Corse Net Infos - Pure player corse

Caravelle Ajaccio-Nice : 54 ans après la tragédie, pour les familles des victimes "on tourne en rond"


Fanny Avenoso-Blanc le Jeudi 15 Septembre 2022 à 17:42

Depuis 54 ans, Mathieu Paoli se bat aux côtés de l’association des familles des 95 victimes dont il est le président pour faire éclater la vérité sur la catastrophe de la caravelle Ajaccio-Nice survenue le 11 septembre 1968. Malgré des promesses de vérité et de nombreux éléments à charge, le dossier de ce drame que la Corse n'oubliera jamais, n'avance guère, le flou demeure



Mathieu Paoli : un combat permanent pour   pour faire éclater la vérité
Mathieu Paoli : un combat permanent pour pour faire éclater la vérité
- Depuis 54 ans avec les familles des 95 victimes, vous vous battez inlassablement pour découvrir la vérité. Qu’est-ce qui vous porte ? 
- Ce que nous souhaitons c’est savoir c'est ce qui s'est réellement passé afin que les familles puissent faire leur deuil. C’est primordial par rapport aux familles et puis, par rapport à comment ils sont morts. Mais malheureusement depuis le crash de la caravelle, aucun président de la République n’a souhaité nous recevoir. Et il y avait quand même 95 personnes dans l'avion. On voit donc bien comment l'État a réagi par rapport à notre affaire : nous sommes vraiment en déphase complète par rapport au sujet.  De toute façon on le sait, on a plus de cent témoins qui accréditent cette thèse et on ne voit pas pourquoi aujourd'hui on lâcherait. Comme je le dis régulièrement, tant que je vivrai, je serai présent contre l'État, mais si jamais un jour je disparais et bien ça sera la relève, mais on ne lâchera jamais.
 
- Vous défendez la thèse d’un missile qui se serait trompé de cible, d’un accident militaire, d’un mensonge de l’État. Qu’est-ce qui vous permet de le dire ? L’État réfute votre thèse prétendant que l’avion aurait explosé sous l’impact du missile, ce qui ne serait pas le cas ? Avez-vous obtenu des informations supplémentaires pour argumenter votre thèse ?
- L'argumentation est claire. Nous avons vu sur le Zonex - une carte qui indique exactement ce qui se passe en Méditerranée le 11 septembre 1968 – que la zone d'exercice, le jour où la Caravelle est passée, avait été noircie au centre de ce document. Mais on a réussi, quelques dizaines d'années après à faire ressortir ces zones noircies et on voit bien qu'il y a des tirs de missiles parce qu’ils sont indiqués sur ce Zonex.  Par ailleurs, on a reçu un courrier de Michel Debré, le ministre des Armées à l’époque, nous disant que le champ de tir était fermé le jour du 11 septembre 1969 alors que, une vingtaine d'années, j'ai retrouvé le journal la Provence qui indiquait, ce jour-là, les heures et les endroits de tirs. 
 
- En 2012, le procureur de Nice a rouvert l'enquête judiciaire, pour dissimulation de documents et recel de preuves. Depuis rien ! Pourquoi l’État aurait-il expurgé ce dossier ? Comment expliquez-vous, 54 ans après, qu’il y ait toujours « ce mur de silence », que vous dénoncez ?
- Pour revenir à Éric de Montgolfier, quand il a lancé cette fameuse procédure, nous avions un témoin qui travaillait à la préfecture maritime de Toulon et Éric de Montgolfier m'a dit que ça serait bien qu'il soit interrogé, mais il ne l’a jamais été. Lorsqu'un jour je l'ai appelé, sa surprise a été très grande. Il m’a dit de prendre un crayon et un papier pour noter un numéro très important, mais à ce moment j'ai entendu un grand râlement et derrière je n'ai plus entendu parler de lui. J’en avais parlé avec Éric de Montgolfier en disant que je ne comprenais pas pourquoi ce témoin n’avait pas été interrogé alors que c'est lui qui avait tapé le rapport comme quoi c'était le missile qui avait tapé la Caravelle. En 2013, j'étais au tribunal de Nice pour cette affaire-là, et j’apprends que ce monsieur est mort. Il faut quand même savoir qu’il m'avait écrit un courrier en donnant des noms de responsables. Mais quand on interroge la préfecture maritime de Toulon, c'est un petit peu comme quand j'avais interrogé les archives militaires de Vincennes : le 11 septembre il n’y avait rien en revanche le 12 et le 10 on avait des éléments concernant les tirs et les manœuvres.
 
- Vous avez été reçu à l’Élysée. Le président Macron a promis en 2019 de lever le secret défense. Pourquoi ne l’est-il toujours pas ? Avez-vous des nouvelles ?
- On a été reçu par Patrick Strzoda, il y avait Josiane Chevalier la préfète de Corse à l’époque et les pointures juridiques et militaires de Macron qui étaient présentes à cette réunion. J'ai déballé le dossier, j'ai tout expliqué et il y avait énormément d’éléments que les pointures de Macron ne connaissaient pas du tout. J'ai expliqué tout ce que je présentais parce que je sais quand même d'où ça vient. Maintenant je ne cache plus rien aux journalistes qui me demandent des éléments.
 
Et puis, nous sommes allés aux archives contemporaines de Fontainebleau parce qu’une personne qu'on connaissait un jour y était allée faire des recherches personnelles et a trouvé deux cartons accident Caravelle Ajaccio-Nice. Il nous a contactés et il y avait 2200 documents ! On a fait 500 photos. À l'intérieur des documents il y avait des photos qui ont été prises sur des photos et sur des éléments repêchés, mais jamais en surface. Et puis, à l’intérieur de ces photos, il y avait des lettres qui étaient des transferts de communication entre l'Élysée, les ministères et la commission d’enquête et on retrouvait des éléments, chacun secret ou confidentiel défense, mais qui parlaient plus ou moins de ce tir de missile.
 
 
- L’ex-ministre des Armées a prétendu qu’il n’avait rien à dévoiler. Du côté d’Airbus, le même silence. On tourne en rond ?
- Mais ce n’est pas d'aujourd'hui qu’on tourne en rond et on va continuer à tourner en rond, ça, j'en suis persuadé. Le 3 septembre dernier, j’ai rencontré le préfet de Nice et j’ai encore discuté avec lui au sujet des photos. Ce que je veux aujourd'hui c'est qu'on me fasse la photo de la carlingue de la Caravelle pour voir si les réacteurs sont toujours à bord, j’avais envoyé un courrier à la COMEX en demandant de faire cette opération-là, mais ils m'ont répondu qu’ils ne pouvaient intervenir parce que c'est un peu sous couvert de l'état. Il faut aussi savoir aussi une chose, c'est un avion civil et les 6 tonnes qui ont été récupérées sont à Toulouse - c'est comme ça pour un avion civil – mais tout le reste qui a été repêché est à l'arsenal de Toulon donc il y a bien quelque chose qui indique que l'armée est responsable parce que sinon ça serait parti à Toulouse. La Caravelle faisait plus de 60 tonnes et on a récupéré que 6 tonnes et 6 tonnes ça représente vraiment quelque chose de dérisoire.
 
- Avez-vous vraiment espoir de parvenir un jour à la vérité ? Comment savoir si ce sera vraiment la réalité des faits ? L’accepterez-vous ?
- De toute façon on est parti sur les témoignages et puis les témoins sont des témoins crédibles. Il m'a été confié par l'intermédiaire de mes avocats, tout le déroulé des interrogatoires qui ont été faits par la gendarmerie jusqu'aux familles.
 
Et puis, il y a quand même quelque chose de flagrant. Vous prenez ce Monsieur, Alain Frasquet, il était preneur de son et au moment du crash il était à Antibes, à la Brague – c’est là qu’il y avait les studios de l’ORTF de l’époque – donc avec un tourneur, ils ont pris un bateau et ils ont été sur place. Et à ce moment-là, au Mont Agel, il y avait une opération poker qui était en mer et qui contrôlait tout ce qui se passait en Méditerranée aussi bien les passages d'avion et les tirs. L'équipe de télévision de l'ORTF, qui était au Mont Agel, est descendue à Brague pour faire le tournage de ce qu'ils avaient, aussi bien au Mont que sur les lieux du crash. Et bien aujourd'hui le film est muet et pourquoi il est muet ? Parce qu’au moment où l’équipe de l'ORTF faisait le montage pour l’envoyer à Paris, Alain Frasquet était en train de faire son montage a entendu sur la bande du Mont Agel « On l’a perdu, on l’a perdu ». Tout de suite après, quand ce message passait en radio, deux personnes des renseignements généraux sont rentrées dans le laboratoire avec naturellement le responsable de l'ORTF d'Antibes et ils ont saisi la bande-son. Aujourd'hui vous regardez le film du 11 septembre 1968 vous voyez bien les images qui sont tournées en mer et on voit au Mont Agel tous les radars avec deux personnes au niveau militaire qui sont en train de discuter entre elles et naturellement on ne sait pas ce qu'elles se disent. Elles avaient l'air un petit peu en deçà d'une conversation normale.