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DOSSIER. « Il y a déjà une modification du cycle hydrologique lié au changement climatique en Corse »


le Dimanche 27 Novembre 2022 à 18:59

Patrick Rébillout, chef du centre météorologique de Corse, et Camille Ceccaldi, ingénieure à l’Office d’Équipement Hydraulique de la Corse, étaient invités du colloque « La gestion de l’eau et le changement climatique » organisé par la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse ce samedi à Bastia. L’occasion pour les deux scientifiques de constater que les périodes de sécheresses de plus en plus longues et sévères, et l’augmentation des précipitations intenses ont un impact important sur le cycle hydrologique de l’île



Photo archives CNI
Photo archives CNI
Des contrastes du cycle hydrologique qui se font de plus en plus marqués, avec à la fois une augmentation des évènements humides, mais aussi des évènements secs. C’est le constat qu’a tiré Patrick Rébillout ce samedi, au lycée Giocante de Casabianca à Bastia. Le chef du centre météorologique de Corse était l’un des invités du colloque « La gestion de l’eau et le changement climatique » organisé par la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse. Un évènement à l’occasion duquel il s’est intéressé à l’impact que peut avoir le changement climatique sur le cycle hydrologique en Corse.
 
« La tendance, c’est que nous avons une augmentation des précipitations à l’échelle globale, mais aussi de la demande évaporative de l’atmosphère. Tout cela fait que certaines régions vont être plus arrosées, comme les latitudes Nord, et a contrario d’autres régions, comme la Méditerranée et en particulier la Corse, vont a priori aller vers une modification qui est liée à l’augmentation de l’évaporation transpiration », livre-t-il. « Avec le réchauffement climatique, il y a beaucoup plus d’évaporation. Cela a pour conséquence des précipitations intenses, mais aussi une diminution de l’humidité du sol. Donc, on va avoir une augmentation des épisodes de sécheresse intense, notamment de sécheresse agricole, c’est-à-dire que la quantité d’eau disponible pour les plantes est insuffisante. Et ces sols plus secs font que les canicules sont plus importantes », ajoute-t-il. 
 
Des épisodes de sécheresses de plus en plus longs et sévères
Il précise par ailleurs que des changements se font également sentir au niveau des sécheresses météorologiques qui marquent des déficits de précipitations. « Par exemple cette année, du 1er janvier à la mi-août, où on a connu quelques précipitations, on était à peu près à la moitié du cumul de ce qu’on attend sur cette période-là. Même aujourd’hui, sur la Corse-du-Sud, on est à 60% des précipitations attendues sur la période de janvier à novembre, et à environ 56% sur la Haute-Corse », détaille-t-il en posant : « Donc, très clairement, on voit qu’il y a des modifications du cycle de l’eau, car on observe des épisodes de sécheresses très importants qui ont duré plus de 6 mois, tant sur le déficit de précipitations que sur la sécheresse agricole ». 
 
Un constat partagé par Camille Ceccaldi, ingénieure à l’Office d’Équipement Hydraulique de la Corse, qui a mené une étude sur 13 stations réparties sur les principaux cours d’eau de l’île afin de mesurer les débits moyens et la répartition des débits au fil d’une année. « Ce qui ressort, c’est tout d’abord une diminution significative des débits moyens. On a des périodes d’étiage qui sont de plus en plus longues, qui démarrent de plus en plus tôt et se terminent de plus en plus tard. On constate aussi des débits d’étiage de plus en plus faibles. Mais cette diminution des débits moyens n’est pas homogène au fil de l’année. Si la période estivale présente des débits de plus en plus faibles, a contrario, les mois de novembre et décembre apparaissent comme plus producteursIl y a plusieurs raisons à cela : on peut penser par exemple que comme il neige moins, ce qui tombe est restitué automatiquement dans les rivières ; et dans certaines études qui sont menées en Europe, notamment dans le Sud de la France, on constate une intensité des pluies qui augmente. On observe donc une augmentation des débits maximums », indique la jeune femme. 
 
Une bascule depuis 2015
« Dès à présent, il y a déjà une modification du cycle hydrologique lié au changement climatique en Corse. Cela provoque donc des périodes de sécheresses qui ont tendance à s’allonger et à être plus sévères. Mais, cela provoque aussi une augmentation des extrêmes, c’est-à-dire qu’on a des épisodes de précipitations intenses comme le 11 juin 2020 sur Ajaccio, ou lors de la vigilance rouge en 2016 sur la Haute-Corse », appuie Patrick Rébillout. Des phénomènes qui vont aller en s’accroissant, avertit le météorologue. « 2022 a l’air de marquer un tournant pour le grand public. Mais moi qui suis cela de près, j’observe vraiment une bascule depuis l’année 2015, où l’on a connu le mois de juillet le plus chaud jamais observé. Par la suite, il y a eu des précipitations très intenses en 2016, une sécheresse très importante en 2017, et cette année on voit que l’on a eu une augmentation de la température avec 2 à 4 degrés au-dessus de la normale, tous les jours, du 1er mai jusqu’à mi-août », souligne-t-il. 
 
Sur long terme, le chef du centre météorologique de la Corse note ainsi qu’il sera nécessaire de s’adapter à ces modifications du cycle hydrologique. « Il faudra apprendre à gérer l’eau, car on aura des précipitations très intenses et ensuite quelques mois sans précipitations », signale-t-il. Reste à savoir si les écosystèmes et les forêts pourront de leur côté s’adapter à ces épisodes de sécheresse à répétition.


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