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Après Beauvau, l’Assemblée de Corse rejoue le dîner


le Jeudi 29 Février 2024 à 22:40

À l’ouverture de la session de ce jeudi, au lieu de la traditionnelle séance de questions orales, c’est un débat sur le processus d’autonomie qui s’est joué dans l’hémicycle. Trois jours après le dîner de Beauvau, les élus ont longuement exprimé leur position vis-à-vis de l’avancement du processus d’autonomie.



« Un rendez-vous avec l’histoire ». Les mots se veulent à dessein forts dans la bouche de Gilles Simeoni. Devant l’Assemblée de Corse, ce jeudi, le président de l’Exécutif entend dessiner l’importance du moment, alors que le processus pour l’autonomie est sur le point de s’achever. Trois jours après le dîner de Beauvau, lors duquel le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a présenté sa proposition d’écriture constitutionnelle aux élus insulaires - qui étaient eux-mêmes montés à Paris avec leur propre copie en mains -, l’hémicycle est revenu durant plus de trois heures sur l’avancement des travaux.
 
« Je veux dire à ceux qui nous écoutent en Corse ou ailleurs, que notre responsabilité est immense parce que les hasards de l’Histoire font que ce sera à nous, au nom de notre institution, de décider. Notre responsabilité est immense face à l’Histoire, face au présent, et face à l’avenir. Elle nous commande de faire taire les divisions et d’écarter tout ce qui ne relève pas de l’essentiel. Elle nous appelle également à ne pas taire nos différences, à ne pas les évacuer, à les assumer sereinement, démocratiquement. Mais cette responsabilité immense nous impose également de réussir à trouver le chemin qui permettra de clore définitivement et irréversiblement un chapitre de plus de 60 ans de conflits, de drames, de prison, de familles qui souffrent, et d’en ouvrir un autre dans lequel ce peuple et cette île pourront enfin écrire sereinement dans le respect et le dialogue avec l’État et la République, l’histoire heureuse à laquelle nous avons droit. C’est là l’enjeu des prochaines semaines », a introduit Gilles Simeoni en appuyant : « Jamais dans notre histoire contemporaine la perspective d’une solution politique et d’un statut d’autonomie n’ont été aussi proches ». 
 
Rappelant que la délégation insulaire est ressortie de la réunion du début de semaine avec un projet modifié par rapport à la proposition initiale du ministre de l’Intérieur, le président de l’Exécutif a insisté : « Nous allons tout faire pour trouver le point d’équilibre que laissent entrevoir nos travaux de lundi. Il faudra à notre avis que ce point d’équilibre reprenne les items qui sont contenus dans la déclaration politique solennelle du 24 février ». « Si ce texte reprend dans des conditions que nous considérons satisfaisantes et équilibrées ce que nous avons voté, nous n’accepterons pas que ce texte soit édulcoré à l’Assemblée Nationale ou au Sénat », a-t-il par également glissé.  
 
« Créer les conditions politiques pour que l’ensemble des nationalistes soient réunis sur une position commune »
 
Alors que le temps presse, les élus devant à nouveau rencontrer Gérald Darmanin d’ici une quinzaine de jours, il a par ailleurs lancé un appel du pied à l’adresse de Josepha Giacometti Piredda, la seule représentante de Nazione dans l’hémicycle, qui s’est pour sa part désolidarisée du processus. « Je pense que nous devons créer les conditions politiques par-delà les désaccords, pour que l’ensemble des nationalistes soient réunis sur une position commune à l’occasion de ce moment historique, comme nous devons créer les conditions pour que l’ensemble des élus de la Corse puissent adhérer et soutenir le projet de révision constitutionnelle qui sera présenté », a-t-il instillé en développant : « Il faudra que cet accord contienne ce qui est essentiel et fondamental pour tout nationaliste, pas tout ce que nous pensons ou voulons, mais qu’il nous permette de considérer que l’essentiel est là et que nous avons gagné le droit pour ce peuple et pour cette île de reprendre la main sur le temps. Un temps qui aujourd’hui nous menace de disparition, à travers la rupture du lien avec la terre, à travers la disparition de notre langue à travers l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés dans tous les domaines, il faut que nous reprenions la main à travers un certain nombre de moyens essentiels, parmi lesquels un statut d’autonomie et un véritable pouvoir législatif ».

 

« Nous n’avons pas l’intention de reculer sur un certain nombre de fondamentaux »
 
Lançant les débats, Paul Quastana de Core in Fronte se questionne. Pour le militant historique, ce processus déclenché suite à la mort d’Yvan Colonna et aux réactions violentes qui s’en étaient suivies, aurait en effet conduit l’État à  lâcher le mot d’autonomie, sans prendre en compte ce qu’il impliquait, à savoir notamment, selon sa définition, l’octroi d’un pouvoir législatif. « J’ai l’impression qu’ils ne savent plus comment se dépêtrer dans laquelle ils se sont mis. On en arrive à nier une délibération ultra majoritaire, à considérer pratiquement que l’opposition minoritaire a un droit de veto, on fait du chantage par rapport à ce que pourraient décider l’Assemblée Nationale ou le Sénat », commente le conseiller territorial en déplorant « une situation quasiment ingérable ». « J’ai l’impression désagréable qu’on essaye d’édulcorer tout ce qu’on propose dans la délibération. Mais nous n’avons pas l’intention de reculer sur un certain nombre de fondamentaux », souffle-t-il. À ses côtés, Paul-Félix Benedetti soutient pour sa part : « L’inscription dans la Constitution doit permettre de sanctuariser la Corse. Elle doit permettre aux générations futures de pouvoir continuer à revendiquer en ayant de l’espoir ». De fait, il martèle : « On ne pourra pas se contenter d’un article biaiseux avec une rédaction interprétable ». Toutefois, il observe que cette validation constitutionnelle peut être « potentiellement forte ». « Je le constate en voyant la position des Guyanais qui réclament la même chose. C’est important », note-t-il. 
 
Sur les bancs de Fà Populu Inseme, Don Joseph Luccioni avertit de son côté : « Le processus ne doit pas se limiter à sa version institutionnelle ». « Il est là pour enraciner la paix, pour solder le conflit politique qui dure depuis des décennies. Et à ce titre, comme tous les processus de paix qui existent de par le monde, il doit permettre le règlement de la question des prisonniers et ancien prisonniers politique, le Fijait, les amendes, et les poursuites pénales et civiles en lien avec la situation politique de la Corse ». 
 
 
« Rien ne serait pire que le statut quo »
 
« Totem pour les uns, tabou pour les autres ». À droite, Valérie Bozzi, la co-leader d’Un Soffiu Novu reprend les mots prononcés par Emmanuel Macron en septembre devant l’Assemblée de Corse. « Six mois après, délai qui nous avait été donné pour trouver le plus large consensus, nous avons su sortir de ces concepts. Je crois que l’idéologie a été laissé de côté pour nous confronter au principe de réalité », se réjouit-elle en ajoutant : « Je pense que le texte proposé par le ministre est le bon point d’équilibre parce qu’il prévoit un pouvoir d’adaptation dans tous les domaines, et un pouvoir normatif dans des domaines définis par la loi organique. Comme cela personne n’a renoncé à ce qu’il pensait être le mieux pour l’avenir de la Corse ». Elle met toutefois en garde : « Rien ne serait pire que le statut quo ! ». « Ce texte constitutionnel n’est que le début du cursus qu’il va encore falloir mettre en place pour faire preuve de pédagogie. Il y a encore beaucoup de travail. Les Corses devront être consulté sur ce principe d’autonomie, il va falloir les convaincre, convaincre l’Assemblée Nationale et le Sénat », souffle-t-elle. Le président d’Avanzemu, Jean-Christophe Angelini abonde : « Nous ne pouvons pas attendre les bras ballants de savoir ce que ce texte deviendra dès lors qu’il sera examiné par sénateurs et députés d’ici quelques semaines. Nous devons faire œuvre de pédagogie, rencontrer, expliquer, dire le fondement de ce que nous proposons, et inlassablement, jusqu’au moment où peut être nous aurons emporté une conviction majoritaire, revenir devant les élus qui auront une part de la décision. Cela va demander de la méthode, une ingénierie ». 

 

« Renvoyer tout à la loi organique revient à signer un chèque en blanc »
 
Plus critique à l’égard du processus, le second co-leader d’Un Soffiu Novu, Jean-Martin Mondoloni, réaffirme quant à lui son opposition à l’octroi d’un pouvoir normatif et relève deux points noirs. « Par quel aveuglement, par quel manquement, par quelle vacuité prospective sommes nous arrivés à ce stade de nos réflexions sans poser le sujet des investissements au niveau des enjeux que représentent ce processus dit historique pour l’avenir de la Corse ? », fustige-t-il en poursuivant : « Et puis on parle de pacte fiscal avant de parler de pacte budgétaire. Les finances de la collectivité nous permettent elles aujourd’hui de dégager quelle que latitude que ce soit ? Par quel manquement sommes-nous arrivés à ce stade de nos négociations sans avoir encore posé ce sujet ? ».
 
Également peu convaincue par le processus, Josepha Giacometti Piredda tire à boulets rouges sur la proposition adoubée lors du dîner de Beauvau. « Elle est deux crans en dessous de la délibération Autonomia sur laquelle je me suis abstenue », déplore-t-elle regrettant dans ce droit fil un certain affaiblissement du texte.« Jusqu’à aujourd’hui, tout a été accepté, on a déféré aux injonctions. Avant de passer sous les fourches caudines du Parlement on a déjà tout enlevé. S’il est encore temps redressons la barre », lance l'élue indépendantiste avant de conclure : « Il faut aujourd’hui dire enfin la vérité aux Corses : s’il s’agit aujourd’hui de négocier les contours d’un statut amélioré où il y aura plus de pouvoirs et de moyens, incontestablement oui c’est ce que l’on nous présente, mais à cette heure et tel que cela se profile ce n’est pas la solution politique et ce n’est pas la résolution d’un conflit ».