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Assassinat d’Yvan Colonna : Les syndicats des personnels dénoncent le manque de sécurité dans les prisons


Nicole Mari le Jeudi 16 Février 2023 à 18:56

Poursuite des auditions à l’Assemblée nationale sur l’assassinat d’Yvan Colonna par un détenu islamiste radicalisé, Frank Elong Abe, le 2 mars 2022, à la maison centrale d’Arles. La Commission d’enquête parlementaire a entendu successivement, ce mercredi, les représentants des organisations syndicales des personnels de direction et des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire. Si les premiers ont tenté de dédouaner leur consœur, ex-directrice de la maison centrale d’Arles, les seconds ont dressé un tableau noir du système carcéral, du manque de moyens, de l’impuissance et du désarroi des surveillants face à l’explosion de la violence et à l’autisme de leur hiérarchie sur le manque de sécurité.



Les représentants des organisations syndicales des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire.
Les représentants des organisations syndicales des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire.
C’est un véritable réquisitoire contre le manque de sécurité dans les prisons et contre la décrépitude du système carcéral auxquels se sont livrés, dans un chœur unanime, les représentants des organisations syndicales des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire lors de leur audition, mercredi après-midi, par la Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna par un détenu islamiste radicalisé Frank Elong Abe, le 2 mars 2022, à la maison centrale d’Arles. Pendant près de 2h20, dans une séquence intense et sans langue de bois, les syndicats de surveillants ont exprimé leur émotion, leur colère et leur désarroi et brossé un tableau noir de la situation globale du système carcéral. Un tir groupé où il apparait, au fil des interventions, que l’assassinat d’Yvan Colonna n’est que la partie immergée d’un iceberg de violences ordinaires, le désastreux reflet du quotidien des prisons françaises. « La mort d’un homme est toujours un drame. On ne doit pas mourir en prison. C’est quelque chose qui ne devrait pas arriver, malheureusement ça arrive trop souvent. Il y a un détenu qui est décédé en décembre suite à une agression. On se dit forcément qu’il y a eu des failles », débute Emmanuel Baudin du Syndicat national FO Justice.
 
Un système en crise
Le syndicaliste dresse un constat glaçant du manque de moyens : « On est dans une situation dramatique puisqu’on est en incapacité de couvrir l’ensemble de nos missions, faute de personnels. L’administration pénitentiaire peine à recruter. Le métier n’attire plus parce qu’il est difficile…, les salaires n’ont pas été réévalués. On va bientôt avoir 15 000 places de prison mais, en l’état, on sera dans l’incapacité de les ouvrir ». Avant de pointer la surpopulation carcérale et le manque de sécurité : « En maison centrale, on mélange tout le monde, des cas psys, des gens dangereux avec des gens qui le sont beaucoup moins, et on arrive à des drames, comme en Arles. En 2018, on a demandé une classification des établissements, mais, à la place, on a créé des quartiers spécifiques qui ne sont pas efficients. On a un vrai souci sur la problématique de mélanger tout le monde pour désengorger les maisons d’arrêts qui explosent. Ce qui est aberrant, c’est qu’il y a des maisons centrales hyper-sécuritaires, qui étaient censées gérer ces détenus hyper-dangereux – le meurtrier d’Yvan Colonna est passé par l’une d’elles -, et qui sont à moitié vides. Il faut recruter le personnel, donner des moyens et classifier les établissements. Il faut qu’on accepte que des gens sont perdus pour la société ». Emmanuel Chambaud de l’UFAP-UNSa Justice, enfonce le clou. Pour lui aussi, Franck Elong Abe « n’avait pas sa place dans une détention classique. On mélange le tout venant à des terroristes, des détenus psys. Des détenus se font tuer et des collègues se font grossièrement agressés ou font l’objet de tentatives d’assassinat. La pénitentiaire va très mal. On bat des records d’incarcération malgré les mesures alternatives, les poses de bracelets électroniques sont en train d’exploser. On a un hôtel plein à 200%. La surpopulation et la dangerosité augmentent. Ce qui s’est passé à Arles peut se reproduire à n’importe quel moment dans n’importe quel établissement. Ça a encore été le cas ce weekend. La violence est amplifiée dans les prisons, la réponse, tant administrative que pénale, n’est pas adaptée ». Le bref témoignage de son collègue local, Thomas Forner, affecté à la maison centrale d’Arles, relate le malaise : « L’état de cette centrale n’a fait que se dégrader. Les profils les plus compliqués nous sont envoyés avec un fort taux de dangerosité : les radicalisés, les islamistes, les profils psychiatriques sont à une cellule d’intervalle. Les incidents se multiplient. Personne ne l’entend. On y envoie tous les détenus ingérables sur les autres structures sous prétexte que c’est une maison centrale, mais où sont les moyens humains ? ».

Deux mondes différents
Des dysfonctionnements relayés par Joseph Paoli du Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés (SPS) qui exprime « un sentiment de colère et de lassitude devant le laxisme depuis les attentats de 2015. On parle de dysfonctionnements par rapport à la direction et à la prise en charge de détenus spécifiques. Il y a deux mondes différents : le monde de la direction qui a une gestion humaniste des détenus et le monde des personnels de surveillance qui font de la sécurité. On donne des renseignements sur des détenus, on nous prend pour des enfants, on n’est pas écouté… Les directeurs d’établissement n’ont pas la culture de la sécurité. Ils gèrent à leur façon, totalement en décalage avec les agents. C’est incompréhensible ! C’est hors sol ! ». Il raconte qu’un collège d’Arles lui a rapporté « un changement d’attitude vestimentaire et de comportement d’Elong Abe pendant plus de 15 jours quand il y a eu la chute de Kaboul en août 2021. Les surveillants l’ont surnommé « AIR Kaboul ». C’est un renseignement très important qui n’a pas été noté, alors que ça aurait du interpeller la direction. On n’a pas pris sérieusement en compte le profil de cet individu. C’est franchement déplorable ! ». Il confirme les pressions que ce dernier a exercé sur les autres détenus pour obtenir le poste d’auxiliaire. « Un détenu qui ne parle plus aux personnels, complètement fermé dans sa doctrine et qui demande un poste, ça interroge sur la direction locale et la direction interrégionale. Les lacunes ne viennent pas de la base, mais d’en haut ». Il ressort des interventions qu’Elong Abe cumule les trois profils : radicalisé, violent et psy. « On en savait assez pour le mettre à l’écart des autres détenus », estime Yoan Karar de FO Justice. « La place de ce détenu n’était clairement pas dans une détention normale. Le choix a été fait d’écouter les magistrats et pas les professionnels du terrain, et on arrive au drame qu’on a connu », renchérit Emmanuel Chambaud. Le contraste est saisissant avec un Yvan Colonna décrit par Thomas Forner comme « quelqu’un d’avenant, d’intelligent, respectueux du règlement, jamais un mot plus haut que l’autre, aucun emportement. Si on les avait tous comme ça, on ne s’en plaindrait pas ! Il entretenait de bons rapports avec le détenu Elong Abe, toujours correct. Un détenu qu’on aimerait tous avoir en détention ».
 
Une faute de l’institution
Les syndicalistes expliquent que le drame du 2 mars est loin d’être un cas isolé. Ils égrènent d’autres incidents graves qui ont eu lieu depuis, à la centrale d’Arles et ailleurs, deux meurtres en 6 mois à la prison d’Avignon par exemple… « On a complètement oublié les missions de sécurité premières. Si le détenu était passé en QER, on n’en serait pas là ! Au lieu de ça, on l’a mis à la centrale d’Arles à l’isolement, il s’est bien comporté. C’était un gentil ! On l’a laissé faire, et après on met en cause les agents, on tire sur l’ambulance. On n’a pas de notes de suivi des DPS. L’histoire des caméras, ça me rend fou ! On n’a pas de formation ! », déplore Philippe Kuhn du SPS. Une direction, poursuit Vincent Le Dimeet du SNEPAP-FSU, qui « essaye d’acheter la paix sociale au niveau des détenus en les classant. Mais en cas de problème, c’est très compliqué de déclasser un détenu ». Pour Eric Faleyeux de la CFDT pénitentiaire, l’agression d’Yvan Colonna renvoie à la gestion des détenus radicalisés terroristes : « Cette question n’est pas nouvelle. 70% des détenus, qui sortent des QER, sont affectés dans des prisons de droit commun. Je vous laisse imaginer ce que ça peut donner en termes de prosélytisme ». Le problème, selon Eric Aouchar du SNEPAP-FSU est le transfert de détenus psy de l’hôpital à la prison. « On a affaire à des gens radicalisés sur le plan psychiatrique. On les incarcère à gogo. On estime à 40-45% de détenus qui ont des troubles psychiatriques majeurs. La pénitentiaire gère les détenus psy pour des raisons purement économiques. On marche sur la tête ! Il y a du stress partout. Sur les établissements pénitentiaires d’Ile de France, il y a entre 200 et 250 incidents par jour. La prison aujourd’hui n’a plus de fonction principale de réinsertion, mais d’exclusion sociale ». Concernant la faute de non-vigilance imputée à l’agent de surveillance dans le cas du drame d’Arles, il rétorque : « Une seule personne sur un poste avec des gens dangereux, c’est déjà une faute de l’institution. Quand on engage la responsabilité des personnels, il faut l’évaluer par rapport aux conditions de travail. Tout le débat sur la dangerosité est un fantasme, elle doit être évaluée de façon pertinente. Rien ne changera si on ne change pas de système ». Vincent Le Dimeet précise de même : « Quand il y a un surveillant manquant, on découvre les zones d’activité, comme les salles de sports, il n’y a aucune surveillance de ces zones ».

La thèse du complot
Rapporteur de la Commission d’enquête, Laurent Marcangeli revient sur les omissions de l’ex-directrice d’Arles lui oppose la dimension politique locale, l’assassinat du Préfet Erignac et l’arrestation du commando. « La Corse a trainé ce fait depuis 25 ans, ça a été très difficile. Il y a une partie de la gestion du commando qui pose question : sur les remises de peine, la fameuse levée du statut de DPS qui est un acte administratif. Le sentiment que les gens ont chez nous, c’est qu’il n’y a eu aucun cadeau dans les conditions de détention alors que c’étaient des détenus qui ne posaient pas de problèmes. Pour d’autres détenus qui posaient des problèmes en matière de dangerosité, il y a eu des accommodements ». Le député pose une question directe : « Chez moi, des milliers de personnes doutent. On pense que ça a été voulu. C’est grave ! Peut-on accorder de la véracité à la thèse : c’était voulu qu’il ne sorte jamais ? ». Cette mise en cause de l’institution gène Eric Aouchar : « La piste est dangereuse parce que cela impliquerait la probité des personnels pénitentiaires. Il n’y a pas d’éléments objectifs. Il y a un enchainement de dysfonctionnements qui peut laisser penser, mais objectivement on a un profil plus ou moins de psychopathe avec des passages à l’acte. Il faut prendre en compte le fait du hasard ». Difficile de répondre, réagit Emmanuel Chambaud : « Le détenu Colonna était un détenu médiatique parce qu’il avait tué un préfet de la République. Ce n’était pas un détenu ordinaire. C’était voulu ou pas voulu ? On ne sait pas ! Il est resté DPS parce que c’est un détenu médiatique et que son affaire était médiatique ». Le président de la Commission d’enquête, Jean-Félix Acquaviva, tacle cette différence de traitement : « Il y a eu d’une part, une recherche de paix sociale pour justifier à tous prix la préparation de sortie d’un individu dont on savait qu’il était très dangereux de manière permanente, et de l’autre, quelqu’un à qui on maintient le statut pour empêcher le rapprochement familial. Des critères liés à son procès et pas à son parcours carcéral ».  Vincent Le Dimeet reconnait que pour Yvan Colonna et les deux derniers détenus du commando « il aurait été grand temps qu’ils rentrent en Corse. Pourquoi on ne pourrait pas gérer un statut de DPS en Corse ? Sur le nombre d’années et le comportement presqu’irréprochable des personnes, il faut se poser la question ».

Laurent Marcangeli et Jean-Félix Acquaviva.
Laurent Marcangeli et Jean-Félix Acquaviva.
Le malaise des directions
Cette séquence des syndicats des surveillants tranche totalement avec la précédente où les représentants des syndicats de direction ont tenté, sans cacher leur malaise, de dédouaner leur consœur, l’ancienne directrice de la centrale d’Arles, Corinne Puglierini. Autant les mots des agents sont directs, précis et cash, autant ceux des directions louvoient dans un plaidoyer corporatiste qui ne convainc pas les députés de la Commission d’enquête. Sébastien Nicolas du SNP FO Direction évoque un environnement carcéral complexe « 8 morts : un triste record pour l’année 2022 » et relativise les décision prises : « Il y a quand même un agresseur qui doit répondre de ses actes devant la justice ». Des propos repris par Jean-Michel Dejenne du SNDP-CFDT qui interpelle directement le président Acquaviva. « Depuis le 1er mars 2022, jamais une telle hypothèse ne m’a effleuré l’esprit. Non ! l’administration pénitentiaire n’a pas organisé la mort d’Yvan Colonna. Ma réponse, quand on apprend une information pareille, est la stupeur, l’effroi et un sentiment d’échec ». Le député RN Romain Baubry interroge sur le non-partage des informations sur Elong Abe, sur « les dysfonctionnements et la gestion extrêmement laxiste » et lance : « Combien d’autres Mme Puglierini y-a-t-il dans nos prisons en France ?». Sébastien Nicolas botte en touche : « Le renseignement fonctionne sur le principe du besoin d’en connaître, c’est-à-dire l’information donnée aux structures. Je ne sais pas trop ce qu’est qu’une gestion laxiste. Moi, ça ne m’évoque rien. Je comprends qu’une organisation syndicale puisse avoir des reproches à faire à une direction. Une gestion plus souple n’est pas plus mauvaise qu’une gestion plus stricte. On est plutôt sur une prise en charge individuelle que spécifique de la radicalisation ». Tout en admettant : « On ne peut pas laisser sortir un individu comme Elong Abe de l’isolement à la vie libre. On se rend bien compte que la stratégie adoptée est une erreur ». Philippe Lamotte, secrétaire national de FO Direction, refuse de juger « notre collègue Corinne. Elle a exercé pendant 6 ans, si elle avait eu une gestion laxiste, l’administration l’aurait corrigée. Chaque chef d’établissement gère comme il veut. Si Corinne a classé l’incident, c’est qu’elle avait ses raisons pour le classer ». Un exercice de style que n’apprécie pas du tout le président Acquaviva : « Le caractère expérimenté et rigoureux de Mme Puglierini ouvre un questionnement sur le fait qu’elle n’a pas respecté les process pour un individu qui est en haut du spectre. Cela alimente les doutes et interpelle dans l’enchainement qui a conduit à l’agression d’Yvan Colonna. On parle d’un terroriste islamiste ». Jeudi matin sont été auditionnés les anciens députés, François Pupponi et Bruno Questel, et ensuite l’ancienne garde des Sceaux de François Hollande, Nicole Belloubet. Les auditions se poursuivront jusqu’au 10 avril. Jean Félix Acquaviva annonce, en fin de séance, que les membres de la Commission d’enquête se rendront à la centrale d’Arles le 27 février prochain pour examiner les lieux.
 
N.M.

Les intervenants

Table ronde réunissant les représentants des organisations syndicales des personnels de direction de l’administration pénitentiaire :
- Jean-Michel Dejenne, secrétaire général du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP-CFDT);
- Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire FO Direction (SNP FO Direction), accompagné de Philippe Lamotte, secrétaire national de FO Direction.
 
Table ronde réunissant les représentants des organisations syndicales des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire :
- CFDT Pénitentiaire – Hassan Benatiya, secrétaire régional PACA, et Éric Faleyeux ;
-- Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU)
– Vincent Le Dimeet, élu au secteur « personnels de surveillance », et Éric Aouchar ;
- Syndicat national Force ouvrière Justice – Emmanuel Baudin, secrétaire général, Yoan Karar, secrétaire général adjoint ;
- Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés (SPS) : Joseph Paoli, secrétaire général national adjoint, et Philippe Kuhn, secrétaire général national adjoint ;
-- Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP-UNSa Justice) – Emmanuel Chambaud, secrétaire général, et Thomas Forner, secrétaire local.