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Donner un nom et numéroter chaque rue : pourquoi le retard pris par la Corse est à relativiser ?


le Samedi 1 Juin 2024 à 08:54

En France, les communes de moins de 2 000 habitants avaient jusqu’au 1er juin pour se mettre en conformité avec « l’adressage » de leurs administrés, autrement dit les noms et les numéros de rue. Un travail de fourmi que toutes n’ont pas encore pu entreprendre : à cette échéance en Corse, 50 % des communes ne disposent pas encore de leur adressage complet. Pour autant, la situation en Corse reste proche de la moyenne nationale. L’État regarde plutôt le verre à moitié plein et en conséquence, aucune sanction ne sera prise contre les communes retardataires.



En Corse, 50 % des communes ont terminé leur adressage.
En Corse, 50 % des communes ont terminé leur adressage.
« Avant, il n’y avait pas d’adressage à Sotta. On parlait de la première maison à droite et de la deuxième à gauche », sourit son maire, Jean-Marc Serra. Mais entre 1999 et 2021, la bourgade de l’Extrême-Sud a doublé son nombre d’habitants (de 808 à 1711). Il était temps d’aider le facteur à s’y retrouver, et ça passait par donner un nom aux rues et un numéro aux maisons. « Un travail de titan », se souvient l’élu, mais d’autant plus nécessaire que « chez nous, il y a souvent des homonymes... » C’est ainsi que la rue principale de Sotta a été rebaptisée il y a trois ans la via San Martinu, en hommage au saint du village. 

Et sur les nouveaux panneaux, les plus fins observateurs remarqueront qu’on ne parle presque plus de rue, de route ou de rond-point, mais de via, strada è giratoriu. La corsisation de l’adressage, c’était l’une des conditions fixées par la Collectivité de Corse (CDC) pour l’octroi d’une subvention qui peut grimper jusqu’à 80 % du financement global. Alors que sur la majeure partie du territoire français, les conseils régionaux n’aident pas les communes à se mettre en conformité avec leur adressage, la CDC a choisi, elle, de mettre la main au porte-monnaie dans le cadre de son vaste plan de déploiement de la fibre optique sur toute la Corse. En effet, sans adressage complet, la commercialisation de la fibre ne peut pas se faire dans les foyers. Cette aide financière s’inscrit donc « dans une vision d’ensemble », confirme Jean-Félix Acquaviva, le président du comité de massif (ladite instance de la CDC chargée d’allouer les fonds après constitution d’un dossier par la commune).

"Remontrances"

Sur la Plaine orientale, Linguizetta en a aussi terminé avec son adressage : « Des noms de lieux-dits avaient disparu du langage courant, on a réussi à les sauver », apprécie le maire Séverin Medori qui, comme beaucoup d’autres édiles, en a profité pour mettre sur un piédestal la toponymie locale. C’était en 2021 et trois ans plus tard, certains de ses administrés n’ont pas encore intégré leur nouvel adressage. « Ils gardent leur ancienne adresse, alors qu’on a envoyé un papier à tout le monde avec les nouvelles adresses. Mais il faut encore du temps pour que la ça rentre dans les pratiques habituelles. » Et le choix de la numérotation métrique des maisons laisse parfois perplexe : « Nous avons régulièrement des remontrances, les gens ne comprennent pas pourquoi l’un a le numéro 1 000 et l’autre un peu plus loin le numéro 3 000... » Cela signifie que 2 000 mètres séparent les deux adresses : en effet, le choix de la numérotation métrique est souvent privilégiée car elle permet en cas de construction nouvelle, d’intercaler un numéro, plutôt que de donner dans le « bis » ou le « ter ».

Adoptée en février 2022, la loi 3DS (« différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) vise donc à généraliser l’installation de la fibre, à faciliter le travail des facteurs, mais aussi et surtout celui des secours, en cas d’intervention en urgence. Dans un hameau sans nom de rue ou sans numéro, pompiers ou SAMU peuvent perdre des minutes qui pourraient s’avérer vitales. Les nouvelles adresses sont aussi transmises aux organismes (tels que l’assurance maladie) et aux services de GPS en ligne qui les intègrent dans leur base de données, passé un délai de quelques semaines.

"Leur simplifier la vie"

Un site internet rend compte de l’état d’avancement du déploiement des BAL (bases adresses locales). Et à ce jour, 57 % des 35 071 communes de France ont terminé leur adressage. Ce qui veut dire que les autres communes accusent du retard, puisque la date limite fixée par la loi est le 1er juin 2024. Pour autant, pas d’inquiétude à avoir, rassure Olivier Bourreau, le chargé de déploiement des BAL pour le compte de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : « On demande déjà beaucoup aux communes, ce n’est pas évident pour elles de se confronter à un nouveau chantier, mais à terme, ça va leur simplifier la vie. » Ce délai du 1er juin n’est pas synonyme de sanction en cas de non conformité : « Il est plus incitatif qu’autre chose. Le seul risque pour un maire qui n’a pas fait l’adressage, c’est dans l’éventualité où un administré porterait plainte parce que les secours n’auraient pas trouvé le domicile de la personne à secourir. Et pour l’instant, ça n’est pas encore arrivé en France. »

Et dans les plus grandes villes ?

La Corse n’est pas du tout dans son viseur : « On n’a pas d’inquiétude particulière, elle est à peu près dans la moyenne nationale. » En effet, 180 des 360 communes corses ont terminé leur adressage, soit pile-poil une sur deux. Mais si l’on se réfère au total de la population couverte, le ratio tombe à 42 %. Cela s’explique par le retard pris par des communes densément peuplées, comme Ajaccio ou Porto-Vecchio. Or, l’échéance légale avait été fixée au 1er janvier 2024 pour les communes de plus de 2 000 habitants. A Ajaccio, le retard est dû au temps passé à rectifier les anomalies existantes, comme au choix d’avoir voulu consulter les habitants, explique Sébastien Ferracci, directeur général adjoint des services : « Avec La Poste, on a opéré un audit complet sur toutes les voies d’Ajaccio. Et sur les 1500, il y en avait environ 500 pour lesquelles on a constaté une anomalie, comme l’absence d’une dénomination. Et fin 2022, la mobilisatio citoyenne a été couronnée de succès puisque nous avons recueilli entre 800 et 900 propositions. » Désormais, Ajaccio va entrer dans la phase de pose des panneaux, avec un objectif de réalisation espéré « dans le courant de l’année 2025 ».

A Porto-Vecchio, l’adjointe au maire Dumenica Verdoni justifie le retard pris par « la non-réponse de la Collectivité de Corse sur ce dossier. Nous avions pourtant répondu à l’appel à projets, mais ils ne nous ont jamais financé », regrette l’élue porto-vecchiaise. Dès lors, la troisième ville la plus peuplée de Corse a pris la décision de s’autofinancer : « 150 000 euros cette année et 150 000 euros l’année prochaine », précise Dumenica Verdoni. Président du comité de massif, Jean-Félix Acquaviva soutient de son côté « que des discussions ont eu lieu pour que Porto-Vecchio redimensionne son projet », tout en rappelant que le comité de massif, « c’est la politique de la montagne. Or le volume demandé pour Porto-Vecchio était trop important au regard de la partie montagneuse de la commune ».

La Poste n'est plus labellisée

Les communes sont restées libres de réaliser leur adressage elles-mêmes, ce qu’a choisi de faire le conseil municipal de Sisco, par exemple : « Chaque conseiller municipal a travaillé sur son propre village et nous avons ensuite coordonné notre travail », se souvient le maire Ange-Pierre Vivoni. Mais en Corse, la plupart des communes ont choisi de faire appel à un prestataire, comme Pichjulellu, une société gérée par un conseiller municipal de Speloncato, Pierre Ridolfi. « Je vais jusqu’à communiquer aux particuliers leur nouvelle adresse », explique celui qui s’est retrouvé précurseur en Corse dans l’adressage. Il chiffre à « 140 » le nombre de communes en Corse qu’il aide (ou a aidé) à compléter leur adressage. « 140 », c’est aussi ce chiffre qui est avancé par le service de communication de La Poste en Corse. Pour autant, l’ANCT n’a labellisé que Pichjulellu, et pas La Poste. Pourquoi ? « C’est un sujet sensible, reconnaît Olivier Bourreau. Au départ, La Poste était également labellisée, mais on a trouvé que la qualité de l’adressage réalisé par La Poste n’était pas toujours au top. Pas en Corse spécialement, mais sur toute la France. » Mélanie Scala, chargée de communication pour le Groupe La Poste en Corse, répond ceci : « Nous sommes en contact régulier avec l’ANCT et nous respectons scrupuleusement leur directives. Nous continuons notre travail d’adressage en mettant en avant notre expertise. » Elle concède néanmoins « quelques flottements », mais derrière, « les dossiers ont été repris et sont allés au bout ».