Corse Net Infos - Pure player corse

Colère des agriculteurs : un mouvement qui touche aussi la Corse


Jeanne Leboulleux-Leonelli le Lundi 22 Janvier 2024 à 19:27

Depuis des semaines, les agriculteurs d’Europe expriment leur détresse ou leur colère. D’abord en Allemagne. Aujourd’hui en France. Qu’en est-il en Corse ? Joseph Colombani, Président de la FDSEA de Haute-Corse, nous explique ce qu’il en est et annonce une mobilisation du monde agricole ce mardi 23 janvier à partir de 10 heures entre le siège de la chambre d'agriculture à Vescovato et la préfecture de Bastia



Photo Valentine CHAPUIS / AFP
Photo Valentine CHAPUIS / AFP
- Les agriculteurs manifestent leur colère sur le continent. Et il ne se passe rien en Corse…
- Ça, ça n’est pas vrai ! Déjà, ça fait des années qu’on manifeste ! Même si on n’a pas eu la même couverture nationale que celle que les agriculteurs français ont aujourd’hui, dans le contexte des élections européennes.
Et d’ailleurs demain [NdlR : Mardi 23 janvier], une mobilisation est prévue à 10 heures sur le terre-plein de la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse, point de départ, à 10h30 d’un convoi qui aboutira à la Préfecture de Haute-Corse : un convoi fait de tracteurs et de bétaillères.
Une délégation de la FDSEA de Haute Corse est attendue et sera reçue par le Préfet.
 
- Les questions de revenus, de compétitivité, de sur-administration sont les principales revendications mises en avant par le Président de la FNSEA. Est-ce la même chose en Corse ? 
- Bien sûr ces éléments-là existent aussi en Corse. Mais ici, nos agriculteurs subissent une double peine. Ils connaissent les problèmes communs aux agriculteurs européens. Mais s’y ajoutent des problématiques très spécifiques à notre île.
 
- Quelles problématiques ?
- Nos problématiques sont liées à l’insularité, à l’éloignement, au fait que nous sommes en zone montagne. Et à des spécificités historiques : avec en plaine, le statut du foncier qui souffre de la spéculation, et en montagne, les problèmes de l’indivision et de l’absence de remembrement.  Il faut également citer notre retard de développement.  Nos abattoirs sont inadaptés, les marchés ne sont pas structurés, nous n’avons pas d’usine de fabrication d’aliments pour bestiaux…
Nous subissons donc des surcoûts liés à l’éloignement, alors même que la continuité territoriale devait pallier ce problème. Tout est beaucoup plus cher, le carburant, mais aussi le matériel – environ 30 % de plus que sur le continent ! Également l’alimentation animale : par exemple, la même céréale que l’on trouve à 200 euros la tonne sur le continent, arrive ici à 440 euros !
Vous citez la sur-administration. Mais ce n’est même pas tant ça le problème ! En fait, c’est à la fois l’existence de normes qui ne sont pas adaptées à la réalité du terrain, et le fait que l’administration de contrôle les applique avec un zèle tout à fait abusif.
 
- Qu’entendez-vous par là ?
- Ces normes, déjà, d’une façon générale, ne sont pas adaptées aux agriculteurs européens. Mais c’est encore plus vrai pour la Corse. S’ajoute à cela des pratiques contestables, notamment de l’ASP – Agence des Services et de paiement. C’est en effet l’ASP qui réalise les contrôles des agriculteurs et met en paiement les aides. Or, dans certains cas, ces contrôles sont pratiqués par une autorité judiciaire : des policiers spécialisés réalisent des enquêtes approfondies. Bien que le juge décide d’arrêter toute poursuite contre l’exploitant agricole, l’ASP s’obstine à refuser de lui verser les aides ! Dans un autre cas, une agricultrice, en plein contrôle, trébuche et tombe lourdement sur le crâne. Suite à sa blessure, le contrôle est stoppé. Quelques jours après, l’ASP transforme cet accident en refus de contrôle, supprimant toutes les aides et demandant l’application de pénalités. Je pourrais multiplier les exemples… En fait, cela tient à un individu, au niveau de la Direction parisienne de l’ASP, qui se dit ouvertement anti-corse.
 
- Y a-t-il d’autres problématiques ?
- Oui, il faut également parler du sanitaire, avec les problèmes réguliers que nous rencontrons devant les maladies opportunistes comme récemment l’épizootie de fièvre catarrhale, et les conséquences du changement climatique.
Nous voulons de véritables moyens pour nous protéger de l’extérieur. Être plus réactifs. On parle beaucoup de réarmement en ce moment : et bien, nous voulons réarmer la capacité sanitaire en Corse !
Quand sur le continent, l’État supprime – pour des raisons tout à fait légitimes pour la santé humaine – des produits phytosanitaires destinés à lutter contre les maladies, il réalise des investissements sur la recherche pour développer la lutte biologique à partir de prédateurs naturels, par exemple. Mais la Corse ne bénéficie pas des résultats de cette recherche, parce que le respect de notre biodiversité interdit l’introduction de ces auxiliaires de culture sur l’île.  Il faut donc développer la recherche localement, en Corse, pour pouvoir produire sans utiliser de produits chimiques. Cela fait partie de nos revendications.
 
- Qu’est-ce que vous attendez de cette journée de mardi ?
- Nous pensons que dans ce contexte de mobilisation, de revendication d’une agriculture plus productive et plus proche du monde rural et de l’économie de ce monde rural, il va y avoir des évolutions positives. Et nous, nous voulons faire entendre notre voix, à la fois commune et spécifique… et obtenir gain de cause. Ça fait des années que nous nous battons pour que la Corse soit une terre de production allant vers une autonomie alimentaire, qui assure un revenu décent aux agriculteurs et soit, en même temps accessible à toutes les bourses. On veut faire entendre notre voix… et également nos propositions ! Parce que nous en avons !
 
- A propos “d’autonomie”… Préfet et Président de l’exécutif corse ont, tous les deux, souligné que l’année 2024 serait cruciale pour le processus d’autonomie. Y a-t-il une dimension concernant l’agriculture dans ce processus ? Et tous les agriculteurs corses seront-ils impactés ?
- Effectivement, à la demande du Président de l’exécutif, nous travaillons activement en ce moment à l’élaboration d’un volet agricole. Nous pourrons en reparler d’ici quelques semaines.
Si l’exécutif et l’État vont sincèrement vers un processus d’autonomie, en prenant en compte la nécessité d’avoir un développement endogène, pensé pour la Corse, au service de la Corse, nous pourrons élaborer des normes adaptées à ce développement choisi pour la Corse. Car c’est bien ça le principe de l’autonomie : des décisions prises localement, au service d’un contexte local.
 
- L’Europe ne risque-t-elle pas d’empêcher qu’on puisse faire valoir une production locale spécifique dans le cadre d’une économie locale ?
- Soyons sérieux : ce n’est pas le faible volume de la production corse qui risque de déstabiliser le marché européen. Ainsi, je pense qu’on doit pouvoir discuter avec eux…