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Bière artisanale : la filière brassicole corse est en pleine évolution


Sylvie Gibelin le Dimanche 3 Mars 2024 à 19:55

Reconnue depuis l’antiquité comme une terre de vignobles, la Corse voit se développer depuis quelques années la production de bières locales sur toute l’île, à plus ou moins grande échelle. Mais les petites brasseries artisanales sont en train de se frayer une jolie place, preuve que la passion et le savoir-faire de ces artisans ont un avenir prometteur sur l’île, voire même au-delà.



En Corse-du-Sud, c’est à Filitosa, au cœur même du site préhistorique de Sollacaro, qu’est née l’année dernière une bière du même nom. Charles Antoine Cesari, petit fils et homonyme de celui qui a découvert les premières statues menhir en 1946, est comme son grand-père : un Passionné avec un grand P. sa passion principale est bien évidemment le site préhistorique qu’il gère en famille, mais, très curieux de nature, il adore apprendre et découvrir dans des domaines très différents. “La micro-brasserie de Filitosa est née parce que, après l'épisode Covid, j’ai eu envie de diversifier mes activités et de me rapprocher de la terre. J’ai d’ailleurs toujours voulu comprendre le monde agricole” confie Charles Antoine. “À la base je suis ingénieur ESTP et j’ai travaillé 10 ans à Paris. C’était très intéressant, mais j’avais toujours très envie de revenir aux sources, mes grands-pères étaient tous les 2 des agriculteurs. Et quand on travaille à Filitosa, on essaie de comprendre comment fonctionnent la terre, les plantes, et j’avais vraiment l’envie de m’investir là-dedans. J’ai donc fait le CNEAC, un lycée agricole par correspondance, avec quelques semaines de présence sur le continent et des stages. J’ai ainsi choisi de passer mes 2 mois de stage chez un agriculteur également brasseur en Dordogne. C’était une toute petite brasserie artisanale, tout était bio, il faisait tout à la main, et c’est lui qui m’a formé. En rentrant en Corse, j'ai commencé à brasser une bière traditionnelle authentique pour le plaisir de la faire goûter à mes amis”.

Un comble pour celui qui, pendant très longtemps, a détesté la bière ! “L’amertume et les malts me déplaisaient et j’ai fini par y prendre goût lors d’un séjour à Oxford pour apprendre l’anglais. Comme quoi…” s’amuse-t-il. Aujourd’hui, le jeune brasseur aime beaucoup les bières très équilibrées, dans lesquelles on va ressentir tous les ingrédients, les différents malts, les houblons. Pour Charles Antoine, faire de la bière “c’est un petit peu comme faire la cuisine : il y a des épices que l’on met avec parcimonie, sinon on ne sent plus que ça. La bière c’est pareil, c’est un assemblage de différents malts, et c’est leur équilibre qui donne son goût à la bière. Finalement, pour simplifier, la bière c’est de l’orge, de l’eau et du houblon qui donne l’amertume. Et dans ma manière de brasser, celle qui m’a été enseignée en Dordogne, je suis vraiment dans le brassage traditionnel, authentique, dans le sens ou il n’y a aucun arôme ajouté”.

On retrouve l'âme de Filitosa dans la bière
Les premières bouteilles ont été commercialisées en juillet dernier, après deux années d’essais et de mise au point. Le nom de Filitosa s’est imposé comme une évidence, en référence au lieu où elle est brassée. “Filitosa c’est plus qu’un nom, c’est mon berceau familial, c’est une histoire : j’aime à dire que Filitosa a une âme, et je fais tout pour qu’on retrouve cette âme dans ma bière”. Chez ce petit brasseur, la mise en bouteille, l’encapsulage et l'étiquetage se font manuellement. De la mise en fermentation à la mise en bouteille, le processus total prend 5 semaines et Charles Antoine Cesari aura fait une dizaine de cuvées en 6 mois, c'est-à-dire 5000 litres “les brasseurs parlent en hectolitres” s’amuse-t-il. “Je suis loin du compte ! Pour l’instant je rembourse juste mon prêt et c’est ce qui compte. Mon objectif serait d’arriver à 20 ou 30 000 litres. Ça me permettrait d’embaucher des personnes l’hiver. Mais mon but n’est pas du tout que la Filitosa se retrouve en supermarché. J’ai envie que la Filitosa puisse rayonner en Corse et ailleurs, mais dans des endroits qui puissent la mettre en valeur, qui puissent l’apprécier, comme des épiceries, des hôtels”.

En quelque sorte, dans des lieux où l’on apprécie autant son goût que son âme… Pour sa première commercialisation, la Filitosa offre une gamme de 3 bières, une blonde, une blanche et une ambrée. “Mais j’ai aussi créé la Mussetta qui est une boisson innovante, plutôt destinée aux personnes qui n'aiment pas la bière, elle n’est ni amère ni maltée et elle est fruitée et sucrée, un peu comme un muscat pétillant, et elle plaît beaucoup” se réjouit le brasseur. “Ce que je trouve intéressant c’est qu'aujourd'hui la bière prend de plus en plus de place par rapport au vin ; il y a une sorte de mode depuis quelques années, ce qui fait que les sommeliers apprennent également la bière et particulièrement à l'associer aux mets”. Ce n’est certainement pas Sophie Mirande qui dira le contraire. Présidente de l’Association des sommeliers de Corse, elle a eu l’occasion de goûter les bières de Filitosa lors d’un salon et elle parle avec passion de sa “délicatesse, sa légèreté et son côté aérien”. Elle lui prédit d’ailleurs un avenir très prometteur.

 

​O Basta ! avec une bande dessinée par Julien Osty
Du côté d’Ajaccio, à Porticcio plus précisément, on trouve un autre brasseur plus expérimenté, avec lequel Charles Antoine entretient des relations de confiance. Les deux hommes ont sympathisé autour d’un point commun qui est l’eau ozonée, qui permet de respecter tous les standards de nettoyage et de désinfection des cuves. Ils discutent technique, échangent énormément et collaborent de façon amicale lorsque l’occasion se présente. La brasserie artisanale du maquis, créée par Yann Chamberaud en 2017, brasse une bière artisanale locale sur place. En 7 ans, elle a réussi à se faire un nom et s’est déjà forgé une belle réputation grâce à sa Napo. Une gamme de 4 bières (blonde, miel, ambrée et IPA, ces 2 dernières étant particulièrement appréciées) qui est en train de s’étendre avec deux nouvelles venues, une clémentine et une blanche. En parallèle, 2023 a vu l'arrivée d’une bière blonde nommée O Basta ! qui pour Noël s’est enrichie d’une version à la cerise, et qui a des projets de bières originales, plutôt parfumées. “La O basta ! est ce qu’on peut appeler une bière de soif ! Elle n’a pas d’amertume, mais une douceur de fruits exotiques, et elle est très peu alcoolisée”. Le visuel de la bouteille est un magnifique âne rose avec des lunettes de soleil et un grand sourire ! “Sur chaque bouteille d’O Basta !, un QR code permet d'accéder à une bande dessinée qui s'enrichit régulièrement, dessinée par Julien Osty, qui raconte l’histoire de l’âne rose. Il signe toutes ses aventures d’un Z qui veut dire …Zumero !” raconte Yann en riant.

Et il faut avouer que les triptyques sont hilarants. Yann, secondé par Jean-Philippe Martinetti, propose deux gammes de bières avec chacune une identité bien définie “la Napo et la O Basta ! ont chacun leur marché. Celui de la Napo est plus intimiste, épiceries fines, hôtels ou restaurants, la O Basta ! est voué à être distribué partout , à plus grande échelle”. Yann Chamberaud est également en train de développer la production de fûts destinés aux professionnels, afin de répondre à une demande croissante. Quelque part victime de son succès si l’on peut dire, la petite entreprise de Yann cherche aujourd'hui à s’agrandir. “On a une capacité de brassage de 100 000 bouteilles par an, mais pour l’instant on a besoin de place”.

Aujourd’hui la micro-brasserie est en train d'accroître sa capacité de production, due à une demande qui consisterait raisonnablement à doubler sa production. “Après le covid, nous avons eu des difficultés à répondre à la demande, mais actuellement, travailler pour fabriquer 100 000 bouteilles de façon non automatisé, est un véritable calvaire pour Jean-Philippe et moi. L’idée est d’acheter de plus grosses machines automatisées, pour pouvoir produire mieux et consacrer plus de temps à la promotion de la bouteille”. Et s’il se consacre à la bière par passion, ce qui l'intéresse aujourd’hui c’est à la fois de fabriquer et de vendre. Yann Chamberaud cherche donc un local à proximité, dans la baie d’Ajaccio, afin de pouvoir agrandir sa petite entreprise, mais également des investisseurs. “Après 7 ans, on peut dire que l’on a un savoir-faire, une marque bien installée, mais le bénéfice de la marque et ce que l’on entend dans son développement, c’est aussi de faire participer des gens qui auraient une valeur ajoutée à proposer” explique-t-il. “Soit des investisseurs qui nous permettraient de nous développer en achetant des machines par exemple, soit des gros distributeurs qui pourraient aider à promouvoir la marque”.

Comment voit-il l’avenir ? “Pour moi l’avenir c’est la saison prochaine, et j’espère trouver d’ici là un local pour pouvoir produire autant que la demande. Aujourd’hui pour résumer, on cherche à s'agrandir pour produire plus afin de répondre à la demande, garder la Napo sur du “premium” et lancer la O Basta ! sur les supermarchés”.

L’engouement pour les bières artisanales corses semble être plus qu’un effet de mode, et ces petits brasseurs qui jouent la carte de l’authenticité mêlée d’originalité sauront certainement tirer leur épingle du jeu. C’est tout ce que l’on peut leur souhaiter.