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Bianca Fazi : « Nous mettons en œuvre une politique de l’autonomie cohérente, rénovée et ambitieuse »


Nicole Mari le Mercredi 15 Décembre 2021 à 20:47

Le premier schéma directeur de l’autonomie 2022-2026 de la Collectivité de Corse sera présenté, jeudi après-midi, à l’Assemblée de Corse. Son objectif est de répondre au mieux au vieillissement de la population insulaire et au défi d’inclusion des personnes en situation de handicap. Ce schéma stratégique, co-construit avec les partenaires sociaux, définit cinq orientations politiques déclinées en 22 nouvelles mesures concrètes avec une priorité : le maintien à domicile des personnes âgées. Et deux axes forts : répondre aux attentes et revaloriser les métiers d’aide à la personne jugés peu attractifs. Explications, pour Corse Net Infos, de Bianca Fazi, conseillère exécutive en charge de la santé et du social.



Bianca Fazi, conseillère exécutive en charge de la santé et du social. Photo Michel Luccioni.
Bianca Fazi, conseillère exécutive en charge de la santé et du social. Photo Michel Luccioni.
- Pourquoi présentez-vous un schéma directeur de l’autonomie ! ?
- Toutes les collectivités doivent adopter un schéma directeur d’autonomie, que ce soit les départements ou les collectivités régionales. Ce schéma définit des orientations stratégiques qui ont été construites en amont en concertation avec tous les partenaires, notamment les associations, les usagers, le Conseil citoyen (CCA), de manière à ce que tous puissent donner leur avis. Nous avons tenu compte de tout ce qui nous a été dit afin de prendre en charge au mieux la personne âgée et la personne dépendante et de répondre au défi d’inclusion des personnes en situation de handicap. Nous avons fait le choix d’une action volontariste, dynamique et prospective pour construire et mettre en œuvre une politique de l’autonomie cohérente, rénovée et ambitieuse dès 2022.
 
- Vu le nombre de personnes âgées en Corse, c’est un acte important ?
- Absolument ! La Corse compte actuellement 94 000 personnes de plus de 60 ans, soit 29% de la population. Parmi elles, 14 000 personnes sont fortement dépendantes, d’autres sont en situation de handicap. Ces deux catégories représentent exactement 30 % des personnes âgées de plus de 60 ans. Nous avons demandé à l'INSEE de faire des projections, et nous savons qu’en 2030, ce chiffre augmentera de 38 %. Ce qui signifie que la Corse comptera, alors, 128 000 personnes de plus de 60 ans et 21 000 seniors dépendants, soit 6 000 personnes dépendantes de plus qu’en 2015. C’est dire s’il est important d’avoir un schéma et des projections pour prendre en charge au mieux ces personnes-là, mais aussi celles qui ne sont pas dépendantes mais qu’il faut accompagner vers le vieillissement ! Les sociétés occidentales sont très vieillissantes. Si on vieillit plus, encore faut-il qu’on vieillisse en bonne santé et dans de bonnes conditions matérielles !
 
- Ce contexte n’est-il pas aggravé par la pauvreté et les déserts médicaux dans les territoires ruraux ?
- Oui ! Le taux de pauvreté des personnes âgées en Corse est effectivement de 12,5 % contre 8,4 % au niveau national avec un niveau de revenu plus faible. Les déserts médicaux font aussi partie de la problématique, et même si la situation tend à se régler dans les microrégions, elle n’est pas encore satisfaisante. J’en profite pour dire que les personnes âgées, en dehors de celles dépendantes qui sont souvent placées dans une structure EHPAD, ne manquent pas forcément de médecins, mais d’une vraie prise en charge, c’est-à-dire un maintien à domicile avec un domicile qui soit assez bien conçu de manière qu'elles aient le moins de difficultés possibles. C’est pourquoi ce schéma, qui est le premier à l’échelle de l’île, est si important. Nous avons mis l’accent sur des mesures nouvelles et extrêmement concrètes qui se déclinent en cinq orientations stratégiques et 22 fiches action pour les cinq années à venir.

- Justement, que proposez-vous de nouveau ?
- La première orientation stratégique est « Invechja bè in casa soia », c’est-à-dire donner la possibilité à chacun de bien vieillir chez soi. Elle faisait déjà partie de la feuille de route que j’avais présentée en 2018 : « U prughjettu d’azzione suciale 2018-2021 » et qui avait déjà érigé le maintien à domicile comme une priorité absolue et mis l’accent sur la prévention de la perte d’autonomie. Des personnes n’ont pas besoin d’être médicalisée tout le temps. Avec ce schéma, nous allons plus loin parce qu’il faut repérer la fragilité et faire encore plus de prévention. On en fait déjà dans « les ateliers du bien vieillir » qui sont des ateliers gratuits de gym, d’informatique, de mémoire... Quasiment toutes les intercommunalités du territoire y ont adhéré et les proposent désormais. S’y ajoute bien sûr le soutien à domicile avec un meilleur accompagnement des services d’aide à domicile. Il y a quand même 9430 personnes qui bénéficient de l'allocation personnalisée d’autonomie (APA) et plus de 2500 personnes employées sur le secteur de l’aide à domicile. Le soutien à domicile est, donc, chez nous, très important. Il faut également accompagner des situations complexes.
 
- C’est-à-dire ?
- Nous allons développer, par exemple, une technicothèque qui permettra de fournir aux personnes âgées des aides techniques à domicile, comme par exemple la domotique. On va également monter un Living Lab au premier trimestre 2022 pour proposer, notamment, une cuisine totalement adaptée à la dépendance avec des meubles qui s’ouvrent facilement, qui viennent au niveau des personnes, en ascension verticale ou horizontale… Egalement des aides techniques, comme les chemins lumineux, les détecteurs de chute... Tout cela permet aux personnes âgées, qui ne veulent pas aller dans les structures, de rester à leur domicile. C’est essentiel ! Le Living Lab est également important d’un point de vue économique, notamment en Centre Corse. Les entreprises locales pourront s’inspirer de ces modèles et les installer dans les maisons.
 
- Votre seconde orientation est de « structurer une offre intermédiaire inclusive ». Qu’entendez-vous par là ?
- Nous avons déjà créé deux résidences autonomie, une sur Corti et l’autre en Balagne. Nous allons en proposer deux autres, soit 50 nouvelles places sur tout le territoire, peu importe où, mais pas d’un bloc. Cela pourra être décliné sous forme de 10 ou 20 places. Les projets inclusifs sont une demande qui émane également des Intercos. Ils permettent de mutualiser les moyens d’allocation pour l’autonomie ou de la prestation du handicap. Cela signifie que, dans une même résidence, par exemple, quatre petits appartements seront occupés par des personnes âgées pas trop dépendantes et par une personne en situation de handicap, pas trop dépendante non plus. C’est une façon de mutualiser les moyens d’aide à domicile dans un habitat commun. Nous encourageons aussi, évidemment, les maisons d’accueil familiales.
 
- Vous proposez également de transformer l’offre médico-sociale existante pour l’adapter aux attentes. Comment ?
- Nous finançons les services d’aide à domicile par le biais de prestations. Une revalorisation des salaires a été votée dans le cadre du Ségur de la santé. Les salariés des 17 services d’aide à domicile, qui ont conventionné avec la Collectivité de Corse (CDC), vont percevoir 243 € de revalorisation salariale mensuelle. Les services d’aide à domicile, qui n’ont pas encore conventionné avec la CDC, percevront une augmentation de leur tarif plafond qui passera à 22 € de l’heure. Nous allons leur proposer de conventionner avec nous pour les accompagner dans leur revalorisation salariale. C’est important parce c’est un secteur en souffrance qui manque d’attractivité. Nous avons également créé une plate-forme des métiers de l’autonomie qui sera portée par un service d’aide à domicile sur Corti. Le but est de montrer l’attractivité et la revalorisation de ce métier qui ne consiste pas seulement à faire du ménage pour les personnes âgées, mais qui est un véritable accompagnement à la personne. C’est un métier essentiel et incontournable ! Un travail a également été initié à l’Assemblée de Corse sur la revalorisation et la formation.

L'hémicycle de l'Assemblée de Corse et du CESEC. Photo Michel Luccioni.
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse et du CESEC. Photo Michel Luccioni.
- Le CESEC a émis des préconisations sur la question du secteur privé et des aides à domicile. Que lui répondez-vous ?
- Il faut bien que tout le monde comprenne que la Collectivité de Corse n’a pas la main sur tout ! Surtout pas sur le secteur privé ! Nous ne sommes pas responsables de la situation due à la crise COVID que connaissent certains EHPAD. Les familles sont libres de garder leurs parents à domicile, et les personnes âgées sont libres de rester à leur domicile. Quand elles y ont droit et qu’elles en font la demande, nous leur versons l’APA, on ne peut pas nous le reprocher ! C’est leur droit !
 
- Quel est le coût financier de ces nouvelles mesures pour la CDC ?
- Ce schéma représente un effort financier sans précédent de 52 millions d’euros qui se rajoutent aux 120 millions d’euros du budget déjà existant de la CDC sur l’autonomie. Sur cette somme, 7 millions d’euros seront consacrés à la revalorisation salariale, en plus des 55 millions d’euros que nous mettons déjà sur le secteur de l’aide à domicile. Nous prévoyons également un plan d’investissement sur les EHPAD de 15 millions d’euros pour améliorer la prise en charge. Cela concernera les EHPAD publics ou associatifs à but non lucratif, c’est-à-dire la majorité des EHPAD existant en Corse. L’objectif n’est pas d’augmenter l’offre en EHPAD, mais de spécialiser l’offre existante, notamment sur les troubles cognitifs, et d’améliorer la qualité et la médicalisation des personnes qui en sont atteintes. Ce sont des besoins lourds. Nous avons également en projet de faire évoluer le règlement sur le recours aux successions qui est parfois un frein au placement en EHPAD pour certaines familles. Nous voulons vraiment prévenir la dépossession des biens familiaux. Même si c’est la loi, nous refusons, pour notre part, depuis que nous sommes élus, de déposséder les familles corses de leur bien familial, mais nous voulons pouvoir l’acter juridiquement.
 
- Vous parlez d’améliorer le soutien aux proches aidants. De quelle façon ?
- Il s’agit d’accorder du répit aux aidants familiaux. Etre aidant, c’est un vrai métier parce que certains s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leur enfant en situation de handicap ou de leurs parents qui sont très dépendants, notamment d’un point de vue cognitif. Nous voulons accompagner les EHPAD pour qu’ils proposent, à la fois, une offre d’hébergement temporaire et un accueil de jour pour soulager les aidants qui en ont besoin. Nous allons créer, dans le cadre de ce schéma, un accueil de jour de 36 places d’hébergement sur tout le territoire.
 
- Vous dites également qu'il faut « fonder un nouveau pacte social ». De quoi s’agit-il ?
- Il s’agit, d’abord, de faciliter l’accès au droit par la mise en place d’un guichet unique, comme c'est déjà le cas dans d’autres secteurs du social. La constitution des dossiers est parfois assez complexe, vu le nombre de documents demandés. Il faut simplifier au maximum les procédures et les démarches de l’accès au droit. C’est une demande forte des usagers. Nous allons, donc, créer un numéro vert pour les usagers et aussi un comité d’usagers. Il faut que tout le monde ait les mêmes droits sur tout le territoire.
 
- Enfin, vous voulez renforcer l’ancrage territorial des politiques d’autonomie. N’est-ce pas déjà fait ?
- Oui ! Nous le faisons déjà. Depuis quatre ans, nous avons, à travers la collectivité unique, engagé de gros chantiers. Maintenant, le but est de travailler au plus près des Intercos en expérimentant de nouveaux modes de coopération infra-territoriale. C’est vraiment l’enjeu de cette nouvelle mandature parce que certains territoires sont parfois très reculés, ils ne doivent pas souffrir d’un éloignement avec la ville. C’est également une remontée du terrain. Nous allons aussi mettre en place un observatoire de l’autonomie au sein de la collectivité de Corse. Nous nous sommes rendus compte, ces quatre dernières années, que nous manquions d’indicateurs, or il est important pour mettre en œuvre les politiques publiques d’avoir des indicateurs. Cela permet d’améliorer l’existant par des retours sur expérience, de voir ce qui pêche, ce qui manque, ce qu’il faut corriger ou pas, ce qui marche ou pas.... Notre volonté est de balayer tous les champs pour nous adapter, à chaque fois, aux situations nouvelles et anticiper le vieillissement de la population à l’horizon 2030 qui s’annonce plus prononcé que ce qui existe actuellement.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.