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Délinquance en Haute-Corse : un fait sur deux est lié aux violences intra-familiales


Laurent Hérin le Lundi 19 Février 2024 à 20:32

L’ensemble des services de l’État, le Préfet et le procureur de la République en tête, ont dressé ce lundi à la préfecture de Haute-Corse le bilan de la délinquance en 2023 dans le département. Des chiffres relativement stables ou en baisse hormis ceux concernant les violences intra-familiales et l’insécurité routière, en forte hausse



Jean-Philippe Navarre et Michel Prosic président la présentation des chiffres de la délinquance © LH
Jean-Philippe Navarre et Michel Prosic président la présentation des chiffres de la délinquance © LH
Malgré le soleil qui brille à l’extérieur, ce lundi après-midi, les salons de la Préfecture de Haute-Corse sont bien éclairés. Le préfet Michel Prosic, le procureur de la République, Jean-Philippe Navarre, comme les principaux représentants des forces de sécurité (police, gendarmerie, douanes) sont là pour faire toute la lumière sur les chiffres 2023 de la délinquance et les actions qu’ils comptent mener en 2024.
 
« Une lutte qui nous tient à cœur »
C’est d’ailleurs le préfet de Haute-Corse qui ouvre le bal et détaille le bilan chiffré de l’insécurité dans le département. Sans surprise, la délinquance générale est stable (+0,4 %). Si les atteintes aux personnes ont augmenté (+9,7 %) celles concernant les biens sont en baisse (-4,2 %). Deux chiffres viennent démontrer l’engagement des services de police et de gendarmerie sur le département : +3,25 % de faits élucidés et une hausse (+10,7 %) de l’agrégat des IRAS, les infractions relevées par les services. Dans le détail, le préfet insiste sur la saisie des stupéfiants (+345 %) - « une lutte qui nous tient à cœur et que nous allons poursuivre et amplifier en 2024 » - et sur un taux d’élucidation des faits de 44 %, en hausse de 2,8 % par rapport à 2022.

À l’inverse, il ne peut que constater une augmentation toujours significative des violences intra-familiales (+19,4 %) et des chiffres d’insécurité routière dans le rouge (+22 % de décès et +12 % d’accidents). Ce dernier point est d’autant plus souligné qu’il est à l’opposé d’une baisse sur le continent dans le domaine (-3 %). Michel Prosic précise : « Sur ces 22 décès, et je pense particulièrement aux familles, 15 sont des résidents corses. Il faut donc battre en brèche cette idée reçue que les accidents seraient le fait des touristes qui connaissent mal nos routes. Ils tuent sans distinction et, trop souvent, sur des trajets que l’on connaît par cœur. ». Il rappelle aussi les principales causes : la vitesse excessive, les comportements dangereux et la conduite sous emprise de drogue ou d'alcool. « Beaucoup de deux-roues sont impliqués, particulièrement à l’approche et pendant la période estivale. C’est notre jeunesse qui est impactée. » En effet, 60 % des accidents concernent les 25-64 ans.

À propos des violences intra-familiales, le préfet ne cache pas non plus son inquiétude: « Une telle augmentation en deux ans, c’est dramatique. » En 2023, sur les 1 689 atteintes à l’intégrité physique des personnes (+9,7 % par rapport à 2022), les violences intra-familiales représentent 44 % de la totalité des faits. Au-delà d'une réelle augmentation, ce chiffre s’explique aussi par la libération de la parole des victimes : « Elles poussent plus facilement la porte du commissariat » et d’autres lieux annexes comme le tribunal, les pharmacies, l’hôpital, etc. Ainsi, une véritable chaîne complète pour l’accueil des victimes existe aujourd’hui. Ces dernières peuvent même fixer des lieux de rendez-vous en dehors de leur domicile, avec, toujours, pour objectif d'être mieux prises en charge et accompagnées.
Sur ce plan, le procureur de la République de Bastia soulève également le problème de la protection des élus. En 2023, 13 plaintes ont été déposées. La Corse, tout comme le continent, connaît un phénomène d’atteintes aux élus du fait de leur fonction. « Les élus ou les associations font leur travail et réclament de la justice. Leurs agressions sont inacceptables tout comme certains silences que l'on constate, souvent par crainte de représailles. »

Le magistrat insiste : « Je viens d’arriver, mais je me projette déjà sur 2024. Je suis attaché à ce qu’on puisse rendre compte de toutes nos actions. » Il rappelle que le nombre de procès-verbaux a augmenté de 10 430 à 12 210 et que le taux de réponse pénale reste élevé : 8 procédures sur 10 sont traitées par le parquet. Cette hausse n'est pas liée aux chiffres de la délinquance, plutôt faibles dans le département, mais bien au travail de fond réalisé par ses services. Lui aussi revient sur les deux points noirs de ce bilan annuel – l’insécurité routière et les violences intra-familiales – avec le même triste constat que le préfet.

La Corse n’est plus épargnée par la drogue

Les responsables de la douane, de la gendarmerie et de la police assistait à la conférence © LH
Les responsables de la douane, de la gendarmerie et de la police assistait à la conférence © LH
Concernant la drogue, le procureur détaille : « On a cru que l’île était protégée alors que le trafic est croissant. Pour preuve les saisies et le nombre de jeunes sous emprises dans les accidents de voiture. La Corse n’est plus épargnée par ce fléau. Il y a des réseaux d’approvisionnements et un trafic organisé. Notre réponse judiciaire, en lien avec les services de polices et gendarmerie, se doit d'être adaptée. » Il propose également de s’associer au niveau national avec d’autres départements, comme les Bouches-du-Rhône, pour mieux lutter contre ce trafic. A ce propos, il évoque le quadruple homicide de ce début d’année, étroitement lié à la drogue. Le procureur soulève aussi quatre points prioritaires liés, selon lui, aux « singularités locales » :
- Le renforcement de la lutte contre les réseaux criminels organisés
- Le renforcement de la lutte contre les destructions par moyens dangereux et incendies
- La lutte contre les fraudes
- Et, en matière d’environnement, la préservation de la nature et de l’urbanisme, trop souvent liés à un intérêt criminel

Jean-Philippe Navarre compte également poursuivre, en 2024, les saisies et confiscations qui ont rapporté, à l’État, près de 1 million d’euros l'année dernière : « On sanctionne pénalement et on restitue au service public. » Avant de conclure : « Nous avons pris la mesure de ce besoin de justice. Notre devoir de l’autorité judiciaire : tendre la main à toutes les bonnes volontés pour nous aider à remplir les objectifs à atteindre en matière d’insécurité. »

L'enquête Corse

Lui aussi est arrivé il y a peu de temps. Joël-Patrick Terry est directeur interdépartemental de la police nationale de Haute-Corse. Il étonne par sa référence : « Avant de venir, on m'a dit de lire la BD de Pétillon, L'Enquête Corse, pour comprendre certaines choses. » Le Commissaire divisionnaire pense y avoir décelé les paradoxes de l'île : « Ici, la sécurité est unique. On peut oublier son portable et le retrouver une heure plus tard, une jeune fille peut se promener sans risques, tard le soir sur la place Saint Nicolas. » Dans le même temps, il précise : « Mais il y a tout ce qu'on ne voit pas : les extorsions, une criminalité organisée et la drogue. La Corse n’est pas préservée, il y a beaucoup de cocaïne et dans tous les milieux. » Pour lutter contre cette insécurité liée au territoire, la surveillance des transports est essentielle : « Les armes comme les stupéfiants n’arrivent pas par la Poste ! Les avions et les bateaux doivent être surveillés parce qu'on a à faire à des gens bien organisés. » Pour ce faire, le policier peut compter sur ses collègues des autres services : « On entretient de très bons rapports avec les services des douanes et les gendarmes. »
Concernant les violences intra-familiales qu'il juge "inacceptables", il rappelle que l'accueil à changé : « Nous sommes policiers, mais avant tout des pères ou des frères. Nous travaillons avec de l’humain et nous cherchons à nous améliorer encore. » Il évoque aussi deux sujets pas encore abordés, qu'il considère comme une réalité invisible dans l'île : la prostitution et le harcèlement scolaire. Avec ses équipes, ils veulent aussi être plus réactifs sur les feux de voiture : « Je ne crois pas à l’auto-combustion des véhicules ! Il est souvent question de leasing ou de fin de bail, de vengeance et de véhicule ventouses. » Enfin, il rappelle ce paradoxe corse à la Pétillon. « On peut maîtriser une manifestation à trois fonctionnaires et, le lendemain, on a du mal à canaliser une éruption de violence. Mais qu’est-ce qu’il fait bon vivre en Haute Corse » conclut le policier.
À ses côtés, le commandant du groupement de de gendarmerie insiste lui sur la sécurité routière – « le point le plus important. 22 décès sur nos routes, c’est insupportable » – avant de rappeler qu'une nouvelle brigade de 6 gendarmes spécialisés dans l’environnement va voir le jour à Corte. Enfin, le responsable des Douanes évoque les saisies de tabac qui restent, pour le moment, plus faibles que le continent : « Nous avons saisi 70 kilos, on peut parler de filiale familiale, mais ça ne serait tardé à augmenter en corrélation avec le prix chez les buralistes. On voit aussi arriver quelques contrefaçons de marques. »

Après ce tour de table, le procureur, tout comme le préfet, insistent sur les points sensibles et sur l'accent particulier qu'ils comptent mettre toute l'année, dans la lignée de 2023, sur les politiques suivantes :
- lutte contre le trafic de drogue,
- lutte contre la criminalité organisée,
- lutte contre les violences intra-familiales,
- lutte contre la cyberdélinquance,
- et enfin lutte contre l'insécurité routière
2024 est une année importante en terme d'organisation et de moyens des services de sécurité intérieure. « Une très bonne chose, parce qu'au-delà des chiffres, notre rôle est de protéger nos citoyens. Le reste est superflu » conclut Michel Prosic.