Quelle place sera donnée à l’agriculture et quel sort sera fait aux territoires ruraux dans la Corse de demain ? Cette vaste et difficile question sous-tend notamment l’élaboration du PADDUC qui se veut le plan d’aménagement et de développement de la Corse pour les 20 prochaines années. Profitant de la concertation nationale organisée autour du projet de la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LAAAF) qui sera discuté au Parlement en janvier 2014 et des négociations en cours à Bruxelles pour l’élaboration de la future PAC, l’Assemblée de Corse a défini ses attentes. Le rapport, réalisé avec l’ensemble des acteurs du secteur et adopté, vendredi, à une large majorité par les élus territoriaux, propose des adaptations à la future loi et la prise en compte des spécificités insulaires. Il affiche des ambitions et des moyens d’actions, identifie les enjeux, les menaces et les opportunités et hiérarchise les priorités.
Cinq facteurs limitants
L’agriculture corse représente plus de 4% de la population active et regroupe 2800 exploitations de petite taille dont la ½ appartient à la filière animale et 1/3 à la filière végétale. Cinq facteurs limitent son développement et forment cinq axes d’orientation stratégique : la terre avec la problématique foncière, les hommes avec la désaffection des métiers agricoles, le problème de l’outil de production, le développement durable des territoires et le transfert de gouvernance.
« Le point de départ stratégique est l’intervention sur le foncier. Il faut lutter contre la spéculation foncière en cartographiant, dans le cadre du PADDUC, les espaces agricoles comme des espaces stratégiques », explique Jean-Louis Luciani, conseiller exécutif, président de l’ODARC et rapporteur de ce plan. L’objectif clair se resserre autour de la reconquête des territoires et de la souveraineté alimentaire.
Le pari d’une génération
Le 2ème axe entend intensifier la connaissance, la capacité d’innovation et les installations. Le rapport propose de simplifier le parcours d’installation du jeune agriculteur, qui s’apparente à un parcours du combattant et peut, ainsi, décourager ceux qui voudraient s’installer. Le solde naturel des déperditions agricoles est de 75 arrêts d’exploitation par an pour seulement 25 créations. Il s’agit, donc, de stopper le déclin et de réhabiliter des métiers qui n’attirent plus les vocations. « Nous faisons le pari d’une génération qui retrouverait le lien avec les produits locaux, les savoir-faire et les métiers ».
Le 3ème axe s’attache à restructurer les outils vers la production, la qualité et l’efficience environnementale et à établir un dispositif spécifique en faveur du pastoralisme. Le rapport insiste sur la nécessité, pour l’agriculture corse, de continuer à se différencier.
Le 4ème axe consiste à consolider l’action territoriale. L’absence de coordination entre les différents outils étant, également un facteur limitant, le rapport sollicite, enfin, un transfert de la compétence agricole et des outils afférents visant à instaurer une gouvernance régionale. Cette gouvernance nouvelle permettrait de se défaire des lourdeurs qui entravent le développement de l’agriculture.
La souveraineté alimentaire
Ce rapport, plutôt bien accueilli par l’ensemble des groupes politiques, a été longuement débattu. Le sujet crucial de l’avenir de l’agriculture insulaire a donné lieu à de longues interventions des élus.
Josepha Giacometti, pour le groupe Corsica Libera, se félicite qu’enfin « pour la première fois, l’agriculture est pensée comme un secteur stratégique, avec des moyens qui lui sont propres et des outils cohérents. Nous retrouvons, dans ce rapport, l’intégralité des mesures que nous avons proposées dans notre document Corsica 21. Nous inspirons des projets. Tant mieux ! ». Elle insiste sur la nécessité pour la Corse de viser une souveraineté alimentaire. « C’est une question qu’il faudra vraiment se poser pour limiter ou rompre les liens de dépendance. Pour cela, nous avons besoin d’un foncier et des moyens de le mettre en œuvre ». Elle pose la question du statut de résident présenté comme « la capacité de réguler le marché » et appelle à la « mise en cohérence des outils existants et à la redéfinition du rôle de la SAFER dans la nécessité d’une gouvernance nouvelle ». L’élue nationaliste propose, enfin, d’appliquer, sur les terres incultes, le système en vigueur dans les DOM (Départements d’Outre-mer) pour désamorcer les conflits individuels.
Une inversion de logique
Antoine Orsini, du groupe Corse Social Démocrate, approuve « l’inversion de logique » que le rapport suppose. « L’urbanisation devient une exception à la règle d’organisation de l’espace, alors qu’aujourd’hui, c’est l’agriculture qui est l’exception dans l’espace agricole ». Il revient sur les difficultés d’installation des jeunes agriculteurs et la désaffectation de l’activité agricole. « Il faut montrer les vertus de l’activité agricole et rurale. Il est de notre responsabilité publique de sensibiliser les jeunes générations à ces métiers et de les professionnaliser. Les aides à la production ne doivent pas être entendues comme des rentes financières, mais comme un levier de développement ». Il préconise d’aller plus loin dans la politique de développement durable des territoires en insistant sur l’interaction indispensable entre la structuration de l’activité agricole et la structuration des espaces ruraux.
Une question de gouvernance
Enfin, le président de la Commission des finances évoque la nécessité d’un transfert de gouvernance afin que la CTC puisse « exercer de manière pleine et entière » la compétence agricole dont tout un pan, décidé par l’Etat, lui échappe complètement. Il demande que l’ensemble des compétences et des outils agricoles soit entre les mains des élus corses. « La détention des responsabilités permettra de réformer, de concentrer les outils et de coordonner les actions ». Prenant appui sur l’actualité récente pour renforcer son propos, il donne l’exemple de la question sanitaire qui doit, selon lui, échoir à la CTC puisque c’est elle qui assume la couverture des risques. « L’épisode de la fièvre catarrhale prouve que la gestion des risques sanitaires par l’Etat n’est pas efficiente. La catastrophe aurait pu être évitée si nous avions géré en direct les risques ». Il prévient : « Nous sommes très attentifs aux derniers arbitrages que rendra l’Etat en matière d’indemnisations des troupeaux ovins. Nous ne nous satisferons pas d’une indemnisation à 60% ».
Un excès d’optimisme
Michel Stefani, du groupe du Front de gauche, soulève la nécessité d’élargir la réflexion au-delà du seul territoire insulaire. Dans une critique virulente de la PAC, il déplore la mise en concurrence des paysans entre-eux, l’ultralibéralisme et les effets pervers de l’ultraproductivisme. Il estime que la nouvelle PAC ne répondra pas aux défis agricoles actuels et aux besoins des paysans. « Elle n’est pas faite pour les agriculteurs et les consommateurs, mais pour les centrales de distribution et les grandes sociétés de semences comme Monsanto. Il faut rompre avec ces grandes orientations. Nous comprenons le sens de ce rapport, même si nous n’approuvons pas tout ». Remarquant que la courbe de disparition des exploitations ne s’inverse pas, il exprime son scepticisme pour l’avenir : « On ne voit pas comment la PAC offrirait une chance historique pour la Corse. Nous sommes dans un excès d’optimisme. Cette volonté est déjà contredite dans les faits ».
La relance de la filière bois
Pour l’élu communiste, la reconnaissance des pâturages permanents et des handicaps et une gestion régionale des aides sont essentielles. « L’aide à l’installation plafonnée à 1% du budget réduira considérablement le nombre de jeunes agriculteurs qui pourrait s’installer. Sans ces aides, le développement territorial est quelque peu compromis ». Il insiste sur la relance « vertueuse » de la filière bois dans une île dont la moitié du territoire est couvert par les forêts. « Seul 10% est prélevé pour le bois de chauffage. Le nombre d’exploitation est en baisse constante. Avoir de l’ambition sur ce plan permettrait de réduire la dépendance aux importations extérieures, notamment sardes. Nous sommes satisfaits du soutien public proposé et des existences environnementales précises qui y sont assorties ». Il prône, enfin, la nécessité d’accompagner le processus de transmission des exploitations et la nécessité de résoudre la problématique foncière
Le problème de l’eau
Si Etienne Suzzoni, du groupe Rassembler pour la Corse, est d’accord sur les grands principes : « Je me félicite que l’agriculture soit à la place où elle doit être. Ce rapport est consensuel, c’est l’émanation de ce que ressent la profession », il craint qu’il ne soit qu’une « litanie de vœux pieux. Il manque un calendrier prospectif et les moyens financiers pour le mettre en œuvre ». Il émet quelques réserves : « Le foncier est bien plus qu’un facteur limitant, s’il n’est pas maitrisé. Un facteur limitant, souvent ignoré, est l’hydraulique. Sans eau, sans revoir la capacité de réserve en eau brute des territoires de l’île, il n’y aura pas de développement productif. Aujourd’hui, nous sommes loin de couvrir les enjeux de développement et nous sommes sous le coup d’arrêtés préfectoraux pour les restrictions d’eau ». Il appelle à une coordination entre les offices de la CTC. Puis, insiste sur la nécessité d’atteindre l’autonomie fourragère de l’île. « Les producteurs ne peuvent pas être dépendants à 80 % des intrants extérieurs. On est en droit d’attendre plus de précisions sur les moyens qui seront déployés et l’urgence d’y répondre ».
La survie de la chèvre corse
Sur la problématique de reconquête des espaces agricoles, il déplore que le rapport ne consacre pas beaucoup de place aux espaces en déprise. « Un agriculteur ne trouve pas son compte à mettre en valeur les espaces en déprise car cela coute trop cher. Dans un conteste où l’économie serait le seul maitre, il faudrait les abandonner complètement. Or, comment ferions-nous si on ne les mettait pas en valeur ? Comment affronter les risques incendies, l’été ? La mise en valeur de ces zones et la protection incendie sont un enjeu politique fort pour cette île ». Dans ce domaine, il évoque le problème de la filière caprine : « La chèvre corse a besoin d’un parcours relativement vaste. Elle très bien adaptée à un espace peu productif, mais les conditions de vivabilité des éleveurs caprins ne sont pas compatibles avec des espaces pastoraux souvent mités par des constructions ou des voiries. Si on ne sacralise pas les espaces caprins, si on ne les matérialise dans la cartographie, la filière corse disparaîtra ».
Sanctuariser l’espace
Pour Paul-Félix Benedetti, d’U Rinnovu : Il était temps, enfin, qu’il y ait un canevas de programmation des politiques agricoles pour la Corse ». Revenant sur la problématique foncière, il rappelle que la réduction des terres agricoles prend en Corse une acuité particulière à cause de la forte spéculation foncière. « Sans mécanisme de verrou pour sanctuariser les terres agricoles, les plus belles terres et les mieux placées deviendront urbaines. Préserver l’espace agricole doit être acté comme un principe fondateur ». Il suggère d’y rattacher les espaces forestiers, notamment les châtaigneraies, afin que la SAFER puisse, notamment, exercer son droit de préemption. Il souligne, également,la nécessité de lever les paradoxes de l’outil de production. « On ne peut pas promouvoir une agriculture de luxe qui serait une annexe de LVMH ou de Fauchon et, à côté, ne pas se soucier de la production de base car, aujourd’hui, la Corse ne produit plus rien. Nous avons, par exemple, 60 000 têtes de bovins, mais notre production en viande rouge ne couvre même pas 10% de nos besoins ».
Des besoins spécifiques
Au niveau de la gouvernance, il préconise de concentrer et de recentrer les pouvoirs à la CTC tout en délégant des pans entiers de ce pouvoir aux socio-professionnels pour œuvrer en bonne intelligence. « La dichotomie Etat/région Corse a montré ses limites, notamment sur l’épizootie de fièvre catarrhale due à l’incurie étatique. Il aurait suffit d’un fax des autorités sardes pour que la Corse anticipe ». Pour lui, la CTC s’oriente vers des politiques cohérentes dont les financements sont surtout européens. Il estime que l’Europe a laissé de côté la Corse qui a touché deux fois moins que les autres régions similaires. « Si on veut atteindre un niveau minimum de survie des exploitations et de gestion des espaces, il faudra la doter de moyens qui seront au minimum du double de ce qu’elle a reçu. C’est un leurre de penser que les agriculteurs corses ont thésaurisé des subventions. Ils n’ont eu que le minimum pour survivre et n’ont pas fait d’investissements structurants. Ils se retrouvent dans l’incapacité d’avoir un moyen de production adapté et efficient. La Corse a besoin d’aides dérogatoires spécifiques et d’aides à la production ciblée ».
Le vote du rapport a suscité une polémique portant sur un amendement. Les Nationalistes ont demandé la démission du directeur de la DRAF. Nous y reviendrons.
N. M.
Cinq facteurs limitants
L’agriculture corse représente plus de 4% de la population active et regroupe 2800 exploitations de petite taille dont la ½ appartient à la filière animale et 1/3 à la filière végétale. Cinq facteurs limitent son développement et forment cinq axes d’orientation stratégique : la terre avec la problématique foncière, les hommes avec la désaffection des métiers agricoles, le problème de l’outil de production, le développement durable des territoires et le transfert de gouvernance.
« Le point de départ stratégique est l’intervention sur le foncier. Il faut lutter contre la spéculation foncière en cartographiant, dans le cadre du PADDUC, les espaces agricoles comme des espaces stratégiques », explique Jean-Louis Luciani, conseiller exécutif, président de l’ODARC et rapporteur de ce plan. L’objectif clair se resserre autour de la reconquête des territoires et de la souveraineté alimentaire.
Le pari d’une génération
Le 2ème axe entend intensifier la connaissance, la capacité d’innovation et les installations. Le rapport propose de simplifier le parcours d’installation du jeune agriculteur, qui s’apparente à un parcours du combattant et peut, ainsi, décourager ceux qui voudraient s’installer. Le solde naturel des déperditions agricoles est de 75 arrêts d’exploitation par an pour seulement 25 créations. Il s’agit, donc, de stopper le déclin et de réhabiliter des métiers qui n’attirent plus les vocations. « Nous faisons le pari d’une génération qui retrouverait le lien avec les produits locaux, les savoir-faire et les métiers ».
Le 3ème axe s’attache à restructurer les outils vers la production, la qualité et l’efficience environnementale et à établir un dispositif spécifique en faveur du pastoralisme. Le rapport insiste sur la nécessité, pour l’agriculture corse, de continuer à se différencier.
Le 4ème axe consiste à consolider l’action territoriale. L’absence de coordination entre les différents outils étant, également un facteur limitant, le rapport sollicite, enfin, un transfert de la compétence agricole et des outils afférents visant à instaurer une gouvernance régionale. Cette gouvernance nouvelle permettrait de se défaire des lourdeurs qui entravent le développement de l’agriculture.
La souveraineté alimentaire
Ce rapport, plutôt bien accueilli par l’ensemble des groupes politiques, a été longuement débattu. Le sujet crucial de l’avenir de l’agriculture insulaire a donné lieu à de longues interventions des élus.
Josepha Giacometti, pour le groupe Corsica Libera, se félicite qu’enfin « pour la première fois, l’agriculture est pensée comme un secteur stratégique, avec des moyens qui lui sont propres et des outils cohérents. Nous retrouvons, dans ce rapport, l’intégralité des mesures que nous avons proposées dans notre document Corsica 21. Nous inspirons des projets. Tant mieux ! ». Elle insiste sur la nécessité pour la Corse de viser une souveraineté alimentaire. « C’est une question qu’il faudra vraiment se poser pour limiter ou rompre les liens de dépendance. Pour cela, nous avons besoin d’un foncier et des moyens de le mettre en œuvre ». Elle pose la question du statut de résident présenté comme « la capacité de réguler le marché » et appelle à la « mise en cohérence des outils existants et à la redéfinition du rôle de la SAFER dans la nécessité d’une gouvernance nouvelle ». L’élue nationaliste propose, enfin, d’appliquer, sur les terres incultes, le système en vigueur dans les DOM (Départements d’Outre-mer) pour désamorcer les conflits individuels.
Une inversion de logique
Antoine Orsini, du groupe Corse Social Démocrate, approuve « l’inversion de logique » que le rapport suppose. « L’urbanisation devient une exception à la règle d’organisation de l’espace, alors qu’aujourd’hui, c’est l’agriculture qui est l’exception dans l’espace agricole ». Il revient sur les difficultés d’installation des jeunes agriculteurs et la désaffectation de l’activité agricole. « Il faut montrer les vertus de l’activité agricole et rurale. Il est de notre responsabilité publique de sensibiliser les jeunes générations à ces métiers et de les professionnaliser. Les aides à la production ne doivent pas être entendues comme des rentes financières, mais comme un levier de développement ». Il préconise d’aller plus loin dans la politique de développement durable des territoires en insistant sur l’interaction indispensable entre la structuration de l’activité agricole et la structuration des espaces ruraux.
Une question de gouvernance
Enfin, le président de la Commission des finances évoque la nécessité d’un transfert de gouvernance afin que la CTC puisse « exercer de manière pleine et entière » la compétence agricole dont tout un pan, décidé par l’Etat, lui échappe complètement. Il demande que l’ensemble des compétences et des outils agricoles soit entre les mains des élus corses. « La détention des responsabilités permettra de réformer, de concentrer les outils et de coordonner les actions ». Prenant appui sur l’actualité récente pour renforcer son propos, il donne l’exemple de la question sanitaire qui doit, selon lui, échoir à la CTC puisque c’est elle qui assume la couverture des risques. « L’épisode de la fièvre catarrhale prouve que la gestion des risques sanitaires par l’Etat n’est pas efficiente. La catastrophe aurait pu être évitée si nous avions géré en direct les risques ». Il prévient : « Nous sommes très attentifs aux derniers arbitrages que rendra l’Etat en matière d’indemnisations des troupeaux ovins. Nous ne nous satisferons pas d’une indemnisation à 60% ».
Un excès d’optimisme
Michel Stefani, du groupe du Front de gauche, soulève la nécessité d’élargir la réflexion au-delà du seul territoire insulaire. Dans une critique virulente de la PAC, il déplore la mise en concurrence des paysans entre-eux, l’ultralibéralisme et les effets pervers de l’ultraproductivisme. Il estime que la nouvelle PAC ne répondra pas aux défis agricoles actuels et aux besoins des paysans. « Elle n’est pas faite pour les agriculteurs et les consommateurs, mais pour les centrales de distribution et les grandes sociétés de semences comme Monsanto. Il faut rompre avec ces grandes orientations. Nous comprenons le sens de ce rapport, même si nous n’approuvons pas tout ». Remarquant que la courbe de disparition des exploitations ne s’inverse pas, il exprime son scepticisme pour l’avenir : « On ne voit pas comment la PAC offrirait une chance historique pour la Corse. Nous sommes dans un excès d’optimisme. Cette volonté est déjà contredite dans les faits ».
La relance de la filière bois
Pour l’élu communiste, la reconnaissance des pâturages permanents et des handicaps et une gestion régionale des aides sont essentielles. « L’aide à l’installation plafonnée à 1% du budget réduira considérablement le nombre de jeunes agriculteurs qui pourrait s’installer. Sans ces aides, le développement territorial est quelque peu compromis ». Il insiste sur la relance « vertueuse » de la filière bois dans une île dont la moitié du territoire est couvert par les forêts. « Seul 10% est prélevé pour le bois de chauffage. Le nombre d’exploitation est en baisse constante. Avoir de l’ambition sur ce plan permettrait de réduire la dépendance aux importations extérieures, notamment sardes. Nous sommes satisfaits du soutien public proposé et des existences environnementales précises qui y sont assorties ». Il prône, enfin, la nécessité d’accompagner le processus de transmission des exploitations et la nécessité de résoudre la problématique foncière
Le problème de l’eau
Si Etienne Suzzoni, du groupe Rassembler pour la Corse, est d’accord sur les grands principes : « Je me félicite que l’agriculture soit à la place où elle doit être. Ce rapport est consensuel, c’est l’émanation de ce que ressent la profession », il craint qu’il ne soit qu’une « litanie de vœux pieux. Il manque un calendrier prospectif et les moyens financiers pour le mettre en œuvre ». Il émet quelques réserves : « Le foncier est bien plus qu’un facteur limitant, s’il n’est pas maitrisé. Un facteur limitant, souvent ignoré, est l’hydraulique. Sans eau, sans revoir la capacité de réserve en eau brute des territoires de l’île, il n’y aura pas de développement productif. Aujourd’hui, nous sommes loin de couvrir les enjeux de développement et nous sommes sous le coup d’arrêtés préfectoraux pour les restrictions d’eau ». Il appelle à une coordination entre les offices de la CTC. Puis, insiste sur la nécessité d’atteindre l’autonomie fourragère de l’île. « Les producteurs ne peuvent pas être dépendants à 80 % des intrants extérieurs. On est en droit d’attendre plus de précisions sur les moyens qui seront déployés et l’urgence d’y répondre ».
La survie de la chèvre corse
Sur la problématique de reconquête des espaces agricoles, il déplore que le rapport ne consacre pas beaucoup de place aux espaces en déprise. « Un agriculteur ne trouve pas son compte à mettre en valeur les espaces en déprise car cela coute trop cher. Dans un conteste où l’économie serait le seul maitre, il faudrait les abandonner complètement. Or, comment ferions-nous si on ne les mettait pas en valeur ? Comment affronter les risques incendies, l’été ? La mise en valeur de ces zones et la protection incendie sont un enjeu politique fort pour cette île ». Dans ce domaine, il évoque le problème de la filière caprine : « La chèvre corse a besoin d’un parcours relativement vaste. Elle très bien adaptée à un espace peu productif, mais les conditions de vivabilité des éleveurs caprins ne sont pas compatibles avec des espaces pastoraux souvent mités par des constructions ou des voiries. Si on ne sacralise pas les espaces caprins, si on ne les matérialise dans la cartographie, la filière corse disparaîtra ».
Sanctuariser l’espace
Pour Paul-Félix Benedetti, d’U Rinnovu : Il était temps, enfin, qu’il y ait un canevas de programmation des politiques agricoles pour la Corse ». Revenant sur la problématique foncière, il rappelle que la réduction des terres agricoles prend en Corse une acuité particulière à cause de la forte spéculation foncière. « Sans mécanisme de verrou pour sanctuariser les terres agricoles, les plus belles terres et les mieux placées deviendront urbaines. Préserver l’espace agricole doit être acté comme un principe fondateur ». Il suggère d’y rattacher les espaces forestiers, notamment les châtaigneraies, afin que la SAFER puisse, notamment, exercer son droit de préemption. Il souligne, également,la nécessité de lever les paradoxes de l’outil de production. « On ne peut pas promouvoir une agriculture de luxe qui serait une annexe de LVMH ou de Fauchon et, à côté, ne pas se soucier de la production de base car, aujourd’hui, la Corse ne produit plus rien. Nous avons, par exemple, 60 000 têtes de bovins, mais notre production en viande rouge ne couvre même pas 10% de nos besoins ».
Des besoins spécifiques
Au niveau de la gouvernance, il préconise de concentrer et de recentrer les pouvoirs à la CTC tout en délégant des pans entiers de ce pouvoir aux socio-professionnels pour œuvrer en bonne intelligence. « La dichotomie Etat/région Corse a montré ses limites, notamment sur l’épizootie de fièvre catarrhale due à l’incurie étatique. Il aurait suffit d’un fax des autorités sardes pour que la Corse anticipe ». Pour lui, la CTC s’oriente vers des politiques cohérentes dont les financements sont surtout européens. Il estime que l’Europe a laissé de côté la Corse qui a touché deux fois moins que les autres régions similaires. « Si on veut atteindre un niveau minimum de survie des exploitations et de gestion des espaces, il faudra la doter de moyens qui seront au minimum du double de ce qu’elle a reçu. C’est un leurre de penser que les agriculteurs corses ont thésaurisé des subventions. Ils n’ont eu que le minimum pour survivre et n’ont pas fait d’investissements structurants. Ils se retrouvent dans l’incapacité d’avoir un moyen de production adapté et efficient. La Corse a besoin d’aides dérogatoires spécifiques et d’aides à la production ciblée ».
Le vote du rapport a suscité une polémique portant sur un amendement. Les Nationalistes ont demandé la démission du directeur de la DRAF. Nous y reviendrons.
N. M.
A venir 2 interviews : Jean-Louis Luciani, président de l'ODARC, et Nadine Nivaggioni, conseillère territoriale du groupe Femu a Corsica.