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« Contre l’oubli et l’indifférence »: le quotidien de Pitrina Govi-Mattei auprès des migrants


Philippe Jammes le Jeudi 11 Novembre 2021 à 19:05

Pitrina Govi-Mattei œuvre en bénévole au Réseau Education Sans Frontières et aussi au Secours Populaire à Bastia. Les migrants, elle les côtoie au quotidien en Corse depuis 10 ans. Son livret* est un recueil de témoignages, entre 2012 et 2021, de ces personnes souvent mal vues par la population. Des témoignages poignants de personnes aux destins tragiques ou heureux. Les droits d’auteur du livre seront reversés à l’association SOS Méditerranée. CNI a rencontré l’auteure.



Ce problème des migrants vous le côtoyez depuis plus de 10 ans ?
- Effectivement cela fait plus de 10 ans que je m’occupe des migrants, des sans-papiers. Je travaille au quotidien pour essayer de leur trouver, de leur procurer une vie décente. Aujourd’hui je constate qu’il y a beaucoup d’indifférence voire même un rejet de ces êtres humains. Il y a un racisme qui se développe de plus en plus.  


- Qui sont ces migrants qui viennent en Corse ?
- La plupart viennent du Maghreb. De la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc. Ce sont des gens qui fuient leur pays où règne une politique répressive, avec un système dictatorial. Des pays riches grâce à leur ressources mais où règne la famine, où le chômage explose. Pour eux c’est presque une survie de quitter leur pays car chez eux ils n’ont plus d’espoir, surtout chez les jeunes. Mais il y a aussi des migrants qui viennent d’Afrique de l’ouest. De pays comme le Mali, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou la Guinée. Des pays qui pourtant exploitent des gisements d’or ou de bauxite, des pays à revenus mais aux populations pauvres, des pays livrés par leurs dirigeants aux multinationales. Ces migrants sont souvent des femmes, seules ou avec leurs enfants, voire aussi des enfants seuls qui sont envoyés à l’étranger par leur famille pour les sauver de la misère.


- Aujourd’hui les migrants semblent mal vus par une majorité de la population française  …
- Oui, hélas car beaucoup de gens font l’amalgame avec les immigrés qui sont souvent à l’origine de violences, qui vivent dans la délinquance. Pour  beaucoup de gens la différence est mince entre migrants, immigrés. Il est certes reconnu qu’au milieu des migrants qui fuient leur pays pour échapper à la misère se faufilent d’autres personnes mal intentionnées. Sans parler de terroristes qui sont encore à part car eux ont d’autres filières pour entrer en France et beaucoup plus rapidement. Aujourd’hui il faut que les gens réfléchissent aux raisons qui poussent les migrants à venir ici. En 10 ans je n’ai jamais eu de terroristes parmi les migrants dont  je me suis occupé et aucun n’a mal tourné.   


- Justement, filière il y a ?
- Les filières existent. Mais il faut savoir qu’avant qu’un migrant ne débarque en Corse, il se passe souvent plusieurs années. Le périple est long, parfois très long  pour arriver en Corse. Certains sont abandonnés en route et doivent trouver des solutions pour s’en sortir. Il y a des morts, des morts d’enfants. Pour les passeurs ce n’est qu’un business.


- Vous parliez de racisme, à l’instant…
- On entend hélas beaucoup de slogan comme les Fora par exemple. Mais aujourd’hui ce qu’on doit pointer du doigt ce sont les multinationales qui créent ces migrants. C’est au système hypocrite qu’il faut s’en prendre. Un système qui pique des milliards grâce aux dictatures qui sont en place et qui sont en liaison avec les multinationales.


- Ce livre se veut une explication de texte ?
- Par ce livre je veux déjà dénoncer l’indifférence et le rejet. Quand  ces migrants arrivent en Corse, ils n’ont rien, ce sont des sans-papiers et cela favorise une sorte de néo esclavagisme et le travail au noir. Très peu d’employeurs proposent de vrais contrats de travail. On privilégie les saisonniers car ainsi il n’y a pas de régularisation. Ce livre veut réveiller les consciences. On doit se mobiliser, à travers des associations faire pression sur les élus. Il faut que les communes réagissent. Il y a quelques années, sous la présidence de Dominique Bucchini, une motion proposée par le Réseau Education Sans Frontières, une motion intitulée Corse, terre sans expulsion,  avait été adoptée par l’Assemblée de Corse. Aujourd’hui, la CdC peut très bien intervenir dans ce dossier des migrants, elle en a le pouvoir.


- Votre travail au quotidien ?
- J’essaye déjà de leur trouver un hébergement légal, des promesses de travail. Ensuite nous montons des dossiers. Ce travail est devenu de plus en plus compliqué car les lois françaises sont de plus en plus restrictives. On a de plus en plus de mal à obtenir des rendez-vous, d’entrer en contact avec du personnel en préfecture car il y en a de moins en moins au service étranger. La politique de l’Etat met un frein à toutes ces demandes. Et les délais d’attente sont très longs.


- 12 migrants témoignent dans ce livre, combien aujourd’hui sont sortis d’affaire ?
- Sur les 12 cités dans ce livre, 50% ont pu s’en sortir. Les autres continuent de galérer ou sont repartis. Ces témoignages qui évoquent le parcours migratoire de femmes, d’enfants, d’hommes doivent servir à redonner de l’humanité à celles et à ceux qui ont connu les rejets et la misère. Où qu’ils vivent, en Corse ou ailleurs, ils ont droit à la vie et à la dignité et surtout pas à l’oubli.


- Un mot sur la couverture du livre ?
- Il s’agit d’une peinture de Stéphane Giudicelli, plus connu sous le nom de Chisa, décédé en mai 2021. Je la dois à Anne-Marie Colombani. Elle m’a permis de feuilleter les œuvres de l’artiste. J’ai choisi cette œuvre intitulée L’Angoisse. Elle a ensuite demandé l’autorisation d’emprunter cette œuvre sachant que les originaux sont la propriété de la CCAS. Michel Fazzini de l’Union Territoriale Corse CMCAS/CCAS nous l’a accordée.           
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* Aux éditions Les bons Caractères.
Le livre est disponible aux librairies Alma  et A Piuma Lesta à Bastia et La Marge à Ajaccio.
 

Pitrina Govi Mattei : "Des témoignages pour dénoncer indifférence, oubli, racisme"
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