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Corse-Maroc : Mohamed Harrak, consul général à Bastia, veut aller de l'avant


La rédaction le Lundi 10 Février 2020 à 21:30

L'actuel consul général du Maroc possède, à la fois, un solide vécu au plan méditerranéen pour avoir exercé à Madrid, à Gérone ainsi qu'à Lisbonne, mais aussi une grande expérience en tant que diplomate pour avoir été deux fois conseiller au cabinet du Secrétaire Général du Ministère des Affaires Etrangères, de la Coopération Africaine et des Résidents Marocains à l’Etranger, à la Direction des Organisations Internationales et chef de service de l'Algérie-Mauritanie. Mais au-delà, Mohamed Harrak possède, également, une évidente connaissance du sol français, au sens premier du terme, pour l'avoir foulé, dans sa jeunesse en tant qu’universitaire et chercheur au Centre d’Etude et de Recherche sur la Police (CERP) de Toulouse où il a obtenu un doctorat en sciences politiques. Une expérience de vie qui a participé à forger l'homme d'ouverture qu'il est aujourd'hui.

En quelques questions il a accepté d'évoquer certains sujets.



Mohamed Harrak, consul général du Maroc à Bastia
Mohamed Harrak, consul général du Maroc à Bastia
- Vous êtes en poste à Bastia depuis octobre 2017, après un peu plus de deux ans, quel regard portez-vous sur la situation globale des ressortissants marocains en Corse ?
- Les ressortissants marocains en Corse participent activement dans tous les secteurs de l’économie de l’ile, et enregistrent une importante diversification sociale, il y a de simples ouvriers agricoles, mais également des ouvriers qualifiés dans le secteur du bâtiment et des services en particulier, des contremaîtres, des entrepreneurs du bâtiment, des professions libérales, des cadres moyens, des techniciens et des détaillants. Cette diaspora constitue, avec d’autres, un levier de développement et de croissance en Corse. Elle est aussi un réel potentiel de solidarité pour le Maroc. Les Marocains de Corse, gardent des liens étroits avec leur pays d’origine. C’est le cas notamment de certains acteurs associatifs, j’évoquerai ici à titre d’exemple Mourad Maabich, Miloud Mezgati, Ali Krimi et Soumia Chakroune qui font un travail formidable aussi bien en Corse que dans leur pays d’origines. En corse, l’effort effectué par ces acteurs associatifs est diversifié, il a en particulier un caractère sportif, culturel, associatif et humain. Chacun excelle dans son domaine respectif. Au Maroc, ce travail s’articule pratiquement autour de différentes activités : appui au développement, à la santé, à l’envoi de fonds pour restaurer des équipements collectifs comme le creusement de puits ou la restauration des écoles. Les Marocains de Corse sont aussi des sportifs de haut niveau, des champions leaders dans différentes disciplines sportives, automobile, athlétisme et sport de combat. Malheureusement de ces Marocains qui ont réussi nous parlons peu, nous préférons parler de ceux qui ont sombré dans la violence et la haine. Il serait temps de mettre en avant ces gens qui ont réussi pour donner de l’espoir à une jeunesse souvent désemparée.

- Il y a quand même de nombreux points communs entre la Corse et le Maroc avec des liens historiques qui ne datent pas d'hier ?
- Comment oublier ces liens alors que plus de 200 tombes de combattants marocains morts pour la Corse sont là pour nous le rappeler tous les jours. Il n’est pas anodin de le rappeler, n’en déplaise à certains, que si la Corse a été le premier département français libéré, c’était grâce en grande partie au sacrifice des combattants marocains qui se sont confrontés aux troupes de choc allemandes. Et à ce propos j’aimerais profiter de cette occasion pour remercier et saluer tous ceux qui ont aidé de près ou de loin à garder en mémoire ce sacrifice surtout après certaines ridicules tentatives ayant pour but de réduire en second degré le rôle décisif joué par les tabors et les Goumiers marocains dans cette libération. S’agissant d’une période électorale, je ne vais pas donner de noms, mais qu’ils soient tous vivement remerciés. C’est également l’occasion de rappeler que sur la stèle de commémoration de Teghime, aussi surprenant que cela puisse paraitre, le nom du Maroc n’y figure point !
Les Marocains ont également un regard nostalgique sur la Corse. Ils gardent à l’esprit les sacrifices de la famille royale et son exile en terre corse en 1953 et l’accueil chaleureux qu’elle a reçu par la population locale. Plus loin, en remontant l’histoire, les Marocains se rappellent toujours que l’une de leurs impératrices Lalla Dhâwya, née Marthe Franceschini, épouse d’un des grands sultans de la Dynastie Alaouite Sidi Mohamed Benabdellah était Corse. Cette grande Dame, enterrée à la ville de Larache au nord du Maroc, a joué un grand rôle dans la gestion des Affaires publiques intérieures et extérieures du Maroc vers la fin du 18ème siècle.
 

- Pourtant ?
- Malgré ces liens historiques et bien que des milliers de Marocains résident en Corse, étant le premier groupe d'étrangers, l'ignorance des Corses de la culture et les modes de vie des Marocains est effarante. Il faut dire qu’il y a comme une résistance mutuelle entre les deux groupes qui rend la pleine compréhension difficile, or, il existe entre les deux communautés qui vivent dans le même espace mais se tournent malheureusement le dos de réels points de similitude. C’est même très rare de trouver autant de points communs entre deux peuples. Les uns comme les autres doivent comprendre que le fait de préserver sa culture tout en reconnaissant à l’autre le droit de garder la sienne ne peut en aucun cas être une entrave à vivre harmonieusement en communauté. 
 
- Posséder sa culture, mais aussi connaitre l'autre c'est, selon vous le meilleur moyen d'éviter toutes les dérives ?
- Effectivement, l’incompréhension et la peur de l’autre proviennent toujours du cloisonnement et du chauvinisme, alors qu’en réalité lorsque vous visitez des villages au fin fond de la campagne corse, vous trouvez presque les mêmes habitudes que dans le Maroc profond. C’est juste pour vous dire que nous n’avons pas beaucoup d’effort à faire pour vivre ensemble en paix et quant à la peur que suscite la religion musulmane, elle n’est vraiment pas fondée, car à aucun moment de l’histoire, l’Islam qui vient du mot paix n’a constitué une menace pour les non-musulmans, d’ailleurs, l’époque de la présence musulmane en Andalousie est donnée comme un exemple de la parfaite cohabitation entre les trois religions monothéistes. Quant à ce qui est appelé terrorisme islamique, il a fait plus de victimes coté musulmans.
Nous parlons cependant toujours des Marocains qui se sont installés en Corse et nous oublions de parler des Corses qui sont installés par milliers au Maroc et qui s’y plaisent malgré leur attachement à leur terre d’origine, parce que justement tout au Maroc leur rappelle la terre de leurs ancêtres. Et de nombreux corses du Maroc que je rencontre ou qui viennent me voir régulièrement excluent toute possibilité de quitter le Maroc pour une autre destination.


- Il y a donc un va et vient continu entre le Maroc et la Corse, nous avons entendu dire qu’Il vous tient à cœur de remettre au goût du jour les transports entre l'île et le Maroc :  où en sommes-nous aujourd'hui et surtout, qu'est-ce qui motive cette volonté de rétablir ces liaisons que ce soit au plan aérien et maritime?
- Je trouve aberrant que pour aller au Maroc par avion ou par bateau, d'avoir toujours à passer par plusieurs escales, et donc une perte de temps énorme, ce qui est décourageant. C’est l’occasion de vous dire qu’en collaboration avec l’Ambassadeur de Sa Majesté le Roi à Paris, nous avons relancé depuis le mois d’avril 2018 un projet d’ouverture d’une liaison aérienne entre Bastia et la ville de Fès au Maroc. Nous avons eu plusieurs réunions de travail avec les autorités corses concernées et plus particulièrement avec le Directeur de l’aéroport de Bastia Pierre Vincentelli qui est très motivé sur ce sujet, pour expliquer tous les avantages à tirer de la mise en œuvre d’une telle initiative. Il semble qu’il y a un consensus sur ce projet dont la réalisation ne pourrait être que bénéfique aussi bien pour les Marocains que pour les Corses sur le plan économique, et plus particulièrement au niveau humain à travers le rapprochement du Maroc aux Résidants marocains en Corse et aux Corses eux-mêmes dont un grand nombre réside au Maroc en leur offrant un vol direct avec le Maroc au lieu de passer par plusieurs escales.
Un autre facteur favorise la création d’une telle ligne qui est la promotion du tourisme. Les Corses seraient intéressés par une destination comme Fès et sa région qui est également proche de toutes les autres villes impériales et par la même occasion faire découvrir la Corse aux Marocains.


 - Y’a-t-il des études sur la faisabilité de ce projet ?
- En effet, il y a une étude commandée par la Chambre de Commerce et d’Industrie Territoriale de Bastia et de la Haute Corse qui va dans ce sens. Nous attendons uniquement la réponse du Ministère du Tourisme marocain qui dispose de gros moyens pour assurer une large publicité, pour lancer ce projet.


- Et pour ce qui concerne la liaison maritime ?
- Dès ma prise de fonction à la tête du Consulat Général du Royaume du Maroc à Bastia, j’ai adressé un courrier aux autorités du port de Bastia pour leur proposer mon soutien à la réalisation d’une liaison maritime entre la Corse et le Maroc, j’ai reçu quelques mois plus tard une réponse du Président du Corsica Ferries m’annonçant que le projet était en étude, mais plus rien après. 


 - Pourtant cette liaison maritime est plus opportune que jamais ?
- En effet, la Corse dépend actuellement pour son ravitaillement entièrement des ports continentaux. Les grèves à Marseille, paralysent l’économie insulaire et ça devient même une question de survie. Comme vous l’avez certainement constaté il y a quelques jours, la plupart des rayons des supers marchés ont commencé à se vider de leurs marchandises, il y a même eu une pénurie de certains produits. Or, des liaisons maritimes avec le Maroc libèreraient l’économie corse des aléas sociaux et auraient un impact positif sur la vie des Corses. Beaucoup de produits dont a besoin la Corse pourraient venir du Maroc ce qui conduira certainement à baisser le prix pour le consommateur ; et puis vous savez il y a beaucoup de produits alimentaires et autres qui viennent du Maroc, mais un bateau de marchandise n’a aucune raison d’aller jusqu’à un port continental, décharger sa marchandise, pour qu’elle soit rechargée de nouveau avec tout ce que cette opération comporte comme charges supplémentaires  qui contribuent à la cherté de la vie en Corse sans oublier l’impact négatif sur l’environnement.
 
A ce propos, le Maroc est connu pour son artisanat, pourtant en Corse il est pratiquement introuvable. Y’a-t-il dans vos projets d’avenir d’organiser un évènement qui fera à la fois connaitre les produits artisanaux marocains en Corse et vice versa ?
- Pas plus tard que la semaine dernière j’ai reçu à mon bureau le Président de la Chambre Régionale de Métiers et de l'Artisanat, Jean-Charles Martinelli, pour concrétiser prochainement un projet de ce genre. Nous sommes aussi en contact avec la Chambre d’artisanat de Fès dont le Président viendra le mois prochain en Corse et il y aura certainement une convention à signer entre les deux parties qui sera un prélude à l’organisation d’une grande exposition des produits de l’artisanat marocain en Corse accompagnée de cours d’apprentissage pour initier de jeunes Corses dans ce domaine.

Outre les échanges économiques vous avez, dans le même temps, la volonté de développer les échanges artistiques et culturels entre la Corse et le Maroc. Quelles seront les actions dans ce domaine et quels sont les projets à plus long terme ? 
Cette année le Maroc sera l’invité d’honneur aux « Rencontres Musicales de Méditerranée » organisées chaque année, depuis vingt-deux ans par l’Association des jeunesses Musicales de Méditerranée, il s’agit comme vous le savez d’un événement musical rassemblant pendant une semaine, des musiciens, artistes et personnalités musicales des pays du pourtour méditerranéen.
A cette occasion, et afin de pérenniser les échanges artistiques et culturels entre nos deux communautés nous souhaiterions avec l’aide du Ministère de la Culture marocaine que le Maroc soit représenté par un groupe musical de qualité pour faire découvrir la richesse musicale de notre pays.
 
Et une semaine culturelle marocaine en Corse serait-elle possible ?
- Nous travaillons d’arrache-pied pour réaliser ce grand projet. Nous avons grand espoir que le ministère marocain de la Culture, avec lequel nous sommes en contact à ce sujet, puisse répondre à ce besoin car lorsqu’on connait la culture de l’autre et qu’on se rend finalement qu’elle est proche de la sienne on arrête de le craindre. Et ce qui est valable pour la culture l’est aussi pour ce qui concerne la religion. Le musulman est craint parce qu’on le voit prier dans les rues, dans des garages lugubres, ce qui donne l’impression qu’il est en train de comploter contre la communauté.

- Un sujet important, il y a en Corse treize lieux de culte répartis sur toute l'île, mais aucune mosquée, vers quelle solution s’oriente-t-on ?
​- Vous avez touché la un problème très épineux. En effet, il existe 13 lieux de culte gérés par les Marocains, mais il s’agit pour la plupart de locaux exigus, insalubres et non compatibles avec les normes de sécurité et les normes architecturales musulmanes marocaines. Quant à la gestion de ces lieux, à quelques rares exceptions, elle est catastrophique. Elle se caractérise par un archaïsme déconcertant et une rivalité où tous les coups sont permis. 
Plusieurs obstacles obstruent toute possibilité de gérer comme il se doit la plupart de ces lieux de culte et plus particulièrement l’incompétence des acteurs sociaux marocains qui gèrent ces lieux. C’est le cas notamment des responsables de l’association Union des Marocains de Bastia qui gère les deux lieux de culte musulman à Bastia. En 2015, l’UMB comptait 765 adhérents, il n’en reste plus que 2 personnes : le président et le vice-président !
Cela parait incroyable mais  c'est vrai. Pour essayer de relancer une dynamique collective et faire renaitre l’espoir au sein de notre communauté à Bastia et détendre une lourde atmosphère qui ne présage rien de bon, j’ai invité en octobre dernier les membres du bureau de l’UMB à une réunion pour essayer d’arriver à une solution collégiale. Seuls 3 personnes se sont présentées : les deux responsables et le trésorier qui a entretemps déposé sa démission. A la question de savoir où est passé le reste des membres, la réponse du vice-président était cinglante : « ils sont tous partis, il ne s’agit que d’un ramassis de parasites ». Nous leur avons quand-même demandé d’organiser une réunion publique ouverte où tout le monde serait convié. Contre toute attente, ils ont refusé cette réunion allant jusqu’à proférer des menaces contre le Consulat Général du Maroc. Des menaces qui n’ont pas été prises au sérieux évidement, parce que nous savons que c’étaient des paroles provenant de deux personnes aux abois.
 
Cependant, pour limiter les dégâts, et dans un souci de protéger les intérêts de nos concitoyens, j’ai mené des entretiens à ce sujet avec les autorités et certains élus pour les éclairer sur la situation. J’ai pu constater que ces derniers, pour la plupart, étaient bien informés sur la condition tragique de l’UMB, mais évitent de s’en mêler car il s’agit pour eux d’une affaire maroco-marocaine.
 
- Mais ce n’est-ce pas un peu délicat pour les autorités et les élus de s’immiscer dans des affaires de ce genre ?
- Au contraire, c’est le devoir de chacun y compris du mien d’ailleurs de protéger la communauté marocaine en terre corse. Ce qui est inconcevable, c’est de laisser une affaire aussi importante que la gestion des lieux de culte aux mains des incompétents. Nous savons que le mécontentement constitue l’essence même du radicalisme. Alors travaillons ensemble pour éviter que ces lieux deviennent directement ou indirectement des sources ou des laboratoires où se fabriquent le radicalisme et l’intolérance. Et il y a de quoi s’inquiéter, car la plupart des fidèles ne s’identifient pas à la ligne de conduite imposée par les responsables de l’UMB, ce qui n’exclue pas le recours à la radicalisation. Les jeunes et les moins jeunes sont horrifiés et scandalisés par cette gestion calamiteuse, de quoi faire craindre une montée de radicalisation. 
 
- Et la solution  ?
- Comme je l’ai expliqué, j’ai mené plusieurs tentatives pour arriver à une solution surtout après un nombre incalculable de plaintes y compris de certaines personnes qui faisaient partie, jadis, du conseil d’administration de l’UMB avant de le quitter définitivement depuis plusieurs années, parce qu’on continuerait à utiliser leurs noms malgré leur départ. Malheureusement mon rayon d’action est limité car il s’agit après tout d’une association gérée par la loi française de droit privé et s’il y a quelqu’un qui pourrait agir ce sont les autorités et les élus de ce pays.
 
Je me suis focalisé sur Bastia car son problème de culte musulman je le vis au quotidien et parce que les conséquences de cette mauvaise gestion sont désastreuses pour notre communauté, d’autant plus que les deux lieux de culte sont menacés de fermeture par des arrêtés préfectoraux. Cependant, toute fermeture des deux lieux de culte doit être impérativement précédée par une mise à disposition des fidèles d’un local de substitution en attendant la construction en bonne et due forme d’une mosquée ou d’un centre culturel islamique respectant l’architecture marocaine.
 
Vous ne craignez pas une opposition de la part des autorités ou des élus locaux à un tel projet ?
Pas du tout, nous avons rencontré de la part de toutes les personnes approchées à ce sujet une étonnante ouverture d’esprit. Certes, il y a encore quelques obstacles à surmonter en vue de la réalisation d’un tel projet, mais nous avons grand espoir de venir prochainement à bout de tous les problèmes. Tout à l’heure nous avons évoqué la similitude entre les Corses et les Marocains, vous savez, nous avons au Maroc des centaines d’églises et de synagogues et ça ne nous gênent en aucun cas, au contraire nous trouvons que c’est très enrichissant sur le plan architectural c’est également le témoignage vivant d’une ouverture d’esprit et de la tolérance.


- Votre relation avec les autorités et les élus corses ?
- Une relation excellente à tous les niveaux. Certains sont devenus avec le temps de véritables amis auxquels je rends hommage ici et je profite de l’occasion pour souhaiter une bonne année 2020 à tous les Corses et une réussite aux futures élections à tous ceux qui la méritent et à tous ceux qui ont de louables intentions envers la Corse. C’est aussi l’occasion de souhaiter la bienvenue et une mission réussie au nouveau préfet de la région Franck Robine.