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École à la maison : ces parents corses qui ont sauté le pas


David Ravier le Mercredi 27 Septembre 2023 à 13:51

En Corse, seuls 200 enfants sur les 48 000 élèves que compte l'académie sont concernés par l'instruction à domicile. Un système souple et parfois onéreux, dont les conditions d'accès sont sensiblement durcies depuis la rentrée 2022



Image d'illustration. Crédit photo: Sunvani Hoàng/Pexels
Image d'illustration. Crédit photo: Sunvani Hoàng/Pexels
« C'est un fonctionnement qui trottait dans ma tête depuis un moment avant d'en prendre la décision et c'est au moment de la pandémie que nous avons sauté le pas ». Marjorie di Placido ne regrette pas son choix. Depuis trois ans, cette habitante de Lecci a décidé d'instruire ses enfants à la maison. En Corse, 200 enfants sont actuellement scolarisés à domicile, une goutte d'eau (0,42%) par rapport aux 48 000 élèves de l'académie. « Au niveau national, c'est un phénomène qui tend à se raréfier, mais en Corse, les volumes d'enfants scolarisés à domicile n'ont pas diminué », précise Jean-Toussaint Casabianca, inspecteur de l'éducation nationale chargé de la coordination de l'instruction en famille sur l'académie de Corse.
 

Un mode d’instruction minoritaire sur l’île
Pourtant, les modalités d'accès à l'instruction en famille (IEF) ont évolué récemment. Autrefois, les familles n'avaient qu'à déclarer leur intention d'instruire leurs enfants par elles-mêmes, conformément aux lois de Jules Ferry de 1882, pour que cela soit accepté par l'Éducation nationale. En 2019, l'instruction à domicile est devenue obligatoire pour les enfants de 3 à 16 ans, et depuis 2022, les conditions pour choisir cette voie ont été renforcées. Désormais, les familles doivent obtenir une autorisation de la Direction académique des services de l'éducation nationale (DASEN) pour retirer leurs enfants de l'école et les instruire à la maison. De plus, quatre motifs spécifiques déterminent les conditions valides pour l'instruction à domicile : un handicap ou des problèmes de santé empêchant l'enfant de suivre une scolarité classique, des activités sportives ou artistiques intensives rendant difficile la conformité aux horaires de l'école, un éloignement géographique de l'établissement scolaire par rapport au domicile des parents, et enfin, un projet éducatif spécifique répondant aux besoins particuliers de l'enfant.
Malgré ces évolutions et les avantages que l'instruction à domicile peut offrir, le choix reste minoritaire en Corse. Les parents qui font ce choix doivent relever de nombreux défis, notamment en matière d'organisation et de ressources pédagogiques. Cependant, pour ceux qui s'engagent dans cette voie, c'est souvent un choix motivé par des considérations personnelles et la recherche d'une éducation sur mesure pour leurs enfants. 
Les jumelles de Marjorie di Placido entament cette année leur rentrée en troisième. Au départ de leur aventure en 2020, c'est elle qui a assuré les cours, avec « un mélange entre peur de l’inconnu et excitation, pour tout le monde d’ailleurs, souligne la mère de famille, qui a la chance d’être à son compte et de télétravailler en permanence depuis dix ans. Nous partions d’une page blanche, sans mode d’emploi, et un mois et demi a été nécessaire pour trouver un rythme qui fonctionne vraiment bien côté organisation, supports de cours, et la distinction entre maman/prof et maman tout court ».  Au quotidien, la journée est découpée en bloc temporel, où les collégiennes organisent leurs journées de cours comme elles le souhaitent, du moment qu’elles étudient toutes les matières qui avaient été définies en avance. « Chaque année, nous regardons le planning recommandé par l’éducation nationale et nous organisons tous les trimestres pour avoir le bon nombre d’heures en face de chaque matière », précise la mère de famille. Ce rythme, qui demande une certaine organisation, a néanmoins permis à cette cheffe d'entreprise adepte du télétravail de tisser des liens plus profonds avec ses enfants, en plus de pouvoir organiser les journées en fonction des envies de la famille, « elles n’ont jamais de choix à faire entre l’école et découvrir le monde et ça, c’est une philosophie de vie qui compte beaucoup dans notre foyer ».

 


Un système émancipateur mais onéreux
Néanmoins, un tel rythme peut être compliqué à tenir sur le long terme, raison pour laquelle Marjorie di Placido a « opté pour une transition douce avec une école privée à distance », souligne-t-elle. Après avoir assuré leur éducation seule pendant plus d'un an, la cheffe d'entreprise a décidé de s'aider d'une école privée à distance, l'EIB, pour l'instruction de ses filles. Cet établissement virtuel laisse une large place à l'autonomie, avec des cours en visio uniquement sur les langues et les mathématiques, et tout le reste avec des livres pédagogiques qui suivent le programme scolaire et des vidéos enregistrés. « Avec le cumul des deux, elles ont la possibilité d'avancer sur leurs cours à leur rythme, de faire des exercices et de les autocorriger et en plus, elles ont des contrôles continus toute l'année qu’elles effectuent sous notre surveillance, comme cela se passe dans une salle de classe traditionnelle et qui sont revus par les professeurs de l’école », explique la mère des jumelles. À la fin de chaque trimestre, les élèves reçoivent un bulletin et les appréciations du corps enseignant, et le cursus proposé par l’EIB peut même être poussé jusqu'au baccalauréat, avec un diplôme bilingue reconnu en France et à l’étranger.

Grâce à l’EIB, la mère de famille assure avoir réussi à se dégager 80% du temps qu’elle consacrait auparavant à l’instruction de ses filles. Ce système, qui développe l'autonomie des adolescentes en les laissant étudier à leur rythme, a bien sûr un coût, que Marjorie di Placido estime à 600€ par mois pour les jumelles, « c'est cher, et c'est sans compter les cours optionnels dont elles bénéficient, précise-t-elle, mais vu de la qualité de l'enseignement, ça les vaut largement ».


L’inspection académique en support des parents
De son côté, bien qu’elle laisse une grande autonomie aux parents dans la gestion du programme éducatif, le rectorat de Corse n’est pas en reste, avec une évaluation par an, qui se fait à domicile ou plus rarement, dans un établissement scolaire tout proche. « Nous y allons avec des enseignants et des inspecteurs pour évaluer, non pas le niveau scolaire des enfants, parce que ce n'est pas l'enjeu, mais plutôt pour voir si les compétences acquises sont bien en conformité avec ses aptitudes et le projet pédagogique par rapport à la classe d'âge dans laquelle il se situe », précise l’inspecteur académique. Ces évaluations annuelles, qui sont coordonnées par Jean-Toussaint Casabianca, mobilisent entre 100 et 140 personnes au sein du rectorat de Corse et sont prises très au sérieux. « Pour nos inspections, nous partons toujours de ce que fait l’élève quotidiennement. L’idée n'est pas de plaquer une évaluation standardisée sur ces enfants mais plutôt de s'adapter au contexte dans lequel ils évoluent au sein de cette instruction particulière, nuance l’inspecteur académique. La loi stipule que les parents ont la possibilité d'organiser la temporalité des apprentissages de manière plus souple qu’à l'école. Nous avons malgré tout des bornes, ce que nous appelons les attendus du socle commun, qui pose les jalons de l'apprentissage de 3 à 16 ans ». Une fois arrivé à 16 ans, âge qui marque la fin de l'instruction obligatoire, l'élève doit avoir atteint intégré toutes les compétences du socle commun, au même titre que tous les autres jeunes de son âge.

 

Adeptes de ce système, Marjorie et ses enfants ne souhaitent plus revenir en arrière, tant ils ont l’impression d’avoir gagné en confort et en qualité de vie. « Si c’était à refaire, nous ne changerions rien à l’existant avec mon mari. Je suis fière de dire qu’aujourd’hui nous sommes extrêmement proches de nos enfants et quoi qu’il arrive demain, nous aurons passé un maximum de temps tous ensemble, en créant des souvenirs que personne ne pourra jamais nous enlever », conclut-elle.