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Autonomie : Gilles Simeoni propose à l’Assemblée de Corse de voter une délibération sur des points essentiels


Nicole Mari le Jeudi 9 Mars 2023 à 17:59

Après trois mois de suspension, les discussions sur l’autonomie et l’avenir de la Corse ont repris le 24 février à Paris au ministère de l’intérieur en présence d’Emmanuel Macron. Cette troisième réunion a fait l’objet d’un échange à l’Assemblée de Corse, jeudi matin, où chaque groupe politique a commenté, entre optimisme et prudence, les propos du Chef de l’Etat, et fait part de ses inquiétudes sur le calendrier contraint. Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, leur a proposé de se mettre d’accord sur les points essentiels à travers le vote d’une délibération.



L'hémicycle de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
L'hémicycle de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
Des perspectives importantes et des incertitudes, de la confiance prudente, mais aussi des inquiétudes. La restitution, jeudi matin, par les groupes politiques de l’Assemblée de Corse, du troisième Comité stratégique sur le processus d’autonomie qui s’est tenu, le 24 février à Paris, est certainement la plus apaisée de toutes les discussions qui l’ont précédée sur le sujet. Il est vrai que la présence du chef de l’Etat, sa portée politique et symbolique, a contribué à réchauffer une ambiance qui s’était nettement rafraichie ces derniers mois, et pour certains a même changé la donne. « Le président de la République a dit des choses importantes et puissantes qui actent des perspectives : la confirmation qu’il y aura une révision constitutionnelle en 2024, et que la Corse et la Nouvelle Calédonie sont prévues pour y être intégrées spécifiquement et explicitement. Il dit avoir entendu le besoin de reconnaissance d’une langue, d’une identité, d’une histoire et nous avons ajouté : d’un peuple. Enfin, il dit qu’il faut réinscrire la Corse dans son destin méditerranéen, ce qui aura pour conséquence de dédramatiser la question institutionnelle, une référence implicite aux statuts des autres îles méditerranéennes qui sont autonomes », résume le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni. La présentation des statuts de la Polynésie et de la Nouvelle Calédonie, pendant la réunion, démontre, ajoute-t-il « qu’il y a déjà la place, y compris dans le droit constitutionnel actuel, pour un corps électoral différencié et une sacralisation du lien entre le peuple kanak et sa terre en Nouvelle Calédonie, pour un accès prioritaire à l’emploi des locaux et une régulation de l’accès à la propriété foncière en Polynésie. Tout cela existe, ce qui montre bien, y compris quand on ne veut pas créer deux catégories de citoyens, qu'il y a la possibilité de reconnaître des droits spécifiques à un certain nombre de citoyens ». Une façon pour le président Simeoni de balayer, comme hors sujet, les deux lignes rouges réitérées par Emmanuel Macron.

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Un titre dans la Constitution
L’incertitude pour Gilles Simeoni porte surtout sur le projet de révision constitutionnelle et la majorité des 3/5ème nécessaire à son adoption. « Il faut deux conditions impératives : que nous nous entendions, nous élus de la Corse et ensuite avec le gouvernement, sur un projet de révision constitutionnelle et que ce projet soit voté par les 3/5ème des parlementaires. Ce sont des conditions difficiles à remplir », avoue-t-il. Il réaffirme que le projet doit être construit dans un dialogue interne à la Corse, d’abord entre Nationalistes « quelques soient les difficultés et les désaccords, il est normal de rechercher la convergence entre les membres d’une même famille politique ». Ensuite, avec l’opposition de droite « pour rechercher l’accord chaque fois qu’il est possible », enfin en associant l’ensemble des forces vives tout en rappelant que « dans une démocratie, c’est le suffrage universel qui fixe la règle ». Gilles Simeoni propose aux élus de débattre sur un certain nombre de principes et de les fixer dans une délibération de l’Assemblée de Corse : « d’abord, un titre consacré à la Corse dans la Constitution, c’est la façon la plus forte de consacrer sa spécificité et de la différencier par rapport aux autres statuts. La Nouvelle Calédonie a un titre, la Polynésie a un statut d’autonomie dans le cadre de l’article 74, mais la Corse a une situation différente, elle n’est ni la Martinique, ni la Guyane, elle n’a pas à figurer ni dans l’article 73, ni dans l’article 72 par un alinéa spécifique. Le titre permettra aussi à l’Etat de se garantir contre le risque de contagion ». Au-delà du titre, le président de l’Exécutif souhaite une loi organique.
 
Pas d’alternative à la réussite
Gilles Simeoni martèle ensuite que « l’autonomie, ce sont aussi les enjeux du quotidien » et s’attache à lever trois inquiétudes. La première sur le transfert de fiscalité qui mettrait fin aux aides de l’Etat, notamment pour les entreprises. « Ce n’est pas vrai ! Dans tous les systèmes autonomistes subsistent des logiques de péréquation ». La deuxième concerne la santé, la sécurité sociale et les retraites : « Nous avons des propositions à faire. Il est impensable pour nous que l’autonomie puisse se traduire par un recul de la garantie et des protections sociales ». La troisième brandit la régression en matière de droits sociaux, de protection de l’environnement et d’urbanisme. « Un changement de majorité parlementaire ou présidentielle en France peut se traduire par une régression de ces droits et protections », fait remarquer le président. « Il ne peut pas y avoir de régression. L’autonomie ne peut être que synonyme d’avancée sociale ». L’autre enjeu, poursuit-il, est la nécessité de renforcer les moyens des communes et intercommunalités et de faire évoluer les périmètres. « Le travail interne est considérable dans un temps bref qui va nous imposer de travailler à une cadence soutenue », avertit-il. « Il faudra aussi prendre notre bâton de pèlerin pour convaincre les députés et sénateurs de nous aider à construire une majorité des 3/5 ». Un chemin qu’il qualifie « d’incertain et complexe », mais, malgré les obstacles, il reste « fondamentalement optimiste parce que c’est le sens de l’histoire et qu’il n’y a pas d’alternative à la réussite. L’alternative, c’est une Corse qui reste dans l’échec, sous la menace de logiques puissantes et prédatrices… qui vont détruire ce que nous sommes. Et je suis sûr que nous allons réussir ».
 

Paul Quastana. Photo Michel Luccioni.
Paul Quastana. Photo Michel Luccioni.
Une question d’interprétation
Comme d’habitude, ce sont les groupes indépendantistes qui ouvrent le débat. L’élu de Core in Fronte, Paul Quastana pointe le manque de préparation dans un calendrier très contraint : « Cela fait un an que le processus a démarré avec un certain nombre de ratés, c’est dans le fil de l’histoire, il faut mettre un pied après l’autre et monter marche par marche. Est-on prêt pour la discussion ? Non ! On n’a eu aucune réunion structurelle pour mettre au point un projet cohérent dans lequel il faut faire parler notre intelligence propre. Il va falloir faire vite et consulter tout le monde. On a perdu beaucoup de temps, il nous reste quatre mois ». A Corsica Libera, Josépha Giacometti ne partage pas « l’enthousiasme » de la délégation insulaire à la présence du chef de l’Etat. « Il a fait un exercice de communication comme il sait les réussir actant que s’il y a échec, ce n’est pas de sa volonté. Tant mieux si on sort d’une séquence absurde de 25 ans où on n’a pu parler de rien ! Un discours plus ouvert sur la forme, mais le fond n’a pas beaucoup varié. Il a réaffirmé les lignes rouges : l’autonomie n’est pas une finalité pour l’Indépendantiste que je suis, mais peut être une étape acceptable si c’est pour une autonomie législative. Il a redit que la réforme était un horizon possible comme d’autres, mais un horizon s’éloigne au fur et à mesure qu’on se rapproche ». Pour elle, tout est une question d’interprétation : « Nous sommes pour le transfert de l’ensemble des compétences, hormis le régalien. Si vous demandez cela, nous serons au rendez-vous. Si on va nous vendre un préambule ou un titre et évoqué une entité ou une communauté, décorrélée de droits et de possibilités juridiques pour faire valoir ces droits, on ne sera pas au rendez-vous ».

Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Pas de solution collective
Interpréter, c’est également ce que fait l’opposition de droite. Pour Jean-Martin Mondoloni, président du groupe U Soffiu Novu, la présence présidentielle dit trois choses : « Elle affirme le souhait et l’implication au plus haut niveau. Le Président de la République prend 1h30 de son temps pour venir s’adresser à la délégation. Il a rappelé les deux lignes rouges. A titre personnel, j’ai qualifié ça d’horizon indépassable. Nous, on est à l’aise là-dedans puisqu’on les partage. Je reprends ses mots : « besoin de reconnaissance et de différenciation ». Après on parle d’article 72, 73, 74, d’un titre dédié… On ne va pas jouer les constituants comme en 2018 ! Ça peut être creux si ce n’est pas complété par des lois organiques et ordinaires ». Pour lui, le Chef de l’Etat « attend de la Corse qu’émerge une solution collectiveJe ne l’interprète pas seulement comme un titre à insérer dans la Constitution. Ça nous invite à un projet plus global ». Mais estime-t-il « à ce jour, on n’est pas en ordre de bataille pour dire ce que l’on veut ». Il tacle la logique majoritaire de l’Exécutif : « Vous considérez que vous avez été élus pour aller là où vous voulez. Donc, si on suit ce raisonnement, il n’y a rien à faire, vous y allez seuls ! On peut à l’inverse être plus ambitieux et faire un travail plus collectif. Deux blocs s’affronteront sinon ! Nous refuserons l’aventure et demanderons un référendum. On vous le répète : ou on le fait ensemble, ou vous vous débrouillez ? Pour l’heure, il n’y a pas l’émergence d’une solution collective ».

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Un fait irréfutable
S’il partage une grande partie des inquiétudes, le président du groupe PNC-Avanzemu, Jean-Christophe Angelini, déclare, lui aussi, que la présence présidentielle a « une signification politique dont on verra à l’usage ce qu’il en est. Il y a cette idée claire de nous inscrire dans la révision constitutionnelle, c’est un fait irréfutable », même si, nuance-t-il « Personne n’a de boule de cristal pour savoir quel sera le chemin des mois à-venir ». Il se montre pragmatique. La méthode ? « Attendons qu’elle soit posée et on fera au mieux ». Le fond ? « Il y a une forme de clarté, il n’a pas été question de peuple, de langue, faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain parce que des termes clés n’ont pas été versés au débat ? Non ! Sur le vote méditerranéen, il faut qu’on y travaille. L’Exécutif semble attaché au statut des Açores, Paris veut l’Outre-Mer, il y en a beaucoup d’autres. Ensuite, il faut décliner politiquement les droits d’un peuple, d’une langue, d’une terre et donner des contenus ». Il répond positivement à la proposition du président Simeoni : « Pour nous nationalistes, il faut que le processus procède d’un fait politique. L’idée du titre nous séduit assez, vous nous direz le contenu que vous voulez y mettre, restera à en débattre. L’appel que vous lancez aux nationalistes, je ne suis pas votre allié, mais on répondra présent, même si le désaccord est profond et les difficultés majeures ». Il y met une condition de principe : « que ce ne soit pas contre les autres élus, qu’il n’y ait pas un accord entre nationalistes en laissant aux autres le soin de s’aligner ou pas. On n’écrira pas la copie des nationalistes contre le reste des Corses ». Et de lancer : « C’est un problème de volonté politique. Si elle existe, c’est un chemin, si elle n’existe pas, c’est une impasse. C’est trop engagé pour une impasse. Allons-y résolument ! ».

Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Une bataille à mener
Les signes donnés par l’Etat sont également positifs pour la majorité territoriale. L’élu de Fa Populu Inseme, Hyacinthe Vanni se dit optimiste : « Les choses ne vont pas se faire d’un coup de baguette magique, il va falloir se battre, même perdre quelques batailles, mais nous savons où nous voulons aller. Les choses se construisent. Elles sont claires : oui, il y a un peuple corse ! Il faut le réaffirmer. Il y a une langue, il faut le marteler. Il y a une culture, un problème de foncier, on l’appellera statut de résident ou autre chose. Si on nous dit qu’il n’y en a pas, ça pose un problème, mais ce n’est pas ce que j’ai entendu. J’ai posé une question très directe sur la spéculation immobilière dans mon village qui n’est pas au bord de mer. J’ai dit au ministre : donnez-nous les moyens de régler ce problème et appelez-le comme vous voulez. C’est pour cela que l’on mène ce processus. Réponse du ministre : je ne suis fermé sur rien. La bataille n’est pas gagnée. Il faut la mener et je suis sûr qu’on va la gagner ». En conclusion, Gilles Simeoni entend, encore une fois, clarifier les choses : « La recherche de convergence ne peut pas être l’unanimité, ni un consensus fade, et nous assumerons les désaccords. Nous ne déferrons pas à une commande présidentielle, nous avons vocation à construire le projet, nous sommes élus pour cela. La perversion démocratique, c’est de dire que le gouvernement ne prendra pas la solution si on n’a pas une unanimité, ce serait une démarche rétrécie, insuffisante à l’égard des enjeux ». Et de plaider : « Mettons-nous d’accord sur les éléments essentiels du processus dans une délibération. Juin est un point d’étape, il faut être prêt pour septembre ».
 
N.M.