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Castellu-di-Rustinu : les merveilleuses fresques de la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia restaurées


Nicole Mari le Dimanche 20 Février 2022 à 13:08

La Collectivité de Corse a inauguré, vendredi matin, en présence notamment de l’évêque de Corse, des élus locaux, des restaurateurs et des habitants, la réhabilitation de la très belle Chapelle San Tumasgiu di Pastureccia sur la commune de Castellu-di-Rustinu. Classé monument historique en 1927, l’édifice du 15ème siècle abrite l’un des plus remarquables décors à fresques polychromiques de l’île, notamment une représentation monumentale du Christ en majesté, le jugement dernier, et une scène de l’enfer ou du purgatoire, exceptionnelle, véritable trésor du patrimoine insulaire. Cette opération clôt le vaste programme de sauvegarde des chapelles à fresques, cofinancé par l’Etat.



Les fresques de la chapelle  San Tumasgiu di Pastureccia sur la commune de Castellu-di-Rustinu en Haute-Corse. Photo Christian Andreani..
Les fresques de la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia sur la commune de Castellu-di-Rustinu en Haute-Corse. Photo Christian Andreani..
C’est un petit édifice qui, extérieurement, ne paye pas de mine. Il s’élève sans prétention, à demi encerclé par les tombes du cimetière de Pasturecciu, sur un promontoire de la commune de Castellu di Rustinu, juste en face de l’éperon rocheux où l'on devine les vestiges du fameux Castellu di u Pinzu qui surplombent la vallée du Golu. Il passerait inaperçu, caché derrière d’énormes cyprès, s’il l’on ne prenait garde à la pancarte indiquant Chapelle San Tumasgiu. Ce qui semble à première vue un bâtiment anodin est, en fait, la plus ancienne église médiévale de Corse dédiée à Saint Thomas - San Tumasgiu - et datée de la fin du XVe siècle. Et ce n’est qu’en franchissant le seuil que l’on comprend pourquoi elle a été classée par les Monuments historiques le 10 février 1923. L’intérieur, simple et nu, recèle de merveilleuses fresques, monumentales et polychromiques, parmi les plus belles de Corse, représentant notamment, dans l’abside, un monumental Christ en Majesté entouré d'anges et du Tétramorphe - les quatre évangélistes et leurs symboles - l'Annonciation et Saint Michel sur l’arc triomphal. Sur les parois, des scènes de la Passion, des figures de Saints, et surtout une scène de l’Enfer ou, selon les avis, du Purgatoire. C’est la seule représentation de ce type dans l’île, ce qui en fait un trésor du patrimoine insulaire. Et c’est avec une émotion visible et partagée qu’a été officiellement consacrée, vendredi matin, sa réhabilitation, en présence d’un parterre de personnalités politiques, ecclésiastiques et civiles, notamment l’évêque de Corse, Mgr Bustillo, l’archiprêtre de Calvi, l'abbé Ange-Michel Valery, le diacre Pierre-Jean Franceschi, la présidente de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis, la conseillère exécutive en charge de la Culture et du Patrimoine, Antonia Luciani, le maire de la commune, Frédéric Soustre, la vice-présidente de la ComCom Pasquale Paoli, Cathy Cognetti-Turchini, mais aussi Pierre-Jean Campocasso, directeur du patrimoine de la Collectivité de Corse, Frank Leandri, directeur de la DRAC, ou encore l’équipe de restauration.

Prêtres, élus et l'équipe de restauration à l'intérieur de la chapelle. Photo CNI.
Prêtres, élus et l'équipe de restauration à l'intérieur de la chapelle. Photo CNI.
Une restauration très pointue
C’est que la Chapelle San Tumasgiu revient de loin. En 1933, une restauration malheureuse, dont l’objectif était de refaire le toit qui s’était effondré, l’ampute d’environ un tiers de sa longueur. Les travaux, réalisés à l’explosif, dégradent considérablement les fresques. La partie disparue est envahie par le développement anarchique du cimetière. Des villageois se battent pour sa sauvegarde. C’est désormais chose faite. Le bâtiment a bénéficié du programme de sauvegarde des chapelles à fresques, impulsé et géré par la Collectivité de Corse, et cofinancé par l’Etat dans le cadre du Programme exceptionnel d’investissement (PEI). Les travaux, qui ont débuté en octobre 2020, ont, d’abord, consisté à consolider le toit et l’édifice avant de s'attaquer à la restauration des fresques, puis des façades et des sols intérieurs et extérieurs afin d’améliorer la conservation de l’édifice et des décors, et s’est achevée par la réalisation d’aménagements permettant la visite dans des conditions de sécurité. Le coût total de l’opération s’est élevé à 271 447 euros, dont 86 900 euros financés par la Collectivité de Corse (CDC). Le programme, qui a déjà permis de sauver une quinzaine d’édifices insulaires, se clôt avec l’opération San Tumasgiu et la publication d’un très bel ouvrage sur les chapelles à fresques. Comme le commente, à CNI, Pierre-Jean Campocasso, directeur du patrimoine de la CDC :

Des fresques exceptionnelles
La restauration a obéi à une doctrine stricte, précise Romuald Casier, l’architecte qui a supervisé les travaux : « La restauration s’arrête où l’hypothèse commence. On a l’interdiction de restituer des visages, des émotions, des regards qu’on a perdus. Je cherche à redonner une silhouette, à rendre intelligible l’ensemble des discours liturgiques et à ne pas aller trop loin. La vraie restauration doit s’arrêter suffisamment tôt ». Un souci d’autant plus dicté par la richesse de la composition des fresques : « Les peintures sont vraiment exceptionnelles avec une facture, des détails très fins, une scénographie et une mise en scène des personnages qui ont des regards intenses, qui dialoguent les uns avec les autres. Il y a toute une série de jeux avec des hiérarchies. On voit le Christ qui, par son mouvement de main, à la fois, bénit, - c’est son caractère religieux – et juge en tenant son livre ». Il compare les peintures à une bande dessinée narrative adressée directement à la population. « Cette église avait un double rôle religieux et politique. Elle était blanche et se voyait de très loin. À l’époque, les chapelles n’étaient jamais dans le village, mais entre les villages pour réunir les gens. Le Vatican avait peur qu’un système païen se mette en place, donc une volonté d’Ecclésia. C’était important d’un point de vue liturgique ».

La bénédiction de la chapelle par l'Evêque de Corse. Photo CNI.
La bénédiction de la chapelle par l'Evêque de Corse. Photo CNI.


Le reliquaire.
Le reliquaire.
Un reliquaire rare
La rénovation des fresques doit beaucoup à la détermination et à la persévérance de Toussaint Quilici, troisième adjoint de la commune, spécialiste de l’histoire et du patrimoine de son territoire, co-auteur de l’ouvrage « A Pieve di u Rustinu, des origines aux temps modernes, patrimoine et culture ». C’est lui qui a relancé l’opération et a été la cheville ouvrière du projet. Il a également fait, à l’intérieur de la chapelle, une découverte toute aussi exceptionnelle : un reliquaire en cire, très rare, datant du XVIe siècle. Une découverte fortuite, un peu extraordinaire : le reliquaire était enchâssé entre deux ardoises de la table de couronnement en schiste de l’autel, comme Toussaint Quilici l’explique :

Un patrimoine à célébrer
Ces trésors ont enchanté l’assistance, particulièrement l’évêque de Corse, Monseigneur Bustillo, qui, lors de la cérémonie religieuse chantée par la Confrérie San Martinu de Patrimoniu, a procédé à la bénédiction de la chapelle et à son encensement. Et n’a pas caché son admiration : « Quel bonheur d’être ici ! Quand on voit le patrimoine culturel à l’intérieur, naturel à l’extérieur, mais quelle bénédiction pour nous ! Quelle merveille ! Il y a huit mois que je suis là, je vois ce patrimoine merveilleux et je rends grâce à Dieu pour ce que nous avons. Ce patrimoine nous invite à la contemplation, à l’émerveillement, à l’élévation. Nos ancêtres ont laissé des traces magnifiques. Il faut les garder, célébrer l’art, l’architecture, la foi, l’intelligence et l’audace de nos ancêtres. A l’époque, les gens ne savaient pas lire, l’église a su parler aux fidèles à travers l’image. Quelle créativité ! Quelle pédagogie ! Il faut être vigilant pour sauvegarder le patrimoine et pour être, nous aussi, au XXIe siècle, créatifs et audacieux ».

Une mise en valeur globale
Tout aussi réjoui, le maire de la commune, Frédéric Soustre, rappelle que les habitants attendent cette rénovation depuis plus de 15 ans. Il pense déjà à l’étape suivante, la mise en valeur du site : « Nous sommes en discussion avec la Collectivité de Corse pour qu’elle rende le site accessible au public. Nous allons peut-être mettre des serrures mécaniques pour que les gens puissent contacter la commune et obtenir un code pour accéder à la Chapelle. C’est une option. Ensuite, nous avons d’autres projets pour valoriser le site qui se trouve à 500 mètres des ruines du château ». U Castellu, le fameux château médiéval du 11ème ou 12ème siècle qui a donné son nom au village. « Nous allons essayer d’aménager l’entrée, de faire un beau parking, de monter un projet et de demander des subventions aux partenaires pour mettre en valeur notre patrimoine. Il y a Ponte Novu, où il y a un projet de restauration, deux églises, trois chapelles, et puis la mère de Pasquale Paoli - Dionisia Valentini - est originaire du village… On a donc un patrimoine culturel très riche ». Inciter la population à prendre conscience de l’importance de ce patrimoine en milieu rural et à se l’approprier est, aussi, l’objectif, de la Collectivité de Corse, affirme Antonia Luciani : « Nous travaillons actuellement à un programme plus général de mise en valeur de l’ensemble de ses chapelles à fresques. Nous réfléchissons aussi à un plan d’ensemble pour les valoriser pour que la population, les scolaires et les touristes puissent bénéficier de ce patrimoine. Ce n’est pas tout de restaurer, il faut évidemment qu’on puisse donner accès à ce patrimoine notamment par de la médiation et de la transmission. C’est sur quoi nous allons devoir travailler ces prochaines années pour rendre ce patrimoine à l’ensemble du peuple corse ». Il y a de quoi faire…
 
N.M.

L'enfer ou le purgatoire ? Photo C.A.
L'enfer ou le purgatoire ? Photo C.A.