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Corse : 230 millions d'investissement d'ici 2030 pour les besoins en eau agricole


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Mercredi 6 Décembre 2023 à 17:00

Mardi 5 décembre, la Chambre régionale d’Agriculture présentait les résultats d’une concertation, lancée au mois de juillet, sur les besoins en eau de l’agriculture corse et leur évolution à dix ans : une étude très attendue, réalisée à la demande de l’État et de la Collectivité de Corse, dans l’optique notamment de mieux dimensionner les investissements futurs.



Document CNI
Document CNI
C’est devant une salle attentive de représentants des filières, techniciens et experts du monde agricole que Julien Berges, chargé de mission Irrigation à la Chambre d’Agriculture de Haute- Corse, a exposé les résultats de l’étude qu’il a menée durant l’été 2023 : deux questionnaires, l’un pour les filières animales, l’autre pour les filières végétales, comportant une trentaine de questions, qu’il avait construits avec l’appui de Sandrine Suissa, chargée d’études économiques et de la communication à la Chambre régionale, ont été administrés auprès de l’ensemble des onze filières agricoles de Corse, des bovins aux équidés, du fourrage à l’arboriculture, à la castanéiculture ou à la viticulture…

Difficultés d’accès à l’eau, niveau de qualité requis et problèmes rencontrés, coût et tarification, besoins actuels et futurs, matériel utilisé pour l’irrigation, besoins en formation ou en accompagnement, problématiques de recherche… de nombreuses thématiques étaient abordées. « Nous avons obtenu 100 % de retours », explique Julien Berges. L’enjeu était important et l’exhaustivité des réponses indispensable.  Aussi, les deux enquêteurs n’ont-ils pas hésité à relancer les retardataires. Pour analyser ces retours, ils ont également travaillé avec l’ODARC et l’Office hydraulique, échangeant sur différentes données, les croisant pour vérifier vraisemblance et cohérence des informations. « La DRAFF nous a aussi transmis des statistiques », précise Julien Berges. Un gros travail, mais le résultat est là : un état des lieux et des perspectives très détaillés, par filières, qui fera également l’objet d’un document papier.

L’eau qui va à la mer…
« On retombe sur des chiffres importants de consommation, c’est clair. Mais c’est pour produire des denrées alimentaires vitales pour la Corse », explique le chargé de mission. En 2023, 2 millions de m3 d’eau ont été nécessaires pour le seul abreuvement des animaux. Et 56 millions pour l’irrigation. Mais ce n’est qu’“une goutte… d’eau !”, rapportés aux 8 milliards de m3 de précipitations annuelles sur l’île : moins de 1 % du total. Le problème, comme le souligne Martin Baghioni de la Chambre d’Agriculture de Corse du Sud en charge des projets hydrauliques, c’est qu’il existe toujours des zones dépourvues de possibilité d’irrigation : « On voit passer l’eau devant nous et on ne peut pas s’en servir : elle va à la mer ! ». En réalité, les capacités de stockage totales de l’île s’élèvent actuellement à 110 millions de m3, dont seulement 67 sont mobilisables en eau brute agricole.


Des problématiques à prendre en compte
Et c’est bien l’une des problématiques majeures que fait ressortir l’étude : l’accès à l’eau, avec les trois secteurs difficiles que sont les zones montagneuses – sources taries et fontaines qui ont cessé de couler –, mais également la Plaine orientale – actuellement le secteur le plus consommateur, avec 40 millions annuels de m3 – et la Balagne. Une problématique qui illustre la nécessité de trouver à la fois de nouvelles ressources en eau et des solutions pour mieux la stocker, avec du matériel adapté, en particulier pour l’élevage. Le travail souligne également l’impact de la qualité de l’eau sur certaines productions comme le maraîchage ou l’arboriculture ; mais aussi dans le monde de l’élevage, le taux de chlore et le ph étant susceptibles de perturber le système digestif des animaux, avec un impact sur la qualité du lait et sur son volume. Ainsi, la qualité de l’eau paraît « essentielle » à 70 % des filières. Si les systèmes d’irrigation actuels semblent plutôt adaptés aux besoins de la profession, les agriculteurs sont moins satisfaits des outils de pilotages, sondes et autres capteurs. Une insatisfaction à laquelle l’une des deux tables rondes organisée en fin d’après- midi sur le thème de l’irrigation, avec Laurent Huet de la société NETAFIM, leader mondial de la micro-irrigation, Jean-Mathieu Corteggiani de l’ODARC et Laurent Julhia de l’INRAE, a apporté un éclairage, rappelant qu’il n’existait pas de recette miracle du fait de la complexité des phénomènes en jeu et des facteurs qui interviennent. « Ce sont des outils d’aide à la décision, explique Laurent Huet, qui ne remplacent pas la connaissance que le producteur a de ses plantations. Chacun fait son propre itinéraire. Il faut revenir aux fondamentaux de l’agriculture, remettre l’agronomie et l’observation au centre. » La nature du sol, le fait qu’il soit ou non préalablement travaillé, la température… interfèrent.

Et le stress hydrique bien maîtrisé, rappelle Laurent Julhia, peut également avoir des effets bénéfiques : il contribue par exemple à donner un peu d’acidité aux clémentines. La dimension proprement économique n’était pas non plus oubliée, avec une réflexion sur le prix de l’eau, essentiel pour la survie des exploitations, et l’importance qu’il y a à faire un calcul économique global, intégrant les impacts de certaines techniques sur les besoins de main-d’œuvre.

Des projections sur l’année 2033
Au-delà de la description de l’existant, l’étude s’est attachée à simuler les besoins à échéance 2033. Cette simulation s’appuie sur les prévisions d’évolution d’activité transmises par les différentes filières : un maintien des effectifs actuels du bétail et une augmentation conséquente des surfaces irriguées pour les filières végétales : plus de 2 000 hectares, fortement concentrés sur la Plaine orientale, et dont 300 correspondent à la restauration de vergers anciens plantés d’oliviers. Cette évolution conduit à une augmentation du volume d’eau nécessaire évaluée à 10 M3. Un chiffre qu’il faut encore revoir à la hausse pour tenir compte du changement climatique : donc au total, un volume nécessaire qui se situerait entre 68 et 70 m3 par an, et qui pourrait monter à 90 m3 les années de grande sécheresse, avec une transformation également des zones sur lesquelles il sera possible de cultiver.

Document CNI
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Avoir un projet pour la Corse
Le Président de la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse, Joseph Colombani, qui participait à la deuxième table ronde sur le stokage et la distribution de l’eau aux côtés du Directeur de l’Office Hydraulique, Ange de Cicco et de son conseiller Ludovic Achilli, a salué à la fois le travail accompli et la volonté des agriculteurs et des filières qui en émergeait. « Les agriculteurs ont joué le jeu, pour que l’on connaisse les consommations, et ils ont accepté d’en payer le prix. C’est une révolution dans les mentalités. Pour que l’on puisse organiser un avenir réfléchi, concerté, entre les besoins définis par les filières et ceux définis par le politique. Car cette somme des visions particulières ne constitue pas l’intérêt général. Celui- ci doit être défini par une politique de l’exécutif qui représente le peuple », rappelant ici l’objectif de parvenir à l’autonomie alimentaire, tout en renforçant les filières d’exportation : agrumes et vignobles, notamment, « qui marchent bien et dont il est hors de question de se priver. D’autant qu’il est important d’équilibrer notre balance commerciale, de créer de l’emploi et de la richesse au niveau local, sans parler de diminuer l’empreinte carbone… » Pour atteindre cet objectif, « l’eau est un élément indispensable, a insisté Joseph Colombani. Et il se trouve que la Corse en a. Avec 8 milliards de m3 annuels, on est bien placé. Ça doit faire partie d’un projet global, discuté dans une confiance retrouvée avec les décideurs. On est là pour mettre en œuvre ce qui a été décidé, faire remonter les besoins et assurer l’interface entre les décideurs et les agriculteurs, sitôt les décisions prises : il faut un projet pour la Corse, avec un vrai contenu, pour assurer la richesse et le travail à nos enfants. 70 % de nos terres ESA sont sous exploitées. Tout converge, avec l’école d’ingénieurs agronomes créée à Corti … Pour avancer, il faut parier sur cette intelligence collective et une volonté un peu patriotique… »

230 millions d’investissement annoncés
Les planètes s’aligneraient-elles ? Le Directeur de l’Office Hydraulique rappelant que le rôle de l’OEHC était de « venir en soutien au monde agricole », a précisé que la feuille de route à lui confiée par le Conseil exécutif était « de rattraper le retard en matière de stockage. » Il a annoncé que 230 millions d’euros d’investissements étaient prévus d’ici 2033, précisant que des projets d’envergure étaient à l’étude. « Nous allons effectuer un premier rattrapage infrastructurel, pour augmenter la capacité de stockage de 12 millions de m3, adossés à 5 millions de m3 d’économie d’eau par an ». Des économies qui s’appuieront sur le changement des pratiques, le milieu agricole se professionnalisant de plus en plus, avec de jeunes agriculteurs qui, plus sans doute que ça ne se faisait avant, gèrent leur exploitation comme une entreprise, sont sensibilisés au changement climatique et mettent en œuvre les techniques nouvelles. Par ailleurs, il a affirmé la volonté de l’Office hydraulique de réduire le coût de revient de l’eau.