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DOSSIER. Les châtaigniers corses, des sentinelles qui nous parlent de notre avenir


le Dimanche 11 Décembre 2022 à 18:22

Grâce à ses arbres pluri-centenaires qui ont déjà survécu à un changement climatique, cette extraordinaire forêt fait l’objet de recherches d’un groupement européen de scientifiques depuis une décennie. Des travaux qui ont déjà conduit à découvrir des éléments importants pour préserver les arbres dans le futur



Emanuele Barbieri  avec chercheurs venus de toute l’Europe qui s’y succèdent pour y étudier ces châtaigniers extraordinaires
Emanuele Barbieri avec chercheurs venus de toute l’Europe qui s’y succèdent pour y étudier ces châtaigniers extraordinaires
C’est probablement la plus ancienne châtaigneraie d’Europe. Voire même l’une des plus vieilles forêts du continent. Au pied du village de Pianello, sur 50 hectares, d’immenses arbres sont autant de témoins des siècles passés. Situés loin des routes, ces châtaigniers multi centenaires ont résisté aux importantes coupes de l’industrie du tanin, et n’ont, sur certaines zones, jamais été exploités par l’homme. « On y trouve même des arbres endémiques qui datent d’avant l’époque génoise. Certains ont presque mille ans. C’est unique ! », s’enthousiasme Emanuele Barbieri ingénieur agronome et castanéiculteur.

Ces caractéristiques rarissimes ont conduit un groupement européen de recherches basé en Irlande à installer un laboratoire au cœur de cette forêt. Depuis une dizaine d’années, ce sont ainsi des chercheurs venus de toute l’Europe qui s’y succèdent pour y étudier ces châtaigniers extraordinaires. « La plupart des arbres présents à Pianello ont plus de 600 ans et ont connu la mini ère glaciaire du Moyen-Âge et l’augmentation des températures à partir de 1850. Donc, ils ont déjà résisté à un certain réchauffement climatique », indique Emanuele Barbieri en reprenant : « Ce sont des sentinelles incroyables qui ont encore énormément de choses à nous raconter sur la façon dont ils se sont adaptés à ce changement climatique ». 
 
Respecter les sols pour que les châtaigniers puissent continuer à prospérer
L’ingénieur agronome explique ainsi qu’a notamment été mise en évidence la relation essentielle qu’entretiennent les arbres avec le sol. « Ils ont résisté durant si longtemps parce que la relation qu’ils avaient avec le sol était moins perturbée. Au cours des dernières années, il y a eu des phénomènes exogènes qui ont toutefois énormément perturbé le sol », note-t-il en évoquant par exemple les dommages occasionnés par les marcheurs qui se servent de bâtons, par les promeneurs qui déplacent des cailloux ou encore par la divagation animale qui aggrave le phénomène.

« Nous nous en sommes rendus compte à partir de 2013, car comme tout castanéiculteurs nous avons nettoyé toutes nos parcelles en coupant tout le maquis, et nous avons vu une chute de 60% de l’hydrométrie dans le sol. Donc à partir de là, nous avons lancé des études et changé de tactique. Nous employons désormais une technique agro-foresterie qui cossette à jardiner le maquis. C’est-à-dire que nous avons créé des îlots de fraicheur, en gardant une partie du maquis, afin de faire en sorte que dans le sol il y ait toujours suffisamment d’eau pour alimenter les arbres », dévoile-t-il. Il précise que les arbres pour lesquels n’ont pas été créé ces îlots de fraicheur ont pour leur part eu tendance à s’assécher du fait de l’augmentation des températures. « Au niveau des arbres il ne faisait peut-être que 30°C, mais dans le sol, du fait qu’il était nu, la température pouvait monter jusqu’à plus de 40°C. Donc les racines des arbres étaient dans un milieu qui était normalement frais, ce dans quoi elles avaient grandi depuis la mini ère glaciaire, et là ils étaient dans des sols qui avaient énormément réchauffé ».  Dans ce droit fil, Emanuele Barbieri souligne que pour que les arbres puissent survivre au changement climatique, il convient de créer des conditions de respect du sol. « L’enjeu aujourd’hui en agriculture est de protéger l’eau dans le sol et c’est ce qui a été démontré à Pianello. Au lieu de couper tout à blanc, on va conserver des zones de maquis pour laisser de la fraicheur et protéger les racines des arbres. C’est important car cela change radicalement la façon dont on doit considérer l’exploitation de la châtaigneraie », instille-t-il.
 
Pianello, « un gisement de médicaments pour l’arbre »
L’ingénieur agronome relève par ailleurs que les recherches sur ces sols extrêmement perturbés de la forêt de Pianello, comparables à ce que l’on pourrait rencontrer en ville, permettent aux chercheurs d’apprendre des éléments précieux pour savoir comment faire prospérer des arbres en milieu urbain et répondre au défi de la revégétalisation. Une entreprise dans laquelle les recherches menées par le groupement européens sur l’oliveraie des Minelli à Ville di Pietrabugno joueront aussi un rôle fondamental. « En ville, sous nos latitudes, c’est l’olivier qui jouera le rôle le plus important. Cet arbre est en train de nous apprendre des choses extraordinaires. C’est tout d’abord un filtre extraordinaire contre la pollution. Et, d’un autre côté, il a une capacité, même dans des milieux extrêmement perturbés, à conserver une quantité d’humidité étonnante au niveau de ses racines, y compris quand il n’y a pas de précipitations pendant de longues périodes, et même isolé, sans autre végétation autour de lui », constate-t-il.
 
Mais plus encore que des recherches sur l’adaptation des arbres au changement du climat, la forêt de Pianello a aussi permis aux chercheurs de trouver des champignons qui luttent contre l’encre, ce fléau qui atteint les châtaigniers corses depuis de nombreuses années. Une découverte importante dans les sols reculés de cette forêt du centre de l’île, qui n’ont eu aucune perturbation anthropique depuis près de 600 ans. « Pianello est un gisement de médicaments pour l’arbre », sourit Emanuele Barbieri. Et puis, les arbres extraordinaires de Pianello ont aussi appris à se défendre au fil des siècles. Pour preuve, les scientifiques du groupement européen ont pu constater que certains châtaigniers pluricentenaires ont développé des pièges contre le cynips, ce petit insecte ravageur. « Certains arbres dominants ont créé des bourgeons qui font office de défenses naturelles contre le cynips. Ces bourgeons ont changé leur morphologie et sont devenus tellement durs pour éviter que le cynips ponde ses œufs en son sein. C’est une piste de recherches », glisse le chercheur. Une chose est sure, la forêt de Pianello n’a pas fini de nous en apprendre. 

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