse de l'année par les lecteurs de CNI


M.V. le Mercredi 11 Janvier 2023 à 13:28

Désignée personnalité de l’année par les lecteurs de CNI, Elena Piacentini a reçu son prix la semaine dernière dans les locaux bastiais du journal. A l'occasion de cette rencontre, l'écrivaine qui a passé toute son enfance et son adolescence, entre le maquis et les bras de sa grand-mère à Tallone, avant de traverser la Méditerranée pour un périple toujours plus septentrional, s'est livrée dans une interview sur sa relation avec ses personnages, la Corse et ses projets.



Avec 1 231 étoiles et 5 724 suffrages obtenus Elena Piacentini a été désignée personnalité corse de l'année par les 6 821 lecteurs de Corse Net Infos qui ont participé à cette distribution étoilée qui n'avait pour ambition que de mettre en lumière quelques belles personnalités de l'île.
Avec 1 231 étoiles et 5 724 suffrages obtenus Elena Piacentini a été désignée personnalité corse de l'année par les 6 821 lecteurs de Corse Net Infos qui ont participé à cette distribution étoilée qui n'avait pour ambition que de mettre en lumière quelques belles personnalités de l'île.

- Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous et votre parcours ?

- J'ai grandi dans le petit village de Tallone. Ensuite, j'ai fait ma scolarité de la sixième à la terminale à Corte. Une fois obtenu mon bac, à 16 ans et demi,  je suis partie à Nice pour faire une école préparatoire aux grandes écoles et j'y suis restée deux ans. Ensuite, j'ai fait une école de commerce à Rouen. Après j'ai commencé à travailler deux ans à Paris, puis à Lille où je me suis installée.

- Et comment vous êtes arrivé à l'écriture ? 
- J'ai toujours écrit. Ma mère me disait que quand j'étais petite je regardais les enfants qui sortaient de l'école et j'avais hâte d'y aller pour pouvoir écrire. J'adorais les histoires qu'on me racontait et je lisais énormément. Je suis arrivée à l'écriture par la lecture et par l'envie d'écrire de petits bouts d'histoires. Je lisais beaucoup de polars à l'époque qui ont nourri mon imaginaire comme...Arsène Lupin ou  Le Comte de Monte-Cristo, qui est aussi un genre de polar, une histoire de vengeance avec du suspense...

- Depuis 2008, année de sortie de votre premier ouvrage, vous avez écrit une série  de romans policiers. Peut-on dire que le polar est votre genre littéraire de prédilection ?
- Je trouve que le polar dit beaucoup de choses sur les pays dans lesquels il se situe. On en apprend plus sur une époque à travers d'un roman policier, du roman noir ou du polar en général car on traite de sujets plus sensibles.
En 2008, j'ai donc écrit mon premier roman qui avait comme protagoniste un flic corse qui était nommé à Lille à qui j'ai "prêté" ma grand mère qui n'était donc pas un personnage de fiction parce qui était la mienne. 

- A partir de ce premier titre, la Corse revient souvent dans vos intrigues...
- Oui, les histoires se passent dans le nord de la France, mais la Corse, elle est là, à travers mon personnage et notamment à travers sa grand mère, qui était la mienne et les personnes qui l'ont connue, la retrouvent dans mes livres avec ses petits dictons, ses histoires et comptines.
Donc le lien avec la Corse est là, dans certaines scènes, mais il est aussi dans la généalogie de mon personnage. Il devient un flic en opposition à son père qui faisait partie des réseaux peu recommandables de ce qu'on a appelait la Corse Afrique. Quand j'ai commencé à écrire je ne me sentais pas prête à écrire un roman qui se passe entièrement en Corse par peur de tomber dans le cliché, dans la caricature ou les stéréotypes...

- Après sept opus des enquêtes de Pierre-Arsène Leoni, vous avez changé de - personnage et de genre 
- .Oui, dans mon parcours il avait d'autres objectifs littéraires. En 2017 j'ai écrit un diptyque chez Fleuve qui traite de comment on peut se libérer des secrets de famille, comment on peut sortir du schéma qu'on a prévu pour nous et reprendre en main son destin. 

Est-ce qu’il y a des éléments biographiques dans vos romans ? 
- Il n'y a pas d'éléments biographiques dans mes romans à part ma grand-mère dans les histoires du commissaire Leoni. Après ce qu'il y a de moi dans mes romans c'est ce qui me touche, ce à quoi je suis sensible, les expériences et les rencontres que je fais. Les écrivains sont un petit peu comme des vampires, ils se nourrissent de ce qu'il y a autour d'eux, de ce que les gens racontent, de ce qu'ils lisent...

- Après plusieurs polars, en 2022 est sorti " Les Silences d’Ogliano", un superbe roman en littérature blanche, qui a gagné le prix 2022 de la closerie des Lilasprésidés par Laure Adler... 
- Dans ce livre sorti chez Actes Sud, on suit la quête du jeune Libero Solimane qui avance dans la vie, entre guerre des clans, recherche d’identité et passage à l’âge adulte. Si le village d'Ogliano s’est nourri de mon enfance, l'intrigue peut se développer en Corse, en Sicile, en Sardaigne, en Calabre, dans les Pouilles. C’est un lieu imaginaire du sud où vivent des petites communautés fermées avec des secrets qui les lient et qui doivent faire  des choix face à la domination de certaines familles par rapport à la pauvreté des autres. `

- Les lecteurs de CNI vous ont désigné personnalité de l'année. Qu'aimeriez-vous dire à tous celles et ceux qui ont voté pour vous ? 
- Je les remercie. Je suis très touchée par la mobilisation des amis, des proches, mais surtout des lecteurs, car il y a des lecteurs assidus qui me suivent vraiment depuis le début, depuis quatorze ans, qui m'ont toujours encouragée, car ce n'est pas toujours facile de persévérer dans l'écriture. C'est quand même un parcours du combattant. Et donc, dans ce parcours du combattant, quand on a des retours enthousiastes, des gens qui vous encouragent, ça fait du bien, ça soutient et donc vraiment c'est merveilleux. Donc merci parce que je dois finalement cette désignation à mes lecteurs.

- Quelle est la place de la littérature dans la société corse ?
- Il y a vraiment beaucoup d'initiatives par rapport à la littérature en Corse. Sur l'ile la littérature existe, elle est soutenue par des gens qui organisent des rencontres, qui animent des clubs de lecteurs. Et je pense à une personne en particulier qui est Françoise Ducret et qui fait faire des tournées à des auteurs corses sur le continent, mais qui fait aussi venir des auteurs de l'extérieur dans des petits villages de l'ile ou dans des bibliothèques mois centrales pour aller à la rencontre du public insulaire.
La littérature en Corse est en bonne santé, le terreau est riche. Cette année, par exemple, une nouvelle maison d'édition Omara et une revue, Litteratura, ont été créées et cela c'est très positif. 

- Pourquoi, à votre avis, il y a-t-il une telle richesse littéraire en Corse ?
- Je pense que là où il y a beaucoup d'auteurs, comme c'est le cas en Corse, il y a aussi beaucoup d'interrogations et de gens qui ont envie de s'emparer des choses. Notre île n'a pas une histoire simple, elle est traversée de plein decontradictions, elle a beaucoup d'aspirations et la littérature se nourrit de ça...Il n'y pas de littérature dans les endroits où il ne se passe rien. La littérature existe parce qu’elle raconte des choses pas faciles à dire et que les gens n'ont pas toujours envie d'entendre. Même si on n'est pas d'accord avec ce qui est dit dans un roman, ce dernier apporte au moins une voix, un éclairage et ça suscite une réflexion. Pour moi la littérature est tout l'inverse de l'époque qu'on traverse qui est une époque de l'instantané, de l'opinion toute faite, sans nuance et caricaturale. Elle ne s'inscrit pas dans l'instant, mais dans la durée... un livre et n'a a pas de date de péremption. La littérature nous apporte toutes les nuances qui nous manquent dans la société d'aujourd'hui. Alors qu'on vit dans une époque plongée dans l'action, la littérature nous apporte de la réflexion.

- Quels sont vos projets ? 
- J'ai en projet l'écriture d'un autre roman. Mais ça me prend de plus en plus de temps. Car pendant un an, on est replié sur soi. Dans un autre espace-temps. Et puis parce qu'il faut de la documentation et que j'ai besoin d'être un être complètement dedans, donc je ne peux pas donner de date, mais oui, oui, bien sûr, et j'ai un bon projet en préparation.